Le cas Proglio

par Henry Moreigne
samedi 28 novembre 2009

Après l’omni-président, l’omni-pdg. La nomination officielle mercredi en conseil des ministres d’Henri Proglio au poste de PDG d’EDF, est loin de mettre un terme à la polémique provoquée par le cumul avec la présidence, même non exécutive, de Veolia Environnement. Outre la question des importantes prétentions salariales de l’intéressé qui n’est pas anodine, à droite comme à gauche des voix s’élèvent pour dénoncer un conflit d’intérêts.

Il y a incontestablement du Sarkozy chez Henri Proglio comme le relève Les Echos. “Pour cette volonté affichée de bouger les lignes, ce refus de la langue de bois et cette façon brusque de poser le débat” mais aussi cette absence de modestie qui se mesure au refus d’une rémunération jugée indigne de son appréciation de sa propre valeur.

Il n’est pas acceptable de confier la présidence d’une entreprise publique dont l’Etat détient 85% du capital à une personne qui continuera d’exercer concomitamment des responsabilités dans un groupe privé qui, de surcroît, opère dans des domaines d’activité analogues”, résument les sénateurs socialistes dans un communiqué.

Emoi partagé par le sénateur centriste Jean Arthuis président de la commission des Finances du Sénat : “A mon avis ce cumul des fonctions serait un contournement des règles de bonne gouvernance, parce qu’il y a évidemment des risques de conflit d’intérêts“. “Il y a un mélange des genres, c’est dommage. Il doit choisir et je regrette qu’il ne le comprenne pas“, a estimé à droite le député souverainiste Nicolas Dupont-Aignan, président de Debout la République.

De son côté de François Bayrou juge la nomination inacceptable. Sur l’antenne de France Inter l’ex troisème homme s’est ému des propos d’Henri Proglio publié dans Les Echos selons lesquels, “Sans aller jusqu’à une fusion“, il souhaitait que l’électricien soit “un actionnaire d’accompagnement” du leader mondial de l’eau. Une entreprise publique doit-elle accompagner une entreprise privée a fustigé le patron du Modem.

Le débat ne porte pas sur la personne du nouveau PDG dont les qualités de grand patron sont unanimement reconnues et saluées. C’est d’ailleurs sous cet aspect que Luc Chatel, le porte-parole du gouvernement a annoncé la nomination :”C’est un choix important, c’est le choix d’un grand industriel“.”EDF doit progressivement achever sa mutation en passant d’une administration à une entreprise industrielle. Henri Proglio est un grand industriel et c’était important qu’à ce moment de la vie d’EDF, ce soit un grand industriel qui pilote cette entreprise“.

On pourrait toutefois s’interroger sur l’extension de la notion d’homme politique providentiel à celle de capitaine d’industrie providentiel seul espoir de salut pour le navire. Comme Nicolas Sarkozy le nouveau patron d’EDF se sent investi d’une mission et s’estime le seul en capacité de la mener à bien.

En l’occurrence celle de sauver EDF et la filière nucléaire tout entière. Même sentiment avec Veolia. Henri Proglio veut y garder un pied parce que sans lui tout est à craindre.

Le risque de dérive est pointé par le PS qui par la voix d’Aurélie Filippetti, secrétaire nationale du PS à l’énergie estime que “La nomination de M. Henrio Proglio au poste de PDG d’EDF alors même qu’il reste président de Veolia est inacceptable et relève d’une confusion d’intérêts et de genres douteuse“, avant d’ajouter que “le cumul des mandats, que ce soit en politique ou dans les affaires, est décidément un mal très français“.

Décidément très polémique, Henri Proglio, a créé un mini séisme en faisant part des grandes lignes de la stratégie qu’il entend mener à la tête de l’électricien public français dans le domaine du nucléaire. Ni plus ni moins qu’une refonte de la filière nucléaire tricolore.

Une déclaration perçue comme une déclaration de guerre par le groupe AREVA. “Quand on regarde lucidement les choses, on voit bien que, dans la configuration actuelle, la filière nucléaire française ne fonctionne pas. On a créé une certaine pagaille en dispersant les compétences“, a déclaré Henri Proglio toujours dans Les Echos du 18 novembre.

Dans la compétition internationale, face à des géants germano-russes ou américano-japonais, peut-on se permettre de faire de la dentelle pendant que les autres rassemblent leurs forces ? On ne vend pas des machines à café ou des sucres d’orge ! Le nucléaire, c’est de l’industrie lourde. Il faut que toute la filière se range derrière EDF. Ça a toujours marché comme cela, et je ne vois pas pourquoi cela changerait…” a-t-il ajouté dans une finesse digne d’un sanglier dans un champ de blé plus que celle d’un électron libre.

A décharge, il est vrai que le bilan de Pierre Gadonneix son prédécesseur à la tête d’EDF n’est pas sans rappeler celui de la France au lendemain des années Chirac : des centrales vieillissantes, voire obsolètes et une dette de 27 milliards.

Pour autant, si la recherche de synergies industrielles est pertinente, elle balaye un peu vite l’histoire très particulière de l’électricien français et de la filière nucléaire marquée par des liens très forts avec l’Etat. Acteur historique du marché EDF n’est pas une entreprise ordinaire. Sa captation par le privé ne peut laisser indifférent dans une période marquée par l’affairisme et l’érosion des valeurs.

Complément : Pourquoi Nicolas Sarkozy veut placer Nicolas Sarkozy à la tête d’EDF (Slate.fr)


Lire l'article complet, et les commentaires