Le lion Euro rugit ce soir !

par maltagliati
samedi 10 mars 2012

Est-il trop tôt pour faire un bilan de la récente crise grecque ? En tout cas, elle vient de se résoudre ce vendredi 9 mars par le versement d’un premier montant permettant à l’État grec de faire face aux échéances du 20 mars prochain et lui évitant de se trouver en cessation de paiement.
 
La Grèce a fait défaut en restant dans l’euro
 
Il faut reprendre les fondamentaux pour voir la réalité bien en face : à tous ceux qui prédisaient la sortie de l’euro pour la Grèce ou alors un éclatement pour la zone euro, la situation a apporté un démenti formel. La Grèce a bien fait défaut, pour un montant très important, mais de manière partielle et ordonnée, et DANS l’euro. Le lion euro peut donc rugir ce soir, car il s’est montré capable d’affirmer sa force dans une situation particulièrement délicate. Bien sûr on peut faire la fine bouche en montrant que la zone euro n’y est arrivée qu’en passant par ce à quoi elle ne voulait pas en venir, la mise en marche de la planche à billets (LTRO du 21 décembre et du 29 février), mais on peut aussi souligner que la crise a permis d’obtenir une modification très importante du Traité européen, qui évolue grâce à elle dans le sens d’une union politique supranationale.
 
Pour la Grèce, le bilan du défaut de mars 2012 est mitigé. Malgré une aide de 130 milliards €, la dette ne sera réduite que d’une vingtaine de milliards. Maigre bilan ? Il s’agit de fait d’un gros investissement pour une détente très très relative sur le front de l’endettement pour l’État grec, surtout qu’à l’investissement des États européens correspond sur le terrain une tension de plus en plus vive pour la population grecque. La récession de 7,5% enregistrée en 2011 donne peu de chance à l’État grec de s’en sortir sans un nouveau défaut et de nouvelles aides… D’autres États prennent son chemin… La crise de février/mars n’est pas la fin d’un processus, mais sa simple mise en place !
 
La fin d’une politique
 
D’une manière générale, le défaut, même partiel, même ordonné, même limité à un pays périphérique de la zone euro, ajoute un doute de plus à tous ceux qui seraient encore tentés d’investir en obligations d’État. Ne parlons pas de la Grèce, ce n’est pas demain qu’elle pourra se représenter de manière autonome sur le marché des fonds d’État. Mais le problème s’étend à l’Espagne (qui a profité de l’occasion pour montrer le bout du nez), à l’Irlande et au Portugal, à l’Italie… et à la France. La tension sur ce marché avait même touché la vertueusissime Allemagne en novembre dernier. Bref les États vont avoir de plus en plus de mal tant à refinancer la Dette existante qu’à en financer de nouvelles. Et comme leurs dettes sont pour une bonne part à très court terme, ce sont des sommes immenses qui doivent être prélevées de mois en mois sur le marché des capitaux. Ambiance !
 
Nous sommes dominés depuis des lustres par la pensée unique keynésienne : l’État doit dépenser, la dépense d’État n’est pas une vraie dépense puisqu’elle fait tourner l’économie du pays etc.etc. Et cette pensée n’a pas du tout été remise en question par le néo-libéralisme apparu dans les années 1990. Au contraire, en privatisant des pans entiers de l’économie d’État, on a évité que le gonflement du bibendum ne soit trop perceptible. Mais comme je l’ai déjà dit et répété, qu’est-ce que cela change à la réalité que les transports soient gérés par une société nationalisée ou concédés par un contrat d’État à une firme privée qui les rentabilise ? [1]
 
Ce qui change et va changer, c’est que l’économie d’État, plutôt que d’être en perpétuelle extension, se restreint et devra se restreindre. On a beau jeu de dire que les politiques d’austérité ne sont pas une solution car elles accentuent la récession et donc rendent encore plus difficile de supporter les charges de la dette, le problème est bien que le mécanisme d’entraînement de l’économie toute entière est dans les marchés d’État. Dire qu’on doit les poursuivre pour qu’on puisse assumer les charges de la Dette, c’est dire qu’on doit continuer de s’endetter pour supporter ces charges, ou encore reconnaître que l’on ne peut traiter la maladie qu’en s’enfonçant de plus en plus profondément dedans…
 
La Grèce a depuis son entrée dans l’Union été arrosée d’argent sous cette logique de la mettre à niveau, de lui faire rattraper son retard, etc. pour rejoindre la modernité européenne, mais tout cela n’était que faux prétexte à une politique menée par de petits caciques corrompus – de droite comme de gauche – qui se sont acharnés à corrompre le corps social en poursuivant leurs intérêts dans des projets politiques de petits potentats locaux. Au bout du compte, que reste-t-il ? Un gouffre d’endettement et une société déboussolée.[2]
 
Mon bilan
 
Si vous vous demandez pourquoi je m’intéresse à ce point à la Crise de la Dette et pourquoi je tente de communiquer cet intérêt par mes articles, c’est précisément à cause de cela : la Crise de la Dette marque la fin d’une politique. Une politique qui gangrène notre Société depuis un siècle (1914) et plonge l’humanité dans l’absurde. L’argent facile, l’endettement à l’infini, a donné aux politiques une marge de manœuvre immense et en apparence sans limite, puisque comme l’affirment certains naïfs, il suffit que la Banque centrale prête à taux zéro à l’État et que celui injecte cet argent dans la société par ses projets, pour que tout aille pour le mieux.[3]
 
Nous ne subissons pas une crise économique, nous traversons une crise historique. La thèse selon laquelle c’est à l’État de dynamiser la Société - une thèse née dans le sillage de la Grande Guerre - a connu une première mort en 1989. Un Empire s’est effondré comme un château de cartes. Nous poursuivons aujourd’hui par l’effondrement d’un autre Empire et nous nous retrouvons (enfin !) devant une question fondamentale : où est le dynamisme de la Société ? C’est la question centrale qui m’intéresse dans cette situation !
 
A suivre…
 
Les sujets de préoccupation ne manquent pas. Dans l’immédiat, c’est la question des CDS (assurances en cas de défaut) qui n’est pas résolue. L’État grec ayant forcé la main aux derniers détenteurs d’obligations réticents à l’échange volontaire, les CDS vont devoir entrer en action. Personne n’en mesure l’impact, mais c’était sans doute un des buts annexes de la présente opération que de mesurer cette « inconnue ».
L’extension de la crise grecque à d’autres pays de la zone euro est elle aussi un dossier qui retiendra toute l’attention dans les prochains mois.
 
La « crise » est permanente et le moindre des paradoxes actuel n’est pas que nos politiques comptent bien sur elle, car la Crise est bien devenue une méthode de gouvernance. Que pourrait-on faire sans elle ?
 
MALTAGLIATI


[1] Ce que l’usager « perd » dans ce cas parce que le privé doit faire du profit, il le regagne de l’autre côté parce que la gestion privée est beaucoup plus performante que celle de fonctionnaires, car toujours susceptible d’être remise en question par le « client », le fonctionnaire étant lui en place une fois pour toutes. Cette remarque ne clôt pas ce débat, elle voudrait le situer à sa vraie place.
[2] Ce problème était patent il y a dix ans déjà, mais a été occulté par les soins des autorités à l’aide d’experts financiers de Goldman-Sachs.
[3] Une fable qui a déjà eu cours vers 1920 dans l’éloge de ce que l’on appelait à l’époque « le circuit » : la Banque centrale avance à l’État qui dépense et se couvre en émettant des obligations dont la vente fait rentrer les billets. Ici on fait mieux : la Banque centrale injecte des liquidités en reprenant les anciennes obligations… Mais 1929 a suivi le circuit, alors qu’ici cette pratique accompagne la crise.

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