Le groupe Lagardère prend le chemin de la convergence

par thierryro
mardi 18 mars 2008

Lagardère a publié mercredi 12 mars ses résultats pour l’année 2007, confirmant une restructuration du groupe sur les pôles média entamée il y a dix ans. Les activités de production, édition, distribution de contenus s’inscrivent dans une logique de convergence, un terme qui semblait annoncer au début des années 2000 un Eldorado que certains cherchent encore... Tablant sur des dynamiques de profit transversales autour de thématiques comme le sport, la musique ou la jeunesse, le groupe Lagardère emprunte aujourd’hui ce chemin sur lequel s’était perdu Vivendi.

L’aérospatiale et la défense mises à part, Arnaud Lagardère n’ayant jamais caché ses intentions de progressivement se désengager d’EADS, le géant aéronautique européen n’intégrant d’ailleurs pas les comptes 2007, le groupe Lagardère déploie aujourd’hui ses activités au sein de quatre branches : l’édition, la distribution, la presse (papier et audiovisuel) et le sport. La stratégie affichée met l’accent sur les contenus, les droits de diffusion, les événements sportifs.

La politique de convergence de Vivendi avait pour objectif le contrôle commun des contenus et des accès, permis par plusieurs années d’investissements dans les réseaux câblés, SFR, Canal+, etc. Celle de Lagardère mise plutôt aujourd’hui sur l’exclusivité des contenus, le meilleur exemple étant les droits sportifs, et le développement d’une "chaîne de valeurs" transversale au groupe, avec notamment les lignes éditoriales musicales ou destinées à la jeunesse.

Passer au numérique

La nomination de Didier Quillot en septembre 2006 a marqué un tournant dans l’organisation et le développement du groupe : l’ancien patron d’Orange France a eu pour mission de fusionner au sein de la branche Lagardère Active les activités audiovisuelles (radio, télévision, internet) et celles d’Hachette Filipacchi Médias (260 titres de presse écrite). Responsable de l’émergence de la télévision sur mobile notamment, Didier Quillot a largement contribué à faire d’Orange un véritable diffuseur de contenus et pas seulement un opérateur télécoms. C’est ainsi que la marque de téléphonie a signé des accords d’exclusivité pour les albums de Johnny Hallyday et Madonna, ou pour la Ligue 1 de football. Remplaçant Gérald de Roquemaurel, qui a fait toute sa carrière dans la presse, sa mission était claire : partir à l’assaut du numérique, faire de Lagardère un fournisseur majeur de contenus multimédias.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que le groupe français n’était pas en avance : la quasi-totalité des titres de presse, des stations de radio et des chaînes de télévision avaient des sites internet vitrines, reproduisant sans plus-value des contenus très statiques. Seul le site d’Europe1 avait bénéficié d’une mise à jour importante pour se mettre à l’heure du podcast. Le passage au numérique représentait alors, et représente toujours à mon avis, un enjeu vital pour un secteur de la presse en difficultés.

Outre son CV "télécoms", Didier Quillot, précédé d’une réputation de stratège plutôt ambitieux, pouvait se targuer d’avoir mené à bien la fusion des marques Orange, Wanadoo et MaligneTV. La restructuration qu’il devait superviser chez Lagardère était d’une importance cruciale pour le groupe, même si les médias traditionnels se portent bien dans les pays émergents et que la presse magazine est finalement plus dynamique qu’on pourrait le penser. Il faut cependant remarquer que si l’année 2007 a été très bonne, c’est probablement lié à la campagne électorale et à l’avalanche de couvertures sur Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy, puis sur le président une fois élu. A terme, on peut tout de même parier sur une érosion de la presse au profit d’internet.

Le groupe se focalise sur l’automobile, le féminin, les news et le people, des domaines encore porteurs, mais il est certain que seule une parfaite complémentarité du papier avec le numérique pourra assurer la survie des magazines. Les sites évoluent de plus en plus, et surtout les moyens de lecture mis à la disposition des internautes. Il faudra beaucoup de créativité pour que nous continuions de dépenser chaque semaine de précieux euros dans du papier glacé ! Le groupe ne veut plus développer de magazine qui ne soit rattaché à un site web, et certains titres disparaissent même des kiosques et n’ont plus qu’une version numérique.

En ce qui concerne la presse quotidienne, elle est en crise depuis longtemps, et la concurrence avec internet est encore plus rude. Lagardère gagne de l’argent avec la régie publicitaire du Monde.fr, mais le journal papier est de toute évidence nettement moins prometteur.

En décembre 2006, Lagardère a racheté pour 74 millions d’euros Newsweb, premier groupe média internet sur la cible masculine avec près de 3 millions de visiteurs uniques par mois (Sports.fr, Sport4fun.com, Football.fr, Autonews.fr, Boursier.com et LeJdd.fr). S’en sont suivies la fusion des deux régies publicitaires Lagardère Active Publicité et Interdeco, et la création de deux directions transversales : l’une gérant le portefeuille de marques et l’autre la stratégie internet du groupe sur tous les médias. Pour diriger cette dernière, une nouvelle recrue : Julien Billot, ancien directeur produits et services chez... Orange.

Tout récemment, Lagardère a fait l’acquisition pour plus de 70 millions d’euros de 53,38 % du groupe Doctissimo, qui représente neuf millions de visiteurs uniques (Doctissimo.fr, Fluctuat.net, Ados.fr et Momes.net), avec un enjeu de positionnement évident sur les segments féminin, santé, culture et jeunesse, et sur des forums généralistes très fréquentés. On a beaucoup dit que Doctissimo était cher payé, mais quand on voit que le chiffre d’affaires du groupe a progressé de 75 % à 11,47 millions d’euros en 2007, avec une marge opérationnelle évaluée à 40 %, je trouve pour ma part que c’est plutôt Newsweb qui a été largement surévalué.

La part du chiffre d’affaires de Lagardère provenant d’internet a triplé en un an, et pourrait approcher les 10 % dès cette année, une évolution plus rapide que prévue.

Explication : la publicité est très dynamique sur internet ! Alors que ce marché n’avait pas tenu ses promesses au début des années 2000, rappelez-vous l’éclatement d’une certain bulle, il est aujourd’hui beaucoup plus en forme que sur les autres médias.

Pourtant Didier Quillot a annoncé que Lagardère Active ralentirait les acquisitions sur internet. Craindrait-on un essoufflement prochain du web 2.0 ? Le résultat opérationnel de la branche est en en hausse de 10,8 % à 214 millions cette année, pourquoi d’autres achats stratégiques sur internet ne sont pas envisagés ?

Le livre, enfin, se porte plutôt bien : en trois ans, Hachette Livre est passé du 14e au 2e rang mondial du marché de l’édition, avec notamment le rachat pour 1,1 milliard d’euros de Time Warner Book et d’une partie de l’édition de... Vivendi Publishing.

Moins d’intérêt pour la télévision

Lagardère hésitait jusqu’à maintenant entre la diffusion et la production télévisuelle. Le groupe choisit aujourd’hui de privilégier la production et ambitionne de devenir un acteur de premier plan sur ce marché.

Takis Candilis a récemment quitté son poste de directeur général adjoint chargé des programmes de TF1 pour celui de directeur général délégué à la production chez Lagardère Entertainment (qui regroupe les activités de production et de distribution audiovisuelles, production de spectacles vivants, management d’artistes et gestion de droits audiovisuels), une nomination qui se veut aussi symbolique de l’évolution du groupe que celle de Didier Quillot.

Les contenus ont d’ailleurs vocation à être diffusés non seulement en télévision, mais également (et surtout, peut-on le prédire), sur les supports numériques.

Le rachat de la société de marketing et de droits sportifs Sportfive en décembre 2006 (pour 860 millions d’euros) a annoncé le développement du groupe dans le sport. De nouvelles acquisitions d’événements sportifs et de groupes, notamment en Asie et en Amérique du Sud, sont envisagées. Le sport représente actuellement 5 % du chiffre d’affaires et 10 % du résultat d’exploitation. À terme, il devrait peser entre 20 et 30 % du bénéfice opérationnel, à égalité avec l’édition, la distribution et la presse. La branche apparaissait cette année pour la première fois dans les comptes de l’entreprise. Avec une marge opérationnelle de plus de 15 %, c’est la plus dynamique et la plus rentable, alors même que l’acquisition de Sportfive était loin de faire l’unanimité. Les droits de diffusion de l’Euro 2008 de football devraient confirmer la tendance.

Si Lagardère a bientôt l’opportunité de monter sa participation dans Canal+ de 20 à 34 %, aucune décision n’a été prise. Là encore le groupe se démarque de la politique choisie par Vivendi quelques années plus tôt. Le modèle économique des contenus premium est tout de même préféré à celui de la télévision en clair, et au sujet de l’acquisition d’une grande chaîne de télévision, Arnaud Lagardère a déclaré au Figaro avoir "changé d’avis" et n’être intéressé ni par TF1, si elle était à vendre, ni par France 2 dans l’hypothèse où elle serait privatisée.

La réaction du marché

L’année dernière, les investissements de Lagardère dans le sport et internet avaient été plutôt fraîchement accueillis, qu’en était-il cette semaine alors que le groupe confirme le sens de sa mutation ?

Le chiffre du bénéfice net pour l’ensemble des activités (+83,5 % à 534 millions d’euros) a été repris un peu partout dans la presse, mais ne renseigne pas bien sur l’activité de l’entreprise puisqu’il tient compte de la plus-value réalisée sur la vente de 2,5 % d’EADS. En fait le "résultat opérationnel courant des sociétés intégrées" est en hausse de 22 % à 636 millions d’euro, et le résultat ajusté en recul de 7,2 % à 361 millions d’euros. Difficile de s’y retrouver dans les différentes données exprimant la santé financière du groupe, mais selon les analystes de Natixis les chiffres sont dans l’ensemble supérieurs aux attentes, notamment pour la division magazines. Les analystes de la Société générale ont quant à eux considéré que les recettes publicitaires ne représentant que 17 % de l’activité globale, l’exposition cyclique du groupe était réduite, dans un contexte assez morose. Ils ont relevé par ailleurs les prévisibles bénéfices liés à l’Euro 2008 (que d’enjeux pour un ballon rond !).

Enfin l’objectif prudent d’une croissance de 3 à 7 % du résultat opérationnel des activités médias est conforme aux prévisions des différents analystes.

On pourrait donc conclure à un bon accueil de la stratégie du groupe par le marché. Pourtant, le titre Lagardère succombait jeudi 15 mars, le lendemain de l’annonce des résultats, au repli général du marché, les investisseurs n’accordant finalement que peu d’importance aux résultats annuels et aux perspectives. Il faudra donc attendre quelques temps pour commenter l’évolution du cours, et encore un peu plus pour constater si le "virage médiatique" pris par Lagardère a bien été négocié.

Une chose est sûre, le groupe s’est résolument engagé dans cette direction, et sur le chemin de la convergence, probablement mieux balisé aujourd’hui qu’il ne le fut pour Vivendi. Une transformation qui pourrait bien lui profiter, à condition de ne pas manquer les prochaines évolutions d’un secteur en perpétuel mouvement.


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