Le cycliste et l’impossible austérité …

par alain-desert
samedi 2 juin 2012

Le cycliste et l’impossible austérité …

 

Le décor


Depuis le début de la crise financière intervenue en premier lieu aux Etats-Unis en 2007 et apparue visiblement en France en septembre 2008 avec la faillite de la banque Lehman Brother, nos grands penseurs économiques reviennent en force (Keynes, Adam Smith, Ricardo, etc …). La crise est tellement brutale, à la fois dans sa survenue et dans son intensité qui ne cesse de s’amplifier, que nous somme contraints à nous poser des questions nouvelles ou bien anciennes et oubliées par le jeu de l’effacement du temps. 


Vont-ils ces grands penseurs venir à notre secours ? A tous les niveaux de décision on assiste encore à des débats sans fin sur le choix des mécanismes à mettre en œuvre pour enrayer cette crise de la dette qui frappe les états européens, et pour cause, des interventions variées et massives, dirigées par le FMI, la BCE, et L’UE, ont déjà vu le jour sans porter véritablement leurs fruits.

 

Alors …, austérité ou croissance ou bien … austérité et croissance ? La réponse n’est pas simple ! C’est un peu comme si je posais la question suivante à un scientifique : « Est-ce que les fourmis dorment la nuit ? » 


Aujourd’hui les politiciens et en particulier ceux qui sont aux commandes du navire, utilisent lors de leurs apparitions médiatiques les mots ‘austérité’ et ‘rigueur’ avec une attention aussi fine que le cycliste qui descend un col à 100km/h. Peu importe les chicaneries sémantiques, que l’état applique une politique d’austérité ou de rigueur, l’objectif reste le même, et les remèdes assez semblables. Il s’agit bien d’assainir nos finances publiques en rééquilibrant d’abord le budget en déficit chronique depuis plus de 35 ans, pour envisager ensuite une réduction de la dette.

 

« J’emploierai indifféremment le mot rigueur ou le mot austérité tant les nuances sont subtiles et m’échappent quelque peu (même si l’austérité sous-entend parfois une baisse des salaires et des pensions de retraites). Il m’arrivera d’employer un nouveau mot pour mettre tout le monde d’accord : la ‘rigostérité’ »

 

Le défi du cycliste


Pour agrémenter cet article, je vais pousser un peu plus loin l’analogie entre un engagement vers une politique de rigostérité et le cycliste en vous invitant à garder à l’esprit pour le reste de la lecture, l’exemple qui suit :

 

Imaginez un individu qui inspiré par une étape mythique du tour de France se réveille un matin avec la lumineuse idée de monter le mont Ventoux (21 km d’ascension à 8% de moyenne). S’il s’agit d’un sportif aguerri ayant déjà grimpé quelques cols de notoriété, pas de problème, c’est réglé, et nous lui souhaitons bonne route. S’il s’agit d’un novice, on peut imaginer par exemple deux scénarios.

1. Il se munit d’un vélo léger doté d’une mécanique adaptée à ce redoutable défi, et s’entraîne quelques mois en suivant avec régularité, discipline et rigueur, un plan d’entraînement adéquat. Il met ainsi toutes les chances de son côté.

2. Il dispose déjà d’un vélo type randonneuse de 15 kg n’ayant pas servi depuis quelques années, convaincu que ce matériel fera bien l’affaire, et que quelques sorties avant l‘épreuve suffiront à exécuter la petite grimpette dans des conditions convenables.

 

Nul doute que dans la deuxième hypothèse, ce cycliste nouvellement déclaré hypothèque sérieusement ses chances.

 

La rigidité d’un état


Revenons à l’austérité … Est-elle envisageable en France et a-t-elle une chance de réussir et produire les effets escomptés ? J’ai l’impression que notre modèle économique et social pèse aussi lourd que la randonneuse de notre cycliste amateur : une fiscalité lourde, touffue, confuse, incohérente, injuste et incompréhensible, un code du travail écrit en plusieurs tomes qu’aucun pays n’a souhaité reproduire, un appareil d’état rigide assorti d’une configuration régionale en mille-feuille (communes, communauté de communes, cantons, départements, régions, le pays tout entier, et pour englober le tout : l’Europe !), une bibliothèque de lois et de décrets pléthorique et impénétrable, un système de redistribution compliqué assis sur des acquis sociaux non négociables.

 

Déclencher une politique de rigostérité avec un tel appareillage requiert une bonne part d’audace, une dextérité de pianiste, une volonté de champion, une intelligence de stratège digne de nos meilleurs joueurs d’échecs. N’oublions pas qu’en France une telle politique n’a pratiquement jamais été entreprise ces trente dernières années pendant lesquelles nous vivions à crédit, par conséquent nous sommes peu entraînes et avons très peu de retour d’expérience, comme le sportif impréparé.

 

Une nécessité …


Tout le monde l’a désormais compris, la crise financière initiale s’est transformée par étapes successives en une crise de la dette. Il devient impératif et urgent de la réduire sous peine d’être longtemps encore ‘marchés-dépendant’ avec en prime le risque permanent de la flambée des taux. On a une petite idée de la suite grâce à la Grèce …

 

Réduire les dépenses … une évidence


Dans le cadre du retour à l’équilibre budgétaire le nouveau président ‘normal’’ avec son gouvernement ‘normal’ ont opté davantage pour une augmentation de la fiscalité que pour une réduction des dépenses. Cette ‘normalitude’‘ en matière de rééquilibrage budgétaire est un peu curieuse car notre pays a le triste privilège d’avoir des prélèvements obligatoires et des dépenses publiques très élevés, les deux étant parmi les plus forts en Europe et dans le monde (respectivement 44% et 56% du PIB environ) ; Doublement médaillé !

 

Si nos dirigeants successifs avaient opté pour une réduction significative des dépenses, on pouvait nourrir l’espoir de voir baisser leur niveau vertigineux (une modique somme de 1100 milliards d’euros), rejoignant ainsi progressivement le niveau des prélèvements obligatoires qu’on aurait pris soin de figer à défaut de les réduire. L’équilibre était à porté de vue, on se rapprochait doucement de la moyenne européenne et on pouvait espérer une amélioration de la compétitivité de nos entreprises qui semble régresser dangereusement. Cette voie a toujours été écartée.

 

Et si on le faisait maintenant …


Rappelons qu’il nous faut réduire le déficit budgétaire de l’état de 100 milliards d’euros environ pour revenir à un équilibre, c'est-à-dire moins de 10% de l’ensemble de nos dépenses publiques. Est-ce vraiment si difficile d’atteindre un tel objectif par exemple sur une période de 3 années ? L’effort se résumerait à 3% d’économie par an. N’importe quelle entreprise en difficulté jouant sa survie et qui n’aurait pas d’autres choix que de consentir un effort équivalent en pourcentage, trouverait je pense la solution de l’équation.

 

Un tel programme de réduction des dépenses paraît en première approche réalisable, mais il faudrait compter sur des obstacles non négligeables : rigidité de l’état vue précédemment, pression syndicale, pression sociale, lobbies, volonté politique rabougrie, maintien du pouvoir d’achat, difficultés techniques et structurelles, etc… Les gouvernants agissent sur le court terme, exècre les projets de long terme, s’enferment dans des schémas simplistes, et dès lors, on comprend mieux pourquoi les mesures d’ajustements sont toujours attirées vers le trou noir de l’imposition.

 

Les conséquences


Si la rigueur se met réellement en marche en France (car elle n’a pas encore commencé son œuvre), nous assisterons comme dans les pays qui ont choisi ce menu (d’une carte à menu unique), à la contraction de la consommation consécutivement à une réduction du pouvoir d’achat, soit parce ce que l’état vous prendra plus d’argent, soit parce qu’il vous en offrira moins. Cette contraction de l’activité principalement expliquée par une diminution de la masse monétaire, conduira inévitablement à une récession (croissance négative) puisque la croissance actuelle est déjà proche de 0%, avant même d’avoir appuyé sur le bouton ‘rigueur’. Les conséquences sont connues, leurs amplitudes le sont moins.

 

Petite remarque

Vous avez noté que les analystes utilisent davantage l’expression ‘croissance négative’ que le mot ’décroissance’ ; je n’ai toujours pas compris pourquoi ! A supposer que l’on s’installe dans une période de récession longue, nul doute que ces mêmes analystes se familiariseront avec le mot ‘décroissance’ boudé aujourd’hui, et n’hésiteront pas à utiliser en cas de reprise de l’activité l’expression ‘décroissance positive’ !

 

Pourquoi s’étonner ?


Aujourd’hui, au regard des expériences menées en Grèce, en Espagne, en Italie, on constate les effets désastreux d’une politique de rigueur menée trop rapidement et avec trop de fermeté. Le constat paraît sans appel : ‘ça ne marche pas’. Est-ce vraiment surprenant ?

 

Une bonne partie de notre croissance ces dernières années était alimentée à crédit grâce à notre capacité à lever de la dette qu’on croyait illimitée. On était dopé de notre plein gré et malgré tout, la machine économique avait bien du mal à avancer. La croissance de ces 10 dernières années atteignait difficilement les 1 ou 2%, malgré des doses de dopage de plus en plus lourdes provoquant de nombreux effets secondaires et indésirables. Les politiciens avaient perdu les notices des remèdes administrés.

 

Est-il incohérent qu’en cherchant à réduire le déficit donc le niveau de dopage, la machine économique s’essouffle et roule moins vite ?

 

Les lois universelles


Les lois économiques ressemblent étrangement aux lois de la nature. Elles sont inflexibles, impitoyables, indomptables, indifférentes à l’espace et au temps, plus fortes que les digues ou les pare-feux construits par les hommes. La rigueur occasionnera indubitablement des dégâts économiques et sociaux à l’image de la digue qui rompt lorsque la mer exprime sa colère.

 

Et pour conclure


Il est probable que nous n’ayons pas vraiment le choix du programme à venir, même si les réticences s’amplifient face aux expériences en cours loin d’être concluantes. Si les politiques budgétaires laxistes nous ont conduit dans une impasse, alors pourquoi s’obstiner à poursuivre dans cette voie ? Reprenons la carte et abandonnons un instant le GPS idiot, prenons le bon chemin qui conduit à l’objectif, même s’il est étroit et cahoteux. C’est peut-être le prix à payer d’un aveuglement généralisé qui sévit depuis des décennies.

 

On se doute bien que le président et ses lieutenants auront quelques difficultés à mettre en œuvre les réformes qui s’imposeront ; d’autres avant eux ont essayé. Peu importe s’ils choisissent la rigueur, l’austérité, ou la rigostérité. Les mots seront bien sûr bannis du langage ou sérieusement pesés, mais si nécessité fait loi, il faudra bien qu’ils se lancent ! Certes c’est un peu comme si on demandait à une vache de descendre un escalier. La réussite n’est pas garantie ! Comme pour notre deuxième cycliste avec sa randonneuse …

Alain-desert


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