Le choc de compétitivité : enfin une idée géniale !

par Danjou
vendredi 2 novembre 2012

C'est devenu le cri de ralliement des "bonnes volontés" qui veulent sauver l'économie française du désastre en ferment : "Il faut un choc de compétitivité à notre économie !!" Les "bonnes volontés" ont mille fois raison.... Le mur n'est plus très loin.

Sans plus attendre, bien que bénévoles, nous nous mettons à l'ouvrage et considérons que pour atteindre l'objectif, quatre options s'offrent à nous :

- Améliorer la qualité de notre production si tant est que notre production ne soit pas de bonne qualité, ce qui reste à démontrer. De toute façon cette option nécessite des investissements et du temps.

- Innover. Cette option nécessite des investissements lourds en R&D et de beaucoup de temps (entre 3 et 5 ans).

- Former. Cette option incontournable sous entend des réformes, des investissements et du temps. Par ailleurs nous ne sommes pas persuadés que notre système de formation soit si mauvais que çà.

- Baisser le prix des produits existants afin que notre production soit meilleure marché. Cette option pourrait nous permettre de nous battre plus efficacement contre nos concurrents internationaux.

Le désastre s'intensifiant mois après mois - + 50000 chômeurs en septembre - on se dit que le temps presse et que de provoquer le choc de compétitivité est devenu urgentissime. Nous recommandons donc une opération "blitzkrieg" telle que souhaitée par les plus hauts dignitaires de la sphère économique, à vrai dire nos commanditaires. Par voie de conséquence et dans un premier temps, seule l'option baisse de prix sera donc explorée car plus facile et plus rapide à mettre en oeuvre.

Mais comment faire pour baisser les prix sans trop altérer la marge (marge nette) de nos entreprises alors que celles-ci seraient déjà au bord de l'infarctus ? Nous nous inspirons alors de l'idée géniale et généreuse des "bonnes volontés" : "baissons les charges patronales et absorbons le coût de cette baisse par une hausse de TVA ou de CSG." Au passage c'est donc le consommateur ou le salarié qui morflera. Pas grave, on expliquera aux patriotes qu'ils doivent se sacrifier pour la bonne cause : la gloire de l'industrie française sur les champs de bataille mondiaux. Si nous certifions que le chômage va commencer sérieusement à refluer, çà peut passer. Nous flairons l'ouverture !

Mais de quoi parle t-on au juste ? On s'enthousiasme, on s'emballe mais jusqu'à présent çà n'est pas très concret. Essayons alors de simuler. Prenons un cas concret, celui d'une PME manufacturière exportatrice produisant exclusivement en France, donc en euros, confrontée à une concurrence produisant et vendant en dollars (par humanité nous éviterons le yuan).

P....., çà commence mal !! On se prend d'emblée un différentiel de 30% dans les dents (parité euro/dollar : 1,30$ pour 1€). Ca c'est le genre de mandale qui te fait sauter le protège-dents et te rectifie le sourire pour l'éternité. Mais la pugnacité étant l'une de nos principales qualités, même sans protège-dents nous ferraillerons et jamais nous ne renoncerons, stimulés par la soiffe intarissable de nous rendre utile. Expérimentons comme disait Albert (1).

Passons donc aux choses sérieuses. Cette belle PME vend 2 millions d'unités par an au prix moyen unitaire de 25€. Ce qui génère un Chiffre d'Affaires de 50 millions d'Euros. Sa masse salariale, pour 300 salariés, représente 20% du CA (10 millions d'Euros). Les charges patronales s'établissent à 5 millions d'Euros (50% de la masse salariale brute ce qui aujourd'hui est à peu près la norme pour une entreprise française, hors éventuelles subventions). Présente sur un marché hyper concurrentiel (ses concurrents vendent le même produit 25$ soit 17,50€) elle enregistre une décroissance sur tous ses marchés, y compris en France. ce qui confirme le bien fondé de la pression exercée par nos commanditaires.

Reprenons alors l'idée géniale de nos "bonnes volontés" afin de redonner du mordant à cette belle PME : une baisse des charges patronales de 10% par exemple... Soyons ambitieux ! Le genre de décision qui annonce des lendemains qui chantent !! Faisons nos comptes : 10% de 5 millions égal 500000 €. Soit une baisse de prix potentielle par unité vendue de 0,25 centimes d'Euros. Soit une baisse magistrale de 1% !! Nous remettons nos lunettes pour vérifier nos formules ; pour admirer l'impasse ! Selon nous, experts bénévoles, pour qu'une telle action puisse avoir un impact significatif, il faudrait que l'entreprise soit en mesure de baisser ses prix d'au moins... 20%. Un vrai choc, pas une poussière de choc ! Autrement dit un impact négatif de 10 millions d'Euros dans ses comptes ou l'équivalent, si vous préférez, de sa masse salariale !! On ne vous dit pas le transfert de charge... On va se faire lyncher !

Nos commanditaires nous diront que cette économie (500000 €, çà n'est tout de même pas rien) financera les investissements futurs et que dans trois ans cette entreprise mettra sur le marché une merveille dont le rapport qualité/prix sera imbattable. D'accord, mais d'ici là que fait-on ? Délocalisation, licenciements et chômage ? 5 puis 6 millions de chômeurs par exemple, ce sera supportable ? Sans compter que ces 500000 Euros il faudra bien que le consommateur ou le salarié les compensent. Imaginons la hausse de TVA ou de CSG et sa conséquence, la perte sèche de pouvoir d'achat ; et sa conséquence la baisse de consommation ; et sa conséquence la baisse du PIB... etc... Nous sommes limite mauvais esprit et nos commanditaires nous le font remarquer.

On pourra toujours nous dire (même si nous sommes un peu fatigués d'entendre toujours la même ânerie) : "Mais comment font les allemands, Ducons ?" Poliment nous rectifierons : "Messieurs Ducons" et répondrons que malheureusement les marques BMW, Mercédès, Audi, Porsche et bien d'autres belles allemandes du même acabit sont déjà déposées. En jargon marketing c'est ce qu'on appelle "l'élasticité de la demande au prix". Pour certains produits ou certaines marques (de statut), l'élasticité est positive. Plus elles sont chères, plus elles se vendent. Pour les produits français on serait plutôt dans l'élasticité négative.

Enfin, courageusement, nous livrons notre conclusion : "Nous ne sommes plus très loin de penser que l'idée du choc de compétitivité avec une monnaie surévaluée de 30% par rapport à l'étalon mondial s'apparente à une escroquerie de très haut niveau et que le transfert de cotisation suggéré ressemble à s'y méprendre à un produit dérivé frelaté garanti par la J.¨P. Morgan."

"En synthèse, sur un marché mondial ravagé par l'hyper compétition, la parité de la monnaie est l'élément clef de la performance, sauf rare(s) exception(s). Nous avons la ferme conviction que seule une dévaluation monétaire peut nous éviter la grande catastrophe vers laquelle, à toute vitesse, nous nous dirigeons. Faut-il sortir ou rester dans l'Euro ? Pour nous, experts non rémunérés (ce détail à son importance), la question est définitivement tranchée. Tout le reste n'est que pur bavardage.... Ou juste un effet d'aubaine."

Bizarre mais nos commanditaires n'ont pas l'air d'apprécier. Dans la foulée notre participation à "C dans l'Air" et à "Mots Croisés" est annulée.

(1) La connaissance s'acquiert par l'expérience. Tout le reste n'est que de l'information. Albert Einstein.


Lire l'article complet, et les commentaires