Le losange ou le sablier ?

par thomlep
mercredi 2 mai 2007

Beaucoup de ceux qui vont voter Nicolas Sarkozy vont le faire en estimant qu’il est plus à même de mettre en œuvre les réformes économiques dont la France a besoin. Beaucoup de ceux qui ont votés François Bayrou hésitent à voter Ségolène Royal, parce qu’ils pensent la gauche incapable de mener à bien les réformes qui s’imposent... Alors de quoi parle-t-on ?

En fait, il s’agit d’un véritable choix de société. Il s’agit de faire le choix entre le losange et le sablier...

Nicolas Sarkozy propose une société structurée en sablier. En haut, de plus en plus de gens riches et même très riches, en bas de plus en plus de gens pauvres et au milieu un rétrécissement significatif de ce qui a fait le ciment de nos société depuis 1945 : la classe moyenne. Electoralement, il a pour l’instant réussi un sans faute. En promettant l’abolition de l’impôt sur le patrimoine, la mise en œuvre d’un bouclier fiscal à 50%, une baisse du taux de prélèvements obligatoires de 4%, la TVA sociale (qui permet de transférer sur les salariés le financement de la Sécurité Sociale), il a conquis les nantis, les actionnaires (nouveau nom des rentiers), les hauts revenus, les commerçants... Il n’y a qu’à voir les scores quasiment soviétiques qu’il a obtenus dans les XVIe (64%), VIIe, VIIIe, XVIIe ou même Ve arrondissements de Paris... Argument imparable aux yeux de l’opinion, cette politique serait efficace économiquement et nouvel argument, tout aussi imparable : si nous ne mettons pas en œuvre cette politique, nos élites vont quitter la France pour aller en Angleterre, au Luxembourg ou en en Suisse et la France va perdre ses forces vives, celles qui créent de la richesse.

De l’autre côté, il est indéniable que Nicolas Sarkozy, a réussi à attirer sur son nom une très grande partie des électeurs populaires et en particulier ouvriers. (cf. ses scores dans le Nord de la France, par exemple). Ceux-là mêmes qui votaient Le Pen auparavant. C’est l’autre bout du sablier (La France d’en bas comme disait un ancien Premier Ministre). On pourrait être surpris que Nicolas Sarkozy arrive à faire le lien entre cette partie de son électorat et l’autre, disons le Patronat, tant leurs intérêts apparaissent divergents et incompatibles. C’est qu’à ceux-là, Nicolas Sarkozy leur promet la sécurité et avalise dans les faits le discours anti-immigration de Jean-Marie Le Pen depuis vingt ans. Finalement, ces électeurs ont bien compris que Jean-Marie Le Pen ne serait jamais au pouvoir, alors autant voter pour un candidat qui va mettre en œuvre, même de manière atténuée, ses idées... A ces classe populaires, il promet aussi une hausse du pouvoir d’achat par le travail : travaillez plus et vous gagnerez plus, leur dit-il en substance, ce qui convient parfaitement aux chefs d’entreprises, d’autant plus que les heures de travail supplémentaires seront défiscalisées. La boucle est bouclée... du grand art !

A l’inverse, Ségolène Royal (et François Bayrou d’ailleurs), se propose de faire perdurer le modèle social qui a prévalu depuis 60 ans mais qui a été mis à mal ces vingt dernières années. Un modèle essentiellement basé sur la redistribution des revenus, principalement au profit des classes moyennes. C’est le principe du Losange : une société où l’essentiel de la population se concentre dans la partie large du losange et qui tend à réduire le nombre des très riches (par la taxation et l’impôt) et des très pauvres (par l’éducation et la redistribution). Ces classes moyennes (les cadres moyens et une partie des cadres supérieurs, les fonctionnaires, les professions intermédiaires, etc....) estiment que leur âge d’or est révolu. Ni la gauche socialiste, ni la droite modérée n’ont véritablement réussi en enrayer leur déclin. Elles sont inquiètes pour leur avenir, pour leurs retraites, pour leurs enfants... Et force est de constater qu’elles ne croient plus beaucoup au discours de réforme soft ou à la relance par la croissance. Même si la Gauche a depuis vingt cinq ans obtenus de meilleurs résultats économiques que la droite (que ce soit en termes de croissance ou de creusement de la dette par exemple), ceux-ci n’ont pas été suffisamment significatifs pour créer l’adhésion. Pour résumer, les 35 heures ont créé des emplois... mais pas assez.

La question est donc : Ségolène Royal peut-elle mettre en œuvre une politique économique efficace, qui fasse perdurer ce modèle social du losange ? Ma réponse est assurément OUI. Au cours de cette campagne, elle a montré qu’elle était capable de courage politique. Il est indéniable, que, contrairement à beaucoup de partis sociaux démocrates européens, le PS n’a pas fait sa mue idéologique. Par bien des aspects, c’est un parti archaïque, dont le logiciel idéologique date de trente ans. Au début de sa campagne - avant son investiture, Ségolène Royal a surpris par son audace, n’hésitant pas, par exemple, à critiquer la mise en place des 35 heures. Puis elle a du composer avec son parti, faire avec le projet présidentiel, fruit de nombreux compromis et rédigé avant son investiture. Faire avec les coups bas des éléphants... Je regrette personnellement qu’elle n’ait pas été plus loin dans son affranchissement idéologique vis-à-vis du PS mais je crois en sa capacité à mettre en œuvre des réformes audacieuses, même si - campagne oblige - elle ne peut pas le dire aussi clairement aujourd’hui. Elle a déjà été très loin, le PS est aujourd’hui au bord de l’explosion !

Alors quelles réformes ? Les réponses sociales-démocrates sont depuis longtemps déjà connues, la grande majorité des économistes s’accordent à la fois sur les constats et sur les remèdes : Assouplissement du marché du travail en échange d’une formation tout au long de la vie (notamment pour régler le problème du taux d’emploi des seniors), Investissement massif et décentralisé dans la recherche et dans l’éducation, notamment supérieure, libéralisation des services, puis réduction de la dette. Ce modèle a été mis en œuvre avec succès dans les pays nordiques, en Autriche, en Irlande, au Canada... Seul problème : ces réformes - structurelles - n’auront un impact significatif qu’au bout de cinq ans...

En tout état de cause, ce programme n’a rien à voir avec celui, néo-libéral que veut mettre en œuvre Nicolas Sarkozy qui ne fera que creuser les inégalités et qui ne réglera pas les problèmes structurels dont la France souffre aujourd’hui.

PS Il va de soi que ces réflexions ne sont pas - pour la plupart - de mon fait, mais un résumé d’émissions écoutées et d’articles lus au cours des dernières semaines. Pour ceux qui veulent en savoir plus, je vous invite à lire les chroniques d’Eric Le Boucher dans Le Monde, d’écouter chaque dimanche de 11h00 à Midi ‘L’Esprit Public’ animé par Philippe Meyer sur France Culture et de lire les ouvrages des économistes Daniel Cohen (notamment Trois leçons sur la société post-industrielle) et Thomas Piketty. (sur la redistribution des revenus).


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