Le billet de banque : l’ancien et le nouveau

par gdm
samedi 18 avril 2009

L’Homme inventa la monnaie par ce qu’elle lui était utile. Les choses jugées précieuses furent souvent utilisées comme des monnaies. La pièce d’or a de la valeur parce que l’or a de la valeur. Chacun peut en vérifier le poids. En l’écoutant sonner, on vérifie qu’elle est en or. Pendant des millénaires, l’or fut une monnaie de référence. L’or fut un valorimètre de la valeur des biens économiques. L’or fut aussi le valorimètre des billets de banques entre 1700 et 1971.

A l’origine, et pendant 150 ans, le billet de banque était un contrat commercial entre un banquier et le porteur du billet. Le banquier versait toujours l’or promis au porteur d’un billet. Aujourd’hui, la monnaie est gérée par les Etats au travers d’une Banque Centrale. Un billet de banque est devenu une promesse politique dont la nature est incertaine.

Le billet de banque moderne est né vers 1700 en Ecosse. Des banquiers possédaient de l’or, mais aussi des terres et autres biens immobiliers. Chaque banque était une société commerciale exerçant son activité sans le contrôle de l’Etat. Un billet de banque était un contrat unilatéral stipulant que le porteur du billet recevrait le poids d’or indiqué sur le billet. C’est le contrat d’émission monétaire. Le billet, en papier, était plus pratique que l’or. On le possédait, on le transportait et on l’échangeait plus facilement.

Cette monnaie était créée au moment du prêt bancaire. Une banque écossaise émettait dix fois plus de billets de banque que l’or qu’elle possédait. C’est le principe de création des monnaies modernes. Les reconnaissances des dettes des emprunteurs constituent une part importante des actifs d’un banquier. Les banquiers possédaient aussi suffisamment de biens immobiliers pour en vendre au cas où tous les porteurs auraient réclamé leur or en même temps.

Une reconnaissance de dette est une créance sur un emprunteur. Une telle créance s’achète et se vend car elle a de la valeur. Cette créance permet d’obtenir, en plus du remboursement du capital, le versement des intérêts du prêt qui sont versés par l’emprunteur. La valeur de cette créance est donc supérieure à la monnaie émise, sauf pour l’emprunteur. La qualité de cette créance dépend que la fiabilité de l’engagement de l’emprunteur.

Lorsque survenait une demande importante de versement d’or, le banquier écossais revendait des créances à d’autres banquiers contre de l’or. Sinon, il obtenait l’or en revendant un de ses biens immobiliers. Le banquier honorait son obligation contractuelle, obligation provenant du contrat d’émission monétaire. La monnaie ne se dépréciait pas puisqu’elle valait de l’or, et pouvait s’échanger constamment contre de l’or. Une violation de ce contrat commercial aurait été sanctionnée par un Tribunal.

En 150 ans, de 1700 à 1850, trente banques écossaises exercèrent leurs activités commerciales en concurrence. Il n’y avait ni Banque Centrale, ni intervention de l’Etat. Un marché interbancaire permettait aux banques d’acheter et de vendre certaines créances sur des emprunteurs. Les banques commerciales se prêtent entre elles l’argent qui manque à l’autre. Le marché interbancaire fonctionne aujourd’hui sur un principe semblable. Pendant une aussi longue période, aucun utilisateur de billet, quelle que soit la banque, ne fut spolié. Le banquier versa toujours l’or promis.

Au 19e siècle, chaque Etat occidental a progressivement instauré ou renforcé son monopole monétaire. L’Etat choisit ainsi une Banque Centrale qui assure la gestion du monopole monétaire de l’Etat. Les banques commerciales sont autorisées à émettre la monnaie au nom de la Banque Centrale. Cette émission est soumise aux conditions administratives imposées par la Banque Centrale.

Le "cours forcé" d’une monnaie signifiait que la loi oblige chaque agent économique à accepter la monnaie fabriquée par l’Etat, au même titre que l’or. Dans le passé, le "cours forcé" fut souvent mal accepté par des populations qui y voyait une escroquerie. Philippe le Bel resté, dans l’Histoire, le "Roi-faux-monnayeur". La bonne monnaie était l’or et la mauvaise monnaie était la monnaie ayant un "cours forcé". Les citoyens conservaient leur "bonne" monnaie chez eux en réserve pour la thésauriser. Et ils payaient avec la "mauvaise" monnaie pour s’en débarrasser. La bonne monnaie devenait plus rare. "La mauvaise monnaie chasse la bonne"(loi de Gresham).


Une Banque Centrale est le "prêteur en dernier ressort" des banques commerciales. Une banque commerciale pouvait manquer d’or, tout en ayant suffisamment d’actifs. Cette banque vendait des reconnaissances de dettes à d’autres banques. Sinon, la Banque Centrale lui prêtait, en dernier ressort, de la monnaie ayant un "cours forcé". Cette garantie de la Banque Centrale permet ainsi à une banque commerciale de prêter plus de monnaie, augmentant ainsi l’activité économique, et sans risque d’inflation.

Cette fonction de "prêteur en dernier ressort" fut une raison technique avancée pour justifier la création d’une Banque Centrale. Le concept de "prêteur en dernier ressort" est fondé, in fine, sur la capacité de l’Etat de prélever suffisamment d’impôts. Le rôle de "prêteur en dernier ressort" est garantie, non pas par un capital, mais par la capacité de l’Etat à prélever suffisamment d’impôts. Cette activité de prêt à une banque qui manque de liquidité, présente le risque de subir des créances douteuses. Lorsque la Banque Centrale est contrainte de jouer ce rôle de prêteur en dernier ressort, elle prend le risque d’accroître la dette de l’Etat.

La nécessité d’une Banque Centrale est un débat d’économistes. Une banque commerciale, disposant d’un capital important, vend une partie de son capital pour honorer son obligation du contrat d’émission monétaire. Il existe mille fois plus de capital que le montant des masses monétaires. Une grande partie de ce capital peut se vendre rapidement et servir de garantie aux crédits d’une banque. Une banque commerciale suffisamment capitalisée pourrait émettre une monnaie fiable. Cette émission monétaire n’aurait alors pas besoin de la garantie d’une Banque Centrale. Le valorimètre d’une telle monnaie pourrait être l’indice de l’or, ou l’indice des prix. Une telle monnaie serait alors identique à un "tracker" sur un indice convenablement choisi.

La première raison historique de la création d’un monopole étatique monétaire fut la cupidité des Etats et des politiciens. Une autre raison de la nationalisation de la monnaie fut qu’une monnaie nationale est un signe identitaire social fort. Elle contribue à ressentir le sentiment populaire d’une communauté nationale. Chaque citoyen est redevable du service monétaire rendu par l’autorité politique. L’utilisation de la monnaie nationale rappelle à chaque citoyen le rôle éminent de l’Etat dans les échanges quotidiens.

En réponse à une question sur l’impôt, Jésus observa l’effigie de César sur une pièce et dit "Rendez à César ce qui est César". Utilisant chaque jour la monnaie nationale, les citoyens y voient volontiers l’efficacité de l’Etat et, indirectement, la justification de l’impôt. Une monnaie nationale est un moyen efficace de renforcer l’autorité morale de l’Etat.

Jusqu’en 1971, le valorimètre de la plupart des monnaies fut l’or. Tout billet de banque était une obligation du banquier envers l’utilisateur du billet de banque. Cette obligation n’était pas contractuelle, mais trouvait son origine dans les lois. Le cours du dollar conserva ainsi la valeur de 35 dollars pour une once d’or. Le cours de l’or et celui du dollar furent longtemps parallèles.

Le dollar s’analysait comme étant un titre financier indexé sur le cours de l’or. Un "tracker" sur l’or. Un banquier peut imaginer une monnaie qui utiliserait un tout autre valorimètre que l’or. Un indice provenant des cours de certains actifs cotés en Bourse peut fonder un valorimètre tout aussi valable. Un contrat d’émission monétaire précise nécessairement le choix du valorimètre de la monnaie émise.

Une "unité monétaire" est ce qui est commun aux divers supports matériels d’une même monnaie. Cette monnaie, cette "unité monétaire", est sous des formes matérielles différentes, comme le papier monnaie, les pièces métalliques, ou un nombre sur un compte bancaire. Ces supports d’une même "unité monétaire" sont substituables et ont la même valeur. Une unité monétaire" représente l’obligation du banquier qui crée la monnaie. Cette obligation des banques écossaises du 18e siècle provenait d’un contrat d’émission monétaire, contrat commercial.

Depuis le 20e siècle, l’obligation de l’émetteur de monnaie de Banque Centrale provient des lois. La loi a remplacé le contrat. L’obligation politique de l’Etat a remplacé l’ancienne obligation commerciale du banquier. Cette situation juridique est défavorable à l’utilisateur de monnaie. L’utilisateur ne peut plus traîner devant un Tribunal un émetteur de monnaie qui violerait son contrat commercial d’émission monétaire.

Après 1971, la référence à l’or fut abandonnée. L’Etat s’engageait à ce que la monnaie conserve son pouvoir d’achat selon un indice des prix. En d’autres termes, cela signifie que la monnaie n’était plus un titre financier indexé sur le cours de l’or. Une "unité monétaire" devenait un titre financier indexé sur un indice des prix. Le valorimètre de la monnaie est désormais un indice des prix.

Soumis à une forte pression dépensière, les politiciens ne respectent pas longtemps leur obligation politique de conserver la valeur d’une monnaie. Il s’ensuit alors une inflation des prix. Lorsque la monnaie est émise en contrepartie de créances douteuses, cette émission monétaire alimente l’inflation des prix. Ce mécanisme monétaire se voit moins que les largesses apparentes des politiciens destinées à satisfaire leurs électeurs. Les politiciens inventent ensuite des raisons fantaisistes pour expliquer l’inflation des prix et calmer le mécontentement des populations. En 1972 et en 1973, l’inflation française annuelle fut de 13%.

 Certains Etats ont donné à la Banque Centrale Européenne, la BCE, un mandat de gestion de l’euro. La BCE maintient la dépréciation de l’euro à quelques 2%. Le valorimètre de la valeur de l’euro est ainsi un indice des prix. Les Etats craignent leur propre incapacité à résister à la tentation dépensière. Ils ont donc donné un mandat irrévocable à leur mandataire, la BCE.

Une Banque Centrale n’est pas mieux informée que le marché pour évaluer une hypothétique "vraie" valeur des actifs d’une banque commerciale. Les Banques Centrales n’ont pas pu éviter le blocage du marché interbancaire. La crise de 2008 a stigmatisé les limites du rôle de prêteur en dernier ressort.

Le mandat de gestion donné à la BCE fut mal conçu. Dans le contexte politique de la crise monétaire actuelle, la BCE ne peut pas le respecter. Les Etats ont donc repris une partie de leur pouvoir confié à la BCE, leur mandataire. La BCE a du accepter d’émettre de la monnaie sans garantie suffisante. Une dette sans garantie suffisante peut se transformer en créance douteuse. Chaque créance douteuse déprécie d’autant la monnaie. La BCE est ainsi contrainte d’accepter une sortie inflationniste de la crise actuelle.

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