Le libéralisme, quel libéralisme ?

par Bergame
lundi 27 mars 2006

La semaine dernière, on pouvait visionner sur les chaînes hertziennes deux reportages susceptibles de faire réfléchir sur la sociologie politique de notre pays. L’un analysait la situation socio-politique en Suède, fief de la social-démocratie, l’autre celle du Canada, pays libéral. Ne semblerait-il pas qu’il existe pourtant des convergences ?

Le premier traitait de la Suède. Dans ce bastion de la social-démocratie, très haut au palmarès des prélèvements obligatoires, l’équipe de journalistes français avait choisi de suivre le ministre de l’Education, Turc immigré, ancien leader syndical, parvenu aux plus hautes fonctions de l’Etat dans son pays d’adoption, qui pouvait se payer le luxe, lors de ses meetings, de plaisanter rétrospectivement sur son parcours exemplaire : "Lorsque j’étais jeune, en Turquie, je ne me voyais pas destiné à autre chose qu’à devenir berger."

Le gardien de moutons devenu ministre dans le bastion de l’archaïsme social-démocrate conviait alors l’équipe à suivre son déjeuner. Déjeuner au sommet, ce jour-là, puisque le ministre de l’Education avait pour commensal la ministre de la Défense. Tous deux se retrouvaient donc... à la salle à manger commune installée dans les locaux du Premier ministre. Le réfectoire des ministres ! 6 euros maximum par repas et par personne. On leur apprit que leurs homologues français pouvaient avoir 10 personnes dédiées uniquement à leur cuisine. "Tu entends cela, Ahmed ?", plaisanta le ministre de l’Education en interpellant le cuistot de la cafét. D’un seul coup d’un seul, on se surprenait à partager son étonnement.

Le second reportage avait, lui, choisi le Canada, puisqu’il paraît que le Canada est le pays qui fait actuellement rêver les Français. Même si on découvrait que derrière les effets de (petite) annonce, la réalité de l’Alberta n’était pas aussi rose qu’elle promettait de l’être, il fallait bien reconnaître qu’il existe un miracle économique canadien. Le reportage était d’ailleurs construit sur une hypothèse intéressante : La France d’aujourd’hui se situe au même stade que le Canada des années 1990. Même dette, même chômage. La question était alors : comment le Canada a-t-il fait pour devenir en dix ans le premier de la classe ?

Lorsque le Parti libéral arrive aux affaires, il commence par une mesure très simple : tous les salaires des fonctionnaires sont bloqués, à commencer par ceux des membres du gouvernement eux-mêmes. "On a laissé les cadillacs au garage", dit Jean Chrétien. Bien sûr, cela n’était qu’un effet d’annonce. Sans doute. Mais on se prenait à penser que cet homme avait tout compris. Et l’instant d’après, on réalisait que ce n’était d’ailleurs pas si complexe.

Le verbe, et la méthode. "Plutôt que d’amputer chaque budget de 10%, on a dit aux ministres : sur 4 projets, vous en gardez un, et vous abandonnez pour l’instant les 3 autres". Mais celui-là, on lui donnait des moyens." On notait le passage d’une gestion par budget à une gestion par projet, on enregistrait la réduction d’effectifs dans l’administration, ciblée particulièrement sur les process de multi-contrôle, on s’émerveillait du pragmatisme et louait le courage politique, lorsque le reportage revenait à Paris. Jean-Pierre Raffarin, bon connaisseur du Canada paraît-il, était interrogé sur le succès de ses collègues d’outre-Atlantique. On vit donc notre ancien Premier ministre réformateur déambuler sous les dorures du Palais du Sénat, serrer quelques mains devant les caméras, avant de prendre place sur le velours rouge d’un large fauteuil et déclarer : Chrétien, un grand politique, mais avant tout : un grand manager !

Bien entendu, la juxtaposition est aisée, mais le reportage y incitait : voilà donc ce qu’en France, on appelle le libéralisme. Et on ne se contente pas de le dire : on le proclame, on le crie, on le hurle, on nous dit que nous n’avons plus le choix, on nous dit qu’il faut suivre la voie, que la France est le pays de l’archaïsme, que l’ordre mondial est libéral et qu’il faudra bien nous y plier ! Admettons. Mais de quoi parle-t-on exactement, lorsqu’on parle de libéralisme ?


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