La stratégie du « benchmark » pipeau
par Olivier Bonnet
vendredi 10 avril 2009
A court d’arguments, la droite invoque des comparaisons internationales bidon.
Le mythe du français fainéant
Autre sujet typique à propos duquel la droite benchmarke contre son camp : la question du temps de travail. "La France ne travaille pas assez ! Il n’y a qu’un moyen de relancer la croissance et d’augmenter le pouvoir d’achat : travailler plus ! Par rapport à nos voisins, nous sommes le pays qui travaille le moins, il faut que ça change !" Voilà le message dont nous rebat les oreilles avec un bel ensemble la majorité présidentielle, à commencer par Sarkozy lui-même. Là aussi, c’est un mensonge. Léon Mercadet, journaliste à La matinale de Canal +, l’avait démonté de façon implacable lors de l’émission du 12 mai 2008, chiffres 2006 d’Eurostat, le très officiel Office statistique des Communautés européennes, en mains. Dans l’ordre croissant en nombre d’heures travaillées par semaine, on trouve d’abord les Pays-Bas puis la Norvège, le Danemark, l’Allemagne, l’Irlande, la Suède, la Belgique, le Royaume-Uni et la Finlande. Vient ensuite la moyenne européenne, à 37,9 heures. Le premier pays à travailler plus que ladite moyenne, de justesse (38h tout rond) est la France. Viennent derrière l’Italie, la Lituanie, le Portugal, l’Espagne, l’Estonie, la Croatie, la Slovénie... Les plus gros travailleurs sont enfin les Bulgares, Lettons, Tchèques et Grecs (42,7 heures). On observe la même chose en se basant sur la durée annuelle, qui prend en compte vacances et jours fériés : elle est en France de 1545 heures, contre 1445 en Allemagne, 1499 au Danemark, les Pays-Bas étant le pays où l’on travaille le moins avec 1340 heures. "Il y a un truc très très frappant, observe Léon Mercadet, c’est que les pays où l’on travaille le moins sont les plus avancés, les plus performants économiquement et socialement." "Ca alors !", s’exclame le présentateur de l’émission, Bruce Toussaint. "A l’inverse, poursuit son chroniqueur, si on va en bas de classement, on s’aperçoit que les cancres sont (...) ceux dont le PIB par habitant est le plus faible. Tout se passe comme si plus on est un pays moderne, plus on est un pays économiquement performant, moins on travaille ! Allez savoir pourquoi, mais moins l’on travaille et plus le PIB par habitant est élevé, c’est comme ça que ça se passe en Europe. Alors quand les ministres et les
Détail piquant qui saute aux yeux à travers ces deux exemples : le modèle vanté par nos libéraux sert rien moins que l’intérêt général, dans la mesure où un taux d’imposition peu élevé induit le plus fort taux de pauvreté (et d’incarcérations) et qu’une durée du travail élevée, correspondant à un faible PIB par habitant, est quasiment un signe de sous-développement ! Mais pour comprendre cela, il ne faut pas s’arrêter à ce qu’en disent nos benchmarkers fous, qui mentent effrontément pour tenter de faire passer leurs convictions idéologiques, au service de la classe dominante, pour des impératifs économiques.
Ainsi, lorsqu’il s’agit de faire passer le décret mou-du-genou de cette semaine pour la pierre angulaire de la moralisation du capitalisme (prière de ne pas rire), alors qu’il encadre la rémunération des seuls mandataires sociaux, pour les seules entreprises massivement aidées par l’Etat et seulement de façon temporaire, nos gouvernants s’essaient à nouveau à la comparaison internationale. Brice Hortefeux, ministre du Travail, déclare au micro d’Europe 1 que la France serait le pays "au monde qui prend le plus de précautions". Sauf que Barack Obama a initié la limitation des salaires patronaux à 500 000 dollars ! Le prédécesseur d’Hortefeux au ministère, le désormais secrétaire général de l’UMP Xavier Bertrand, n’est pas mal non plus lorsqu’il affirme sur RTL : "Il n’y a qu’un seul pays en Europe, l’Irlande, qui a mis en place un décret de ce type, et encore." Faux ! "l’Allemagne a pris, dès novembre 2008, des dispositions similaires dans le cadre de son plan de sauvetage", rappelle fort à propos Marianne 2, qui titre carrément Bertrand raconte des bobards : "Là où l’Allemagne avait conditionné son aide aux banques de 500 milliards à divers mesures de sobriété en terme de rémunération patronale (plafonnement, suspension des bonus, etc.), l’Etat français a signé un chèque en blanc, se penchant seulement sur les conditions de remboursement des prêts. Peut-être par peur que les patrons français n’acceptent jamais ces contraintes. Contraintes auxquelles les patrons allemands, acculés par leurs problèmes de trésorerie, ont bien vite cédés". Mais face à la crise, les patrons français sont tout autant des acculés que leurs homologues allemands ! La différence réside dans la volonté politique. Merkel s’est donnée les moyens de limiter certains abus, Sarkozy a préféré laisser faire. Les faits étant gênants, Hortefeux et Bertrand les réinventent. Mais l’exemple vient d’en haut. Le président lui-même a élevé la comparaison internationale foireuse "fantaisiste" au rang des Beaux-Arts.
Sarkozy : le florilège
Quand Nicolas Sarkozy veut expliquer, durant l’émission Face à la crise du 5 février dernier, pourquoi il parie sur le seul investissement au lieu d’imiter Gordon Brown, qui a fait baisser la TVA de 2,5% pour soutenir la consommation, il explique : "Si les Anglais ont fait cela, répondit-il, c’est parce qu’ils n’ont plus d’industrie, à la différence de la France (…). Les services pèsent pour 15% du PIB anglais. Ils pèsent pour 3% du PIB français. Tant mieux. (…) Gordon Brown ne peut pas faire ce que j’ai fait avec (…) un certain nombre d’industries parce qu’ils n’en ont plus." DéCHIFFRAGES rétablit les faits : "L’ironie veut que l’industrie pèse exactement le même poids dans le PIB des deux côtés de la Manche, soit 12,6% selon l’OCDE". 12,6% du PIB pour un pays qui n’a plus d’industrie, c’est assez fort non ? "Quant aux services, ils occupent en France une part prépondérante du PIB : 77,3% - et non pas 3% ! Cela place la France au deuxième rang derrière le Luxembourg parmi les trente pays de l’OCDE, devant les Etats-Unis et… le Royaume Uni (76,2% et non pas 15%). Ignorer ces chiffres ne serait pas grave. Se tromper à ce point dans les ordres de grandeur est stupéfiant." Mais s’agit-il vraiment d’une erreur ou bien est-ce volontaire ? On peut opter pour la deuxième hypothèse quand on constate la permanence du phénomène. "Le jour où les Anglais ont décidé de réduire de deux points la TVA (2,5 en réalité), un certain nombre de
Son Premler ministre aussi, alors, qui affirme le 27 janvier à l’Assemblée nationale, à propos d’une éventuelle baisse de la TVA : "Parmi les vingt sept pays membres de l’Union, le Royaume Uni est le seul à l’avoir décidée. L’effondrement de sa consommation et son économie de services nous distinguent des Britanniques. Pour l’heure, au premier mois de cette baisse de la TVA, les ventes de détail ont baissé, outre-Manche, de 3,3%, soit la plus mauvaise performance depuis quatorze ans." Non, Fillon : pas -3,3, +1,6, menteur ! Et l’Angleterre n’a pas davantage une "économie de services" que la France : 76,2% du PIB là-bas et 77,3% en France, menteur encore ! Puisque le gouvernement a décidé de ne rien lâcher au peuple (entendez augmenter son pouvoir d’achat), se contentant de l’aide aux entreprises, inventons donc de toutes pièces un benchmark qui va bien !
L’imaginaire bouclier fiscal allemand
Gros pipeau encore à propos du bouclier fiscal, mis à jour par Politique.net, reprenant Mediapart, et balancé dans le récent discours de Saint-Quentin, devant 4000 militants UMP extasiés - le "président de tous les Français" n’admet plus désormais de rencontrer qui n’est pas encarté dans son parti : "Ne pas prendre par l’impôt direct plus de 50% du revenu d’un ménage, c’est un principe de liberté, de liberté. C’est un principe qui est en Allemagne inscrit dans la Constitution – nos amis allemands, principaux concurrents, principaux partenaires, notre grand voisin. Le principe que l’Etat n’a pas le droit de prélever plus de 50% de l’argent gagné par un contribuable allemand. Les Allemands y sont tellement attachés qu’ils l’ont inscrit dans la Constitution". Rendez-vous compte s’il est normal de plafonner l’impôt à 50%
Notre dernier exemple de benchmark bidon sert lui aussi à voler au secours des riches et date de la visite du président sur les terres bucco-rhodaniennes de Plume de presse, dans le Pays d’Aix, le 7 avril : "Nous sommes le seul pays d’Europe qui a gardé un impôt sur la fortune : il y a le canton de Genève et nous", s’est-il esclaffé. En réalité, il y a aussi le Liechtenstein et la Norvège, et la Suisse est concernée toute entière, avec des modalités différentes suivant les cantons, et pas seulement à Genève. Mais c’est beaucoup moins drôle.
Vous l’avez compris : lorsque Sarkozy et ses amis invoquent des comparaisons internationales pour voler au secours de leurs options idéologiques, le mensonge n’est jamais loin. Comme de façon générale quand un UMPiste ouvre la bouche* !
* lire à ce sujet un classique de Plume de septembre 2007 : Le sarkozisme ou le mensonge érigé en système.