Le MEDEF séquestre les entreprises de France

par masuyer
jeudi 9 avril 2009

Le MEDEF par la voix de la très médiatique Laurence Parisot se plaît à mettre en avant les PME et TPE et à parler en leur nom. Brossant en creux le portrait idyllique d’un entrepreneur, aventurier des temps modernes, bâtissant son rêve à la force du poignet. Un Christophe Colomb que les forces obscurantistes étatiques ne cessent d’entraver dans sa quête des Amériques. On peut voir les choses autrement.

Il est vrai que ce portrait est flatteur et on comprend aisément que l’entrepreneur lambda veuille s’y reconnaître, jusqu’à confondre ses intérêts avec ceux de Laurence Parisot, Ernest-Antoine Sellières, Bolloré, Bouygues, etc.…. Mais à regarder de plus près, est-ce si évident que ça ? Et ne faut-il pas repenser à la citation de Marx qui veut que « les idées dominantes d’une époque n’ont jamais été que les idées de la classe dominante » [1] ?


Si j’en crois Laurence Parisot, les principaux adversaires de l’Entrepreneur sont le code du travail et les prélèvements obligatoires. Pour le code du travail, il se trouve que l’immense majorité des entreprises ne sont pas concernées, vu que plus de 85% des entreprises n’ont pas de salariés [2]. De plus, il se trouve que c’est parmi les entreprises n’ayant aucun salarié au démarrage que le taux de survie à 3 ans est le plus faible [3]. Pourrait-on avoir à ce sujet l’avis de Mme Parisot ? Pour les prélèvements obligatoires, il faut comprendre ce qu’entend le MEDEF sous ce terme. La responsabilité civile professionnelle, les frais bancaires ou de comptabilité en font-ils partie ? Je ne crois pas. En fait il s’agit de ce qu’en langage courant on appelle les charges. En effet, en langage patronal, charge signifie cotisations sociales et impôts et taxes et, confirmant la maxime de Marx citée plus haut, c’est aujourd’hui l’acceptation courante de ce vocable. En fait, la réalité est toute autre. Une entreprise à des charges et des produits d’exploitation. Ces charges sont pour certaines fixes et d’autres variables et sont ce que consomme l’entreprise [4] pour la production de biens et de service. Il n’y a pas de produit sans charge. Cela peut-être la location d’un local, un abonnement téléphonique, de la pub, des assurances, de l’essence, un véhicule, les salaires ou les prélèvements privés d’un entrepreneur individuel.


Pour augmenter son résultat net, deux solutions : diminuer ses charges d’exploitation et/ou les prix de vente de ses produits. Pour tenter de simplifier, admettons une entreprise imposée au titre des Bénéfices Industriels et Commerciaux (BIC) dont le chiffre d’affaire serait 100. Pour produire 100, elle consomme 30. Son résultat est de 70. Admettons que les cotisations sociales de notre entrepreneur soient de 40% de son BIC, il lui restera 28 qui sont plus ou moins l’équivalent de son « salaire net ». Assez logiquement, il se dit que s’il n’avait pas à acquitter de cotisations sociales, il pourrait mettre dans sa poche 70. Ce serait merveilleux, mais ce n’est pas si simple. Mettons que son chiffre d’affaire de 100 corresponde à 10 chantiers qu’il a facturés 10. Or un de ses concurrents ayant les mêmes résultats, une fois supprimées les cotisations sociales obligatoires estime qu’avant il se contentait de 28, et qu’il s’en contentait très bien. Il pourra se permettre un CA de 58, et facturer 5,8 pour chaque chantier. Vous êtes client, on vous propose pour le même chantier un devis de 10 ou un devis de 5,8, à qualité de travail égale, vous choisissez lequel ? La probabilité de voir le prix de marché à 5,8 au lieu de 10 m’apparaît très forte. Dans un secteur moins concurrentiel on pourrait éventuellement envisager que le gain engendré par la suppression des cotisations sociales soit partagé entre vendeur et client.


De nombreux entrepreneurs travaillent en fait pour une entreprise, qui elle-même peut travailler pour une autre entreprise. Dans la réalité, les conditions du contrat (écrit ou non) unissant vendeur et client seront fixées par le rapport de force. Il faut imaginer une pyramide : le destinataire final désire (ou à besoin d’) un produit. Ce qu’il est prêt à payer (ou qu’il peut payer) pour ce produit, c’est ce qu’on appelle le prix d’acceptabilité (ou prix psychologique) [5]. Le vendeur final, lui pour fixer son prix va additionner ses charges fixes, ses charges variables et sa marge pour déterminer son prix de vente. Si le prix ainsi déterminé est supérieur au prix d’acceptabilité, il peut soit diminuer sa marge, soit jouer sur ses charges. Si en plus il doit augmenter sa marge pour rémunérer par exemple des actionnaires gourmands, il ne pourra plus que jouer sur ses charges.


Il peut commencer par améliorer sa productivité. Puis obliger ses sous-traitants à diminuer leurs prix, d’autant plus facilement qu’il les aura rendu dépendant de lui. La meilleure manière pour cela est de lui garantir de plus en plus de travail, le pousser à investir pour améliorer sa productivité. Quand le donneur d’ordre assure 80% de l’activité de son sous-traitant, il le tient tout à fait. Il peut demander une baisse de prix sous la menace de faire appel à un concurrent, le sous-traitant ne pourra que l’accepter, sous peine de perdre 80% de son activité et donc d’avoir un outil de production surdimensionné. Il essaiera de se rattraper sur l’échelon inférieur (ses sous-traitants ou ses salariés).


Au niveau le plus bas de la chaîne des entreprises, vous vous retrouvez en fait dans la position du salarié sans code du travail. Les règles du jeu sont fixées par le donneur d’ordre, à vous de vous démerder pour tenir dans les tarifs proposés. Vous pouvez allonger vos journées de travail, supprimer les congés, en foutre un petit coup le samedi. Vous lui assurez sa trésorerie en attendant patiemment qu’il vous paye le travail réalisé. La banque vous proposera peut-être de faire le tampon en vous facturant « le service » à prix d’or. Mais comme la Mère Parisot dresse de vous un portrait si élogieux, à qui en voudrez-vous ? A ces salariés « ultra-protégés », à l’Etat qui vous tond. Et ceux qui refusent de payer votre travail à sa juste valeur s’octroieront des golden parachutes, des goldens hello, des jetons de présence, des stock-options, bénéficieront des exemptions fiscales dont vous ignorez toutes les subtilités et que vous n’avez ni le temps, ni les moyens de dénicher dans un système hyper-complexe. Tout en se servant de vous pour faire pleurer sur leur sort.


Alors demain tous auto-entrepreneurs ?



Yoann Masuyer

 


[1] Manifeste du Parti communiste (1848), Karl Marx et Friedrich Engels

 

[2] Source INSEE, créations d’entreprises selon la taille.


[3] Source INSEE, taux de survie des entreprises.


[4] Source netpme.fr, compte de résultat.


[5] Voir la définition de ce concept sur Wikipédia.


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