Le fantasme autour de la création monétaire : 2ème partie

par Paul Jael
lundi 24 juin 2019

Suite de mon article du 21 juin.

Pour analyser les fantasmes suscités par la création monétaire « ex nihilo », rien de tel que de prendre un exemple. En surfant sur Internet, je suis tombé plus ou moins par hasard sur cet article qu’un internaute avait posté sur son blog en 2011.

Je commence par vous donner le lien :

https://blog.rom1v.com/2011/12/comprendre-le-mystere-de-largent-et-le-probleme-des-interets-manquants/

… et vous fixe rendez-vous lorsque vous aurez terminé cette lecture, car la suite de mon texte n’a d’intérêt que pour ceux qui ont lu l’article concerné.

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L’auteur partage avec les autres « ex-nihiloïstes » une incapacité à distinguer entre la technique de création monétaire (qu’il semble avoir comprise) et la gestion de l’offre de monnaie dans l’économie, phénomène d’envergure bien plus large dont la technique de création n’est qu’une pièce du puzzle. Son discours part dans tous les sens parce qu’il mélange une multitude de problèmes bien distincts, avec en arrière-fond permanent des allusions à l’injustice du système. Comme l’auteur, je pense que notre société est pleine d’injustices, mais la méthode de création monétaire n’en fait pas partie.

Son point de départ est correct : je cite l’auteur, parlant d’un prêt bancaire : « Les banques créent alors purement et simplement cette somme par une simple opération d’écriture, et elles le déposent sur votre compte. Cet argent est ensuite détruit au fur et à mesure du remboursement de la dette. L’argent créé est qualifié de monnaie scripturale : de l’argent créé par un jeu d’écriture…  »

Ce qui le turlupine : « C’est le problème des intérêts manquants : si seul l’argent correspondant au principal est créé, comment rembourser les intérêts ? Cet argument, s’il est valide, ne dénonce pas seulement une injustice, il met en évidence une parfaite impossibilité : il n’existe aucun moyen pour la population de rembourser toutes ses dettes envers la banque, puisqu’il n’y a pas assez d’argent en circulation. »

Il connaît pourtant la réponse correcte à laquelle il ne veut pas croire : « il existe au moins un moyen pour la population de rembourser toutes ses dettes envers la banque, il faut considérer que le banquier va dépenser les intérêts dans l’économie. »

Bien-sûr que toute monnaie créée est recyclée sans relâche et se met au service d’une multitude de transactions successivement, notamment pour les intérêts dus aux banques comme pour n’importe quelle autre transaction. Les intérêts perçus constituent leur chiffre d’affaires ; les banques en font ce que font toutes les entreprises : payer les fournisseurs, les salariés et les actionnaires, ainsi que dans le cas présent les intérêts créditeurs aux déposants.

Il y aurait une injustice : « B (NDLR : la banque) a gagné des intérêts sur de l’argent qu’il a créé ex nihilo, sans aucun travail, qu’il a pu ensuite dépenser dans l’économie. » Erreur : l’intérêt rémunère le prêt qui est un véritable service. L’auteur le reconnaît, mais il ajoute tout de suite : « le service fourni n’est pas un service comme un autre : le banquier demande, en échange de quelque chose, ce même quelque chose en quantité plus importante, alors que lui seul a le droit de créer ce quelque chose. ». Le service bancaire EST un service comme les autres[1]. L’auteur a la bonne idée de faire intervenir un producteur de pommes dans son exemple. La banque ne produit pas plus ses services financiers ex nihilo que le producteur de pommes ne récolte ses pommes ex nihilo. Dans les deux cas, le travail des employés (dont l’auteur va jusqu’à nier l’existence pour la banque) est indispensable ; si l’activité bancaire rapportait beaucoup plus que la culture des pommes, tous les investissements s’orienteraient vers la banque et les capitaux quitteraient la culture des pommes, ce qui rééquilibrerait leurs rendements respectifs.

Contrairement à ce que l’auteur affirme, le banquier ne reçoit pas un intérêt sur toute richesse créée, mais uniquement sur les prêts. L’argent avec lequel j’achète mon pain au boulanger a son origine dans un prêt bancaire ; pour autant, la banque ne touche pas un pourcentage sur cet achat. Certes, sans l’existence de prêts bancaires à de nombreux emprunteurs que je ne connais pas, l’argent que j’utilise pour payer mon pain n’existerait pas ; les emprunteurs paient un intérêt sur leur emprunt, c’est tout normal, et l’ensemble des agents économiques utilisent quotidiennement de la monnaie sans payer d’intérêt.

L’auteur semble gêné par le fait qu’une même somme d’argent prêtée successivement plusieurs fois rapporte chaque fois de l’intérêt. Il n’y a pas de différence entre une somme d’argent prêtée à vingt reprises pour un an et le cas où elle est prêtée une fois pour 20 ans. Chaque année, un intérêt devra être payé. Celui qui reçoit l’intérêt le dépensera. Si l’intérêt est gagné par un déposant riche qui l’accumule sur son compte, la banque veillera à ce qu’il ne reste pas « inactif » ; elle le reprêtera.

La monnaie circule ; il n’y a pas plus de raisons de craindre qu’il n’y aura pas assez d’argent pour payer l’intérêt que de craindre qu’il en manquera pour acheter les pommes ou le pain. Ce qui est certain, c’est que, comme l’a compris l’auteur, une économie en croissance aura besoin de plus d’argent ; la masse des prêts bancaires doit alors augmenter. Mais cet accroissement est plus ou moins automatique : lorsqu’elle produit plus, l’industrie a tendance à emprunter plus. Oui, le système monétaire existant implique un perpétuel endettement ; mais d’où vient cette crainte qu’un jour, on n’emprunterait plus assez pour perpétuer le système ? Il peut y avoir des creux conjoncturels. Les banques réduisent alors le taux d’intérêt pour stimuler l’emprunt.

La référence aux faux monnayeurs ne soutient pas la thèse de l’auteur. Il n’a de cesse d’insister sur l’importance du crédit dans la création monétaire. Que je sache, les faux-monnayeurs ne pratiquent pas le crédit. La comparaison est donc boiteuse, même si elle invoque un Prix Nobel.

Quant à l’ « injustice cachée », l’idée que les banques s’enrichiraient indûment par l’astuce de la déflation, elle est absurde. Chaque jour, des milliers de prêts sont accordés et des milliers arrivent à échéance ; il ne peut donc pas y avoir un jour creux dont le banquier pourrait profiter pour acheter à bas prix.

La monnaie de crédit n’est pas le seul système monétaire concevable. On pourrait par exemple imaginer que l’Etat paye ses fournisseurs (jusqu’à une certaine tranche) en créditant leur compte ex nihilo. Serait-ce mieux ? Et puis, dans le passé, on a eu un autre système : la monnaie métallique. Quand les métaux précieux étaient la monnaie, ce n’était pas le crédit qui la créait mais - en simplifiant un peu- l’exploitation minière. Dans ce système, la monnaie coûtait extrêmement cher à la société et manquait de souplesse. Il n'y a pas lieu de regretter un tel système.

 

[1] Chaque type de service a sa spécificité. Ce n’est pas moins vrai de la coiffure, du transport de colis, du courtage immobilier… que du crédit.


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