La taxe sur les transactions financières ou l’inefficacité couplée à l’injustice

par Etienne
lundi 17 novembre 2014

Une taxe sur les transactions financières devrait voir le jour en 2016 au sein de la zone euro. Vieux serpent de mer que l'on ressort au gré des maladies de notre économie, cette mesure n'en est pas moins décriée pour ses aspects inefficaces et injustes. Il s'avère qu'une taxe Tobin à l'européenne serait en effet bien loin de dissuader la pratique du trading à haute fréquence, et porterait atteinte, indirectement, aux particuliers.

Il est des mesures qui ne font, et ne feront sans doute jamais consensus. Pire, il en est qui amèneront les plus orthodoxes de la pensée à retourner leur veste avant de la remettre à l'endroit. La taxe sur les transactions financières (TTF) est tout cela à la fois ; une mesure polémique qui ne trouvera jamais de compromis, et fait déjà virer sa cuti à bon nombre d'hommes politiques. A son tableau de chasse, pour la France, Nicolas Sarkozy et Pierre Moscovici, droite et gauche réunies. Le premier s'y oppose catégoriquement en 1999, la qualifiant même d' « absurdité  », avant de relancer le débat qui mènera à l'adoption par le gouvernement Ayrault d'une TTF en 2012. Quant aux vicissitudes du second sur la mise en place d'une taxe à l'européenne, il semblerait que l'appât d'un fauteuil au sein de la Commission Jüncker l'ait considérablement assagi. Est-ce le même homme qui dénonçait en 2013 la proposition de Bruxelles et qui assurait pourtant en 2014 avoir « toujours été dedans  » ? La quête du pouvoir fait dire bien des choses ; des choses dont il convient ici d'extraire l'ardente vérité : pire qu'inefficace, une TTF à l'européenne serait également injuste.

Une TTF plus ou moins harmonisée qui n'empêchera pas les fuites de capitaux

Au départ, en 1972, le prix Nobel d'économie James Tobin envisage une taxe sur les transactions monétaires propre à endiguer la volatilité du marché des devises. Alors que le système monétaire de Bretton Woods est de plus en plus critiqué, voire inappliqué, l'économiste keynésien cherche à limiter les effets néfastes des spéculations à court terme, dans le cadre du système des changes flottants. Des « taxes Tobin » fleurissent alors un peu partout, comme une mode en somme ; mais une mode qui passe plus vite que prévu, désavouée, voire conspuée. En 1990, la Suède abroge le texte instituant cette mesure, après 10 ans de marasme et de fuite des capitaux hors du royaume. Une taxe à l'échelle d'un pays n'est pas la solution.

Pourtant, la France adopte elle aussi une TTF en 2012. Ses intentions sont louables – atténuer les effets de la crise mondiale post subprimes – mais manifestement insuffisantes ; censée rapporter quelque 1,5 milliard d'euros par an, la taxation à hauteur de 0,2 % des actions en France n'en produit que la moitié. Les investisseurs ont vite compris qu'il fallait migrer vers des marchés non taxés pour éviter la hausse des coûts de leurs transactions. Loin de tirer les conséquences de l'inefficacité patente de sa taxe, la France est aujourd'hui partie prenante – et l'une des plus vigoureuses – à la TTF qui devrait être mise en place au sein d'une partie de la zone euro en 2016. Non seulement celle-ci ne s'appliquera pas à l'ensemble des Etats membres ayant pour devise l'euro, mais il semble évident que les fuites de capitaux désastreuses d'hier se répèteront demain.

La TTF loupe sa cible

Ainsi, le trading à très haute fréquence, loin d'être découragé, sera toujours vaillant. Pourtant, c'est précisément l'une des pratiques qu'il convient d'atténuer. Pour certains spécialistes, afin de responsabiliser les marchés financiers et leur rendre un rôle de financement de l'économie, il vaudrait mieux limiter la vitesse de certains échanges plutôt qu'instaurer la TTF. Aujourd'hui, certains traders ont un avantage compétitif considérable due à leur connaissance des fluctuations de valeurs avant les investisseurs finaux, d'après Stéphane Voisin, responsable de la recherche ESG chez Kepler Cheuvreux. Ainsi, cette mesure hautement décriée n'est pas adaptée car « elle vise mal  » selon lui. Au lieu d'affecter les institutions financières, la TTF encouragera des pratiques néfastes, in fine, pour les entreprises et les particuliers.

Pourtant, d'après les termes mêmes du ministre français des Finances, Michel Sapin, « la taxation n'est pas forcément faite pour rapporter, mais pour dissuader  ». La sortie médiatique est habile ; elle légitime les mauvais résultats enregistrés par la taxe française ces deux dernières années, en même temps qu'elle feint de protéger les plus faibles. Seul l'avenir devrait donner raison aux détracteurs de la TTF, qui connait toutefois quelques pierres d'achoppement, au nombre desquelles la taxation des produits dérivés. Cette mesure nourrit de grands débats franco-allemands depuis des mois ; la France, dont les banques sont pionnières en la matière, refuse une telle pratique.

La TTF est donc loin de faire consensus, même au sein des pays qui souhaitent de concert l'instaurer. Pendant longtemps qualifiée de « mesure de gauche », la destruction massive d'emplois et, par là, la déliquescence sociale qu'elle entrainerait, suffisent à lui attribuer au contraire un statut d'apatride politique ; ni de droite ni de gauche. Un simple serpent de mer qui mérite, au fond, de couler sans bruit.


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