Le business du CO2
par Fredon
mercredi 1er juillet 2009
L’OMC vient de rappeler aux Etats qu’aucun accord concernant la réduction des émissions de gaz à effet de serre ne saurait être conclu s’il n’est pas compatible avec les règles du libre échange.
Avis aux Etats qui seraient tentés par des mesures que l’OMC trouverait trop protectionnistes : le business d’abord ! On voit où nous mènent la concurrence libre et non faussée, la sanctification du marché.
Produire plus propre, avec moins de carbone, d’accord, disent-ils, mais pas touche au système dont il faut seulement ravaler la façade pour le rendre plus présentable, surtout pas toucher aux fondations. Tant pis si l’édifice chancelle. Ils croient -en tout cas ils veulent- sauver leur modèle. Celui symbolisé par Madoff, ce financier tout puissant de Wall Street, qui a pu détourner 65 milliards de dollars ! Hélas, pour lui, la bulle financière a éclaté, révélant les terribles failles du système. Il a pris 150 ans…pourquoi pas 200 ou 300, la morale est sauve.
« Pensons à l’après-crise, au défi majeur qui nous attend avec « le réchauffement climatique » qui nous concerne tous » : c’est la nouvelle tarte à la crème pour susciter toutes les peurs et détourner l’attention sur la faillite de ce capitalisme qui passe au vert pour nous faire oublier qu’il nous a mis dans le rouge.
Et pour mieux esquiver sa responsabilité dans la fuite en avant en faveur d’un mode de production qui n’a pas lésiné sur le pillage des ressources de la planète et l’exploitation des peuples jusqu’à l’esclavage, au prix d’insupportables inégalités et de dégâts considérables sur notre environnement. Ils nous disent : « attention cela ne peut plus durer » confondant pollueurs et pollués comme ils tentent de rendre captifs de leur productivisme, les consommateurs qu’ils poussent à l’endettement.
Finie la lutte des classes, c’est dépassé, passons à l’écologie, il est temps d’instaurer quelques mesures pour réduire la consommation d’énergies et de produits trop riches en carbone. Il est temps en effet, car ils ont tellement pillé les énergies fossiles, tellement endommagé notre environnement qu’ils ne peuvent pas faire autrement que de se donner bonne conscience, ne serait-ce qu’aux yeux d’électeurs qui ne voient que les progrès technologiques, le confort dont ils bénéficient, relativement à tant de peuples laissés dans le sous-développement.
La réponse du capitalisme vert
Reconnaissons-le, ils ne sont pas à court d’idées. Par exemple, s’ils sont impuissants à endiguer l’hémorragie des emplois (que voulez-vous, c’est la crise), ils créent des sociétés qui se donnent pour mission d’aider les entreprises, en leur fournissant des données climatiques pour gérer leur impact sur leurs activités.
Ils réfléchissent à des dispositifs, comme la taxe carbone, incitant particuliers et entreprises à produire et à consommer moins de carbone. Pourquoi pas ? Mais là ça devient plus délicat, on touche au porte-monnaie des plus pauvres et aux profits des plus riches. Pas facile de concilier les deux.
C’est d’ailleurs pourquoi le « Grenelle de l’environnement » initial ne l’avait pas programmé. Voilà qu’on en parle à nouveau en haut lieu avec une « contribution énergie climat » qui se propose de taxer les produits selon leur contenu en carbone. Mais le gouvernement hésite à créer une nouvelle taxe pour ne pas pénaliser les entreprises -toujours la crise- et Borloo a renvoyé la question à 2011…dans le meilleur des cas. Certains, à droite, sont favorables à une taxe carbone qui se substituerait à la taxe professionnelle, principale ressource des communes !
Et puis il y a le marché du carbone, on n’arrête pas le progrès. Un marché qui se développe, fondé sur le principe de l’attribution de droits à polluer pour les entreprises qui dépassent leurs quotas d’émissions de gaz à effet de serre et qui peuvent acheter la différence à des entreprises qui atteignent leurs objectifs et disposent d’un reliquat de droits d’émission non consommés. Avec l’argent récupéré en bourse elles peuvent continuer à faire des économies de carbone.
Cela paraît astucieux mais, comme tous les marchés financiers, c’est plein de chausse-trappes et de risques, de très gros risques, on n’en est pas sorti. Le prix, qui dépend du volume de la demande de ceux prêts à payer pour polluer et dont l’activité s’est réduite (la crise). Ils polluent moins donc moins de demande et chute des cours. Au début, le prix, en Europe, tournait autour de 30 euros la tonne de CO2 , ces derniers jours il était tombé sous les 10 euros.
A noter que si les centrales et les industries à forte consommation d’énergies peuvent acheter jusqu’à 40% du volume total des émissions de CO2, les secteurs du bâtiment et des transports en sont exemptés ?
Et puis rien n’empêche une entreprise d’acheter sur n’importe quelle place financière du monde, il faut faire jouer la concurrence, n’est-ce pas, d’autant qu’il n’y a guère d’harmonisation d’un continent à l’autre. Comme on n’entend plus parler de cette fumeuse prétention à réglementer les marchés, et même à les moraliser, on se dit que la spéculation a encore de beaux jours devant elle.
Le groupe financier américain NYSE s’est associé avec l’ensemble des places boursières européennes, fusionnées depuis le 4 avril 2007, pour former un ensemble de 15 000 milliards d’euros de capitalisations boursières.
Ce nouveau monstre financier a créé avec la Caisse des Dépôts et Consignations, le 21 décembre 2007, une bourse de l’environnement qui se veut mondiale pour faire face à la financiarisation des marchés du carbone, peut-on lire sur Wikipédia.
Comme quoi tout devient marchandise, même les droits à polluer qui auraient la vertu de réduire les émissions de gaz à effet de serre !
Le rapport 2009 de la Banque mondiale sur l’état du marché du carbone indique qu’il a doublé pour atteindre 126 milliards de dollars, mais il accuse une tendance à la baisse, (toujours la crise), parce que les investisseurs potentiels prêts à quelques reconversions technologiques plus propres attendent les engagements des Etats, le sommet de Copenhague pour concrétiser leurs projets, nous dit-on.
La question du réchauffement climatique global et anthropique (à laquelle je n’adhère pas), tombe à point nommé pour faire oublier que ce sont les abus mêmes du capitalisme, sa nature profonde, ses gâchis matériels et humains, ses échecs cuisants à réduire les inégalités -si tant est qu’ils le veuillent- à respecter l’environnement, à placer l’économie au service des hommes et de la sauvegarde de la nature…c’est cette réalité qu’il leur faut absolument occulter. Oui, il y a besoin de beaucoup plus d’écologie, d’écologie politique, incompatible avec le libéralisme.
L’idée que la croissance verte va nous sortir de la crise en prend un sérieux coup quand on voit comment ils préparent « l’après-crise », comme si elle était derrière ? Ils aggravent toutes les tendances qui nous y ont plongés : dérégulations, privatisations, baisse du coût du travail, chômage, précarisation, liquidation des acquis sociaux…la liste est encore longue.
Leur objectif, de plus en plus contesté, c’est de continuer à transformer la planète en un vaste marché de consommateurs captifs dont l’immense majorité ne peut accéder aux droits humains fondamentaux : se nourrir, se loger, se soigner, s’instruire, avoir un travail correctement rémunéré, être reconnus et respectés.
On n’est pas obligés de laisser faire. Les idées alternatives ne manquent pas au plan économique et social, ni environnemental. C’est leur concrétisation au plan politique qui redonnera confiance à tous ceux qui l’ont perdue.
René Fredon