Le déclin de la banque centrale américaine ou ce qui nous attend en 2008

par Michel Santi
mercredi 2 janvier 2008

Lors des précédentes crises financières, la Réserve fédérale américaine s’était montrée capable de dissiper les tourmentes en assouplissant de manière répétitive sa politique monétaire. Il semble pourtant que la crise financière que traversent les marchés aujourd’hui ne puisse être réglée avec autant de facilité car le problème actuel n’est pas tant une crise de liquidités qu’un phénomène plus fondamental lié à la solvabilité.

Du coup, les bourses sont extrêmement fragilisées et il y règne une volatilité telle qu’il n’est pas rare que l’indice Down Jones s’effondre de 200 à 300 points par séance. Du surcroît, l’accélération de l’inflation aux Etats-Unis augure du plus mauvais scénario possible pour les bourses, scénario plausible car cette inflation limitera l’assouplissement de cette politique monétaire privant les bourses d’un combustible indispensable à tout rebond. Les marchés boursiers américains sont ainsi très nettement engagés dans un « bear market », tendance baissière aggravée par une détérioration des ventes de détail, par la chute des prix de l’immobilier, par une crise des secteurs des transports, enfin par un secteur financier totalement sinistré dont la capitalisation a perdu plus de 25 % depuis le mois de juillet dernier. La crise - devrait-on dire l’effondrement - de l’immobilier est si aigu que le gouverneur de Californie Schwarzenegger s’est résigné à annoncer une urgence fiscale afin de faire face à un déficit budgétaire de 14 milliards de dollars provoqué par la crise des subprimes. C’est pourtant seulement depuis peu que les économistes reconnaissent ce que certains analystes financiers craignaient depuis des mois, soit l’ancrage de l’économie américaine dans une récession ou, dans le meilleur des cas, dans une période de ralentissement majeur. De fait, selon nos analyses, cette récession dépassera en amplitude et en gravité celle provoquée par l’éclatement de la bulle internet au début des années 2000. Cette précédente récession avait été accompagnée d’une réduction massive des investissements d’affaire (industriels et commerciaux) qui comptaient pour 13 % dans le Produit intérieur brut américain de l’époque. De nos jours, le consommateur américain - dont les dépenses représentent 72 % du PIB - semble en état de prostration, pour ne pas dire de capitulation...

Le président de la Fed M. Bernanke et le secrétaire d’Etat au Trésor M. Paulson sont donc attendus à la rescousse, mais que peuvent-ils dans un contexte désastreux où les marchés obligataires et boursiers sont sur le point d’imploser pour avoir autorisé des effets de levier spectaculaires ! Ces deux responsables éminents ayant mis en place un certain nombre de stratégies qui ont échoué lamentablement, la crise risque à présent de dégénérer en une boule de neige occasionnant sur son passage toutes sortes de faillites dans le système financier. Effectivement, le plan de sauvetage post-subprimes concocté par M. Paulson n’était au final qu’une opération communication mort-née tant il semblerait que ce personnage soit plus préoccupé de la sauvegarde des intérêts de ses amis de Wall Street que des investisseurs subissant de plein fouet cette crise. Quant au plan bloquant les taux d’intérêts et supposé voler au secours des 3,5 millions des propriétaires de maisons individuelles menacés à tout moment de défaut de paiement, il s’est révélé un fiasco car les dernières estimations montrent que seuls 140 000 titulaires de crédit hypothécaire en auraient bénéficié, laissant ainsi sur le carreau des millions d’autres. Le secrétaire d’Etat américain au Trésor a clairement affiché son incompétence face à la gestion d’une crise de cette amplitude.

M. Bernanke n’a pourtant mieux fait et les 0,75 % de baisse des taux officiels américains n’ont en rien exercé une pression sur les taux hypothécaires, n’ont en rien stabilisé les marchés boursiers et n’ont apporté aucune aide aux banques confrontées à leurs mauvaises créances. Tout ce qui a été entrepris à ce jour par M. Bernanke a eu pour effets de participer à la baisse du dollar et à un regain d’inflation et la jadis omnipotente Réserve fédérale américaine en est au point où elle doit se concerter avec la Banque centrale européenne, avec la Banque d’Angleterre, avec la Banque du Canada et avec la Banque nationale suisse pour faire face à l’assèchement des liquidités sur les marchés. La Fed se contente d’injections très régulières de liquidités à des conditions très avantageuses pour les banques croyant ainsi sauver les meubles et éviter la spirale de la récession. Elle bafoue au passage ses règlements de bonne gouvernance et de transparence car elle refuse de dévoiler les noms des banques bénéficiant de ces fonds accordés en urgence, phénomène sans précédent nuisant à son image de marque et à sa crédibilité.

Ces tentatives de sauvetage désespérées n’ont pourtant même pas contribué à réduire le taux du LIBOR qui est au plus haut depuis sept ans, mettant ainsi de plus en plus en difficulté les banques. Ces dernières arrivent à peine à respecter leurs ratios capitalistiques et tentent de compenser la perte de valeur de leurs créances subprimes douteuses par une augmentation de leurs réserves. La politique quasi autistique de la Fed consistant à fournir des masses de liquidités n’a en rien favorisé la reprise du crédit ni le tassement des taux d’intérêts. En fait, M. Bernanke semble avoir totalement perdu le contrôle dans une conjoncture où le système est paralysé car tout prêt est suspendu du fait du trillion de dollars de papiers-valeurs ne valant plus rien !

Si le souci des pays du G-7 est d’éviter que la crise des subprimes ne dégénère en la plus grosse crise financière de tous les temps, ils se doivent assouplir les réglementations auxquelles sont soumises les banques. Celles-ci ont dû interrompre tout financement en faveur de privés et de sociétés afin de se mettre en conformité avec des ratios capitalistiques devant être alignés sur des avoirs dont la valeur ne cesse de baisser. Si ces réglementations dites de "Bâle" ne devaient pas être assouplies, c’est l’intégralité des marchés monétaires qui en seraient paralysés avec, à la clé, une contraction du PIB mondial et une vague de faillites bancaires. Dans un contexte où les autorités financières des Etats-Unis et de Grande-Bretagne sont réduites à contrôler quasi-quotidiennement la solvabilité d’un certain nombre de banques se retrouvant très nettement sous-capitalisées, le système bancaire moderne risque la déconfiture si les ratios en capitaux requis par les réglementations de Bâle ne sont pas réduits de 8 à 6 % par exemple ! Notre édifice financier actuel est de toute façon à l’orée d’une crise fondamentale, la seule question étant de savoir si cette crise interviendra rapidement à cause de la contraction du crédit ou si elle interviendra ultérieurement du fait de l’effondrement de notre système monétaire.

En dépit de leur incompétence relative face à une situation sans précédent, MM. Bernanke et Paulson ne font néanmoins que gérer « l’héritage » d’Alan Greenspan. C’est en effet l’ancien président adulé de la Réserve fédérale américaine qui, en maintenant trente et un mois durant les taux d’intérêts américains au-dessous du taux d’inflation, a causé la formation de bulles en cascade par l’injection de manière complètement irrationnelle de trillions de dollars sur les marchés financiers et immobiliers. Conscient de sa responsabilité majeure dans le drame qui se joue, Greenspan tente à présent de se dédouaner faisant appel à des prétextes qui ne convainquent personne - de l’effondrement du mur de Berlin à l’expansion chinoise- pour justifier de sa politique quand il était encore à la Fed... C’est pourtant la baisse substantielle des taux américains - ayant atteint 1 % en 2003 ! - en réponse à l’éclatement de la bulle internet qui a fourni le combustible à la formation de ces bulles qui aujourd’hui explosent. Confronté à cette situation. M. Greenspan minimise l’impact de cette politique monétaire au laxisme effrayant. Pourtant, comment est-il possible d’ignorer 3,5 millions de détenteurs de prêts hypothécaires en difficulté et un marché immobilier en pleine tourmente ?

L’ancien président de la Fed reconnaît cependant lui-même sa propre culpabilité lorsqu’il déclare en substance dans article récemment paru dans le Wall Street Journal que la valeur des principales bourses mondiales avait doublé depuis 2002, augmentant leurs capitalisations de plus de 50 trillions de dollars, pendant que l’accélération des prix de l’immobilier dégénérait en une bulle majeure. En effet, ce doublement dans la valeur des capitalisations boursières en trois ans n’est en rien dû à des gains de productivité ou à une augmentation de la demande face à des entreprises toujours plus compétitives et rentables. Ce serait faire injure à l’intelligence de M. Greenspan que d’imaginer qu’il ne s’était pas rendu compte que sa politique monétaire laxiste avait bel et bien favorisé de manière indécente la création de ces mastodontes spéculatifs ! N’était-ce pas du reste son maître à penser, Milton Friedman, qui enseignait que "l’inflation est toujours et partout un phénomène monétaire" ? Tout économiste digne de ce nom aurait pourtant pu anticiper la formation de telles bulles boursières et immobilières du fait d’une inflation mal maîtrisée, inflation qui contamine des pans entiers de l’économie à présent que les bulles explosent... De fait, M. Greenspan a failli gravement à ses responsabilités de "régulateur" impartial en favorisant ouvertement l’expansion et l’euphorie de secteurs financiers détenus et contrôlés par l’élite financière de son pays. Il a persévéré et accentué la doctrine de dérégulation inaugurée sous Reagan, se gardant bien d’intervenir ou même de mettre en garde vis-à-vis de déséquilibres majeurs et de bulles spéculatives dans lesquels s’enfonçait l’économie américaine. De gardien du temple, il s’est transformé en complice.

L’ancien président de la Banque centrale américaine n’a rien tenté non plus contre le développement tous azimuts de « produits financiers structurés » toujours plus sophistiqués et opaques. Il est incroyable que la Fed, cette institution dite de « contrôle » et pourvoyeuse de liquidités ait toléré que les banques puissent créer du crédit à partir de... rien du tout ! Effectivement, les financements accordés par les banques ne figuraient-ils pas à leurs bilans car, dès lors qu’un prêt était accordé, il était aussitôt « titrisé », converti en titres, et ainsi retiré du bilan... Autrement dit, la capacité de ces établissements à accorder toujours et encore plus de prêts n’était en rien remise en question - ni même diminuée - face à l’augmentation massive de ces financements car ces prêts, convertis en titres obligataires ou en produits dérivés revendus sur les marchés, sortaient de facto des bilans des établissements émetteurs. Pendant ce temps, le régulateur en chef des marchés financiers fermait les yeux face aux violations phénoménales des ratios capitalistiques indispensables à la solvabilité des banques et autres entreprises de crédit. En effet, pendant cette euphorie du crédit, les réserves requises comme contrepartie de ces prêts n’étaient nullement provisionnées et c’est précisément ce qui explique pourquoi ces établissements se montraient si généreux et si peu regardants dans l’octroi de crédits : ils étaient persuadés que le risque était nul et que les profits seraient illimités puisque aucune réserve ne leur était demandée en contrepartie ! C’était à proprement parler créer de l’argent à partir du néant ! Par ailleurs, le fait est que ces produits structurés ont usurpé la compétence de la Fed à créer du crédit car cette compétence d’octroi de crédits a été reportée sur les banques et autres institutions financières lesquelles sont maintenant sur le point de déclarer banqueroute car ne pouvant se prévaloir des réserves protectrices adéquates pour contrebalancer l’anéantissement de ces créances totalisant 3 trillions de dollars. Dans une telle conjoncture, on le comprend aisément, les injections répétitives de liquidités de la Fed n’accorderont qu’un répit provisoire aux banques dont certaines - et non des moindres - connaîtront des faillites retentissantes dès lors que la panique s’installera sur les marchés.


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