Le libéralisme : contre ou contre ?

par Yves
jeudi 21 septembre 2006

 

L’impression est parfois assez forte que, dans le débat public, une partie du problème traité est ignorée, voire occultée. C’est, je trouve, le cas lorsqu’on parle du libéralisme.

 

Le principe du libéralisme est fort simple : quand deux entreprises sont en concurrence, celle qui fournira le meilleur service attirera la clientèle, donc survivra. Il est donc important de laisser les lois du marché régler leur compte aux incapables, et donc de laisser l’État, cet idiot, en dehors de tout ça pour que s’applique une sélection naturelle. C’est le principe exposé, entre autres, par Adam Smith, qui, pour la petite histoire, inspira aussi Darwin pour l’énoncé de sa théorie de l’évolution. Mais le débat semble un peu trop limité à une simple réflexion sur le concept.

Il est difficile de situer précisément d’où vient le récent regain d’intérêt pour cette théorie économique. Peut-être de l’action de F. Hayek, prix Nobel d’économie en 1974 et libéraliste convaincu. De toute façon, la confrontation entre libéralisme et interventionnisme n’a jamais vraiment cessé.

En 2001, G. Akerlof, J. Stiglitz et M. Spence obtiennent le prix Nobel d’économie pour avoir démontré, par un travail sur "l’asymétrie de l’information", que le principe de libre-concurrence ne fonctionne pas toujours. Tiens donc, mais s’il y a une faille, pourquoi n’y en aurait-il pas d’autres ? D’accord, avoir le Nobel ne veut pas dire avoir raison, mais alors, et Hayek ? Déjà un aspect du problème dont on ne peut pas dire qu’il soit souvent abordé. Mais ce n’est pas le pire.

Même si l’usage courant du mot regroupe différentes approches, pas forcément toutes compatibles, c’est bien en son nom qu’on décide de mettre en concurrence directe différents systèmes sociaux, qui ne sont pas forcément armés pour ce genre de confrontation. Et c’est là que le bât blesse, car une concurrence saine ne peut se faire que si aucun des concurrents n’est handicapé. Or, certains modèles de société le sont par rapport à d’autres. Prenons un exemple.

Quand j’achète un melon provenant disons d’un pays d’Europe, je ne paie pas que le melon. L’agriculteur qui l’a produit paie des impôts, il emploie des ouvriers pour lesquels il paie des charges et qui eux-mêmes paient des impôts. Toutes ces charges financières permettent de faire fonctionner un système qui fournit à tous une assurance santé, une assurance vieillesse, une assurance chômage, une école, une société stable, un cadre législatif permettant une vie tranquille, etc. À partir du moment où je mets en concurrence le melon en provenance d’un pays offrant tous ces avantages à ses citoyens, et un melon venant, disons d’Atopia, pays dans lequel rien de tout ceci n’existe, je fausse le jeu. Un melon produit par des esclaves sous-payés, n’ayant aucune garantie de quoi que ce soit et peu de chance d’être un jour en retraite, sera forcément vendu beaucoup moins cher.

La protection de mon modèle social impose donc à mes yeux que ne puissent être comparés que des produits venant de systèmes identiques, au risque de voir le mien s’écrouler. En effet, pour vendre son melon au même prix que le melon d’Atopia, l’agriculteur européen sera tenté d’appliquer les mêmes méthodes, par exemple en recourant au travail au noir. Ou alors il ferme boutique, et c’est la fin du modèle qu’il a fallu tant de siècles à construire. Et, peu à peu, nous voyons s’écrouler sous nos yeux des pans entiers de notre économie, sans obtenir d’explication autre que : "Le libéralisme nous force à être, pour notre bien, plus concurrentiels". Mais est-ce forcément un bien, d’être plus concurrentiel ?

Vu l’importance de l’enjeu, je pense que là aussi, il y a matière à réflexion, surtout dans un pays menacé par ce danger et dans lequel la classe politique semble, dans sa grande majorité, défendre ou au moins accepter ce principe.

Inversement à cet excès de libéralisme, il est un autre domaine où l’excès proviendrait plutôt de son absence. Pour fonctionner, le libéralisme exige, entre autres, un moteur essentiel : la concurrence. Dans certains secteurs, l’entreprise privée a vite mis au point un bon principe qui devrait à mon sens lui valoir un Nobel aussi mérité que les autres : supprimer la concurrence permet à tout le monde de survivre sur le dos du client. Ainsi, banques, assurances, opérateurs de téléphone, de manière tacite ou organisée, proposent une offre tellement désordonnée et touffue que personne ne s’y retrouve, atteignant ainsi ce que Scott Adams appelle le niveau d’embrouille (Le principe de Dilbert, en vente partout). Là, par contre, un peu de concurrence ne ferait pas de mal. Et hélas, les seuls à agir en ce sens sont les associations de consommateurs.

Bref, le libéralisme, il y en a là où il n’en faut pas, et il n’y en a pas là où il en faudrait.

Alors, plutôt que de rester figé dans des discussions sans fin pour savoir si dans un monde théorique deux entreprises peuvent s’affronter pour le plus grand bonheur du client, il serait peut-être nécessaire que le débat s’étende un peu. Les millions de tonnes de textiles chinois déferlant en Europe au nom de la saine concurrence font des dégâts énormes, et une réflexion sur la remise en cause des principes libéraux et sur l’opportunité d’une bonne dose de protectionnisme appliqué aux frontières de l’Europe ne serait pas de trop.


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