Le pantouflage, cause de la crise ?

par Daniel Roux
mercredi 12 juin 2013

Dans les allées du pouvoir, dans la haute administration, dans les grandes entreprises et les banques, on aime rester entre soi. C’est la garantie de la confiance, de la fidélité et de la discrétion nécessaires à la bonne marche des carrières et des affaires.

Le pantouflage, cause de la crise financière.

L’Islande est le seul pays à avoir condamné un homme politique pour sa responsabilité dans l’effondrement des banques de ce pays. Le seul pays à avoir refusé d’utiliser l’argent public pour empêcher la faillite des ces dernières, incapables de faire face à leurs obligations. Le seul a avoir résisté à la pression et aux menaces des places financières internationales soutenues par leur gouvernement.

Pourquoi les États-Unis, le Japon, la France et tant d’autres, n’ont-ils pas suivi cet exemple de démocratie et de justice. Pourquoi n’ont-ils pas jugés les dirigeants des établissements voyous et ceux qui ont failli à leurs devoirs dans les ministères, les institutions de surveillance des marchés et les agences de notation ?

La réponse est bassement triviale. Dans ces pays, les hauts fonctionnaires chargés de la surveillance des banques et des finances de l’État ont deux ou trois vies, l’une dans le service public, l’autre dans une institution financière et parfois une troisième en politique. L’intérêt personnel de ces hauts fonctionnaires prévoyant de poursuivre leur carrière dans le privé entre en conflit avec l’intérêt général qu’ils sont chargés de défendre.

Même en Islande, ceux qui devaient contrôler les banques ne les ont pas empêchés de spéculer au-delà de toute prudence.

Ces institutions de contrôle ont-elle failli par incompétence ou laisser faire par intérêt ?

Des règles limitant les collusions et la corruption existent pour tenir compte de l’avidité inhérente à l’espèce humaine mais que valent des règles quand ceux qui sont chargés de les faire respecter sont les mêmes qui ont intérêt à les bafouer ?

Le constat est que dans chaque pays, des hommes n’ont pas fait correctement le travail d’intérêt public qui leur était confié. Les règles ont été ignorées, contournées, bafouées conduisant à la plus grande crise financière depuis 1929.

Comment expliquer cette faillite des institutions qui n’a pu être possible qu’avec la complicité active ou bienveillante en tout cas indispensable du pouvoir exécutif, législatif et judiciaire.

Il y a donc eu collusion sinon corruption des agents de l’état par des agents privés, mais contrairement à l’Islande, aucune mise en examen et donc aucune condamnation n’ont sanctionné les délinquants.

La raison de ce déni de justice est a rechercher dans ce qu’il est convenu d’appeler le pantouflage, péché originel de la république des copains et des coquins.

Dans les allées du pouvoir, dans la haute administration, dans les grandes entreprises et les banques, on aime rester entre soi. C’est la garantie de la confiance, de la fidélité et de la discrétion nécessaires à la bonne marche des carrières et des affaires.

Ceux qui sont chargés de la gestion des finances publiques et de la surveillance du système financier par les états constituent une caste d’autant plus puissante qu’ils maîtrisent à la fois les leviers politiques et financiers du pouvoir économique. Qui conseillent les ministres et les élus ? Qui préparent les dossiers techniques pour les grandes et petites conférences ? Qui rallient les grands groupes, ceux des ultra riches, les véritables maîtres du jeu, qui leur offrent des salaires mirobolants, pour services rendus ou à rendre ?

http://www.slate.fr/tribune/41657/bercy-tyrannie-technocratique


Leur formation, leur position, leur pouvoir associés au mépris de ce qu’ils nomment la populace, les conduisent naturellement à partager la vision féodale du monde promu par ceux qui détiennent le vrai pouvoir, ceux qui déclenchent les guerres pour le pétrole, contrôlent les marchés financiers, spéculent sur les matières premières, détiennent 80% des actifs, contrôlent les médias, financent les campagnes électorales, gèrent leur fortune dans les paradis fiscaux, et surtout offrent des revenus indécents à ceux qui les ont bien servis, soit en leur offrant un emploi, soit en finançant des conférences.

Chacun tient son rôle dans les différentes sphères de pouvoir dans un jeu où personne n’est dupe. Les uns écrivent les lois, les autres les amendent et les votent, d’autres encore les interprètent.

Comment sont sélectionnés les membres de cette caste ?

La voie royale passent par l’Institut des études politiques (IEP) qui conduit les meilleurs vers l’ENA. Ceux qui échouent en route se rabattent sur le journalisme, la politique ou le droit. Trois spécialités qui ont leur rôle dans ce mécanisme bien huilé et pour lesquelles l’entregent ouvrent des portes fermées à d’autres moins chanceux.

Ces hommes aux intérêts convergents et bien compris se connaissent intimement, ils sont issus des mêmes écoles parfois des mêmes familles, fréquentent les mêmes lieux professionnels ou de loisirs, vivent dans les mêmes quartiers, se reçoivent. C’est tout naturellement que les anciens parrainent les nouveaux, qu’ils se cooptent, se font la courte échelle et au final forment une caste d’intérêts liés et puissants aux dépens de ceux qui en sont exclus.

Qui ignore encore que les ultra riches, les multinationales ou les célébrités négocient leur impôt à la baisse directement auprès du ministre des finances, voire du chef de l’État ? Cela se fait soit directement, soit par des intermédiaires bénéficiant d’un accès privilégiés aux cercles du pouvoir comme l’avocat de Lagarfeld, diplômé d’HEC et de l’IEP, section Économique et Financière.

Cette caste que certains appellent « mafia financière » n’est pas une caractéristique de notre beau pays. Ce qui se passe en France, se passe en Europe et sur les autres continents.

La similitude du processus conduisant à l’endettement excessif des états développés entre 1970 et 2010 ne peut pas être un hasard. Rien ne prouve qu’il s’agisse d’un complot, constatons a minima une convergence d’intérêts entre une caste grassement rétribuée et les ultra riches, les seuls qui profitent de la crise.

Le complot n’est pas tout à fait absent dans cette histoire, le principal est à l’origine de la plus grande arnaque de tous les temps, toujours à l’œuvre actuellement, la privatisation du contrôle de la monnaie. En 1910, des banquiers privées se sont réunies en secret sur l’île Jekill (cela ne s’invente pas) dans le but de transférer la création et le contrôle de la monnaie de l’état américain vers un consortium de banques privées avec la complicité de puissants politiciens.

C’est ainsi que la FED a été créée. La FED qui inonde les banques systémiques de liquidités et manipule les marchés comme jamais personne n’avait osé le faire avec des conséquences à terme que personne ne peut prévoir aujourd’hui.

http://etienne.chouard.free.fr/Europe/forum/index.php?2011/02/04/114-la-revoltante-histoire-de-la-prete

Que ce soit au Japon, aux USA, en France et d’autres encore, la même méthode avec la même conséquence, affaiblir les nations, a été mise en œuvre par la caste dans l’intérêt des ultra riches. Les moyens employés sont simples, baisser les impôts des plus riches et financer les dépenses par l’emprunt auprès de prêteurs privés, tout en camouflant autant que possible cette ineptie derrière de grand mots du type : « Libérons l’initiative privée pour promouvoir l’emploi. »

Dans tous ces pays, lors de l’effondrement des bulles immobilières, les banques systémiques, trop grosses pour faire faillite, ont été renflouées par l’argent public. Il s’agit ni plus, ni moins de la mutation d’une dette privée en dette publique. En France, contrairement à d’autres pays, ce renflouement n’a même pas donné lieu à une nationalisation partielle ou totale aux dépens des riches actionnaires.

Dans tous ces pays, les statistiques officielles, sur l’emploi, l’inflation, le PIB et d’autres qui devraient servir à la décision économique sont sous le contrôle de la caste.

http://www.slate.fr/story/9887/pressions-gouvernementales-sur-les-statistiques-publiques

L’Histoire est ironique. Ceux là même qui nous ont imposé l’idéologie capitaliste comme l’alpha et l’oméga de l’avenir économique avec le Marché comme grand maître de cérémonie garantissant une répartition optimum des richesses, trahissent tous les principes de cette idéologie.

Ce serait comique si la corruption, la spéculation et la guerre, inhérentes au système, ne conduisaient pas des millions de gens vers la mort, la famine et la misère.

Ces gens vivent dans un monde doré à la mesure de leur cynisme et de leur arrogance. Ne sont-ce pas les mêmes qui dénoncent à travers de multiples études les tricheurs du RSA ?

http://www.lepoint.fr/economie/allocations-petits-et-grands-tricheurs-15-12-2011-1408680_28.php

C’est cela aussi l’illusion démocratique. La démocratie exige la séparation des pouvoirs et un contrôle croisé de ces pouvoirs entre eux.

Inutile d’attendre quoi que ce soit de la Justice. Son impuissance est bien organisée et son indépendance toute théorique avec un code de procédure kafkaïen, permettant aux plus fortunés des reports et de recours autorisant la prolongation des affaires jusqu’à ce qu’une loi d’amnistie ou la prescription ou la grâce, les rendent caduques.

Le pantouflage est bien une cause de la crise financière et de l’immunité des responsables.

Cette immunité encourage toutes les dérives. L’affaire du Crédit Lyonnais, Tapie, les transferts illicites de rétro commissions et tant d’autres ne pourraient pas exister si les personnes en charge des dossiers avaient fait leur travail. 

Vous vous interrogez peut-être sur la hausse magique de la bourse alors que la récession gagne le monde entier. Il faut bien recycler les milliards de liquidités versées aux principaux responsables de la crise actuelle, les banques. Que font les banques de cet argent prêté à 0,50%, elles achètent de la dette souveraine entre 2 et 6%, il n’y a pas de petits bénéfices surtout lorsqu’ils sont si faciles. Elles continuent à prendre des risques en spéculant comme si rien ne s’était passé en 2008. Pourquoi se priver puisqu’il y a ni sanction financière, ni sanction pénale des responsables.

L’un des moyens utilisés par certaines banques pour spéculer est le « trading » haute fréquence. Au moyen de puissants ordinateurs et d’algorithmes sophistiqués, des millions d’ordres sont émis et annulés dans la même seconde, ce qui influe évidemment sur l’évolution des cours. Cette technique permet, avec une mise minimum, de contraindre les cours et les indices à la hausse ou à la baisse. Les victimes sont les naïfs qui investissent dans les produits dérivés gérés par ces mêmes banques. C’est comme s’ils jouaient aux échecs contre Deep Blue.

Qui est chargé de la surveillance du marché boursier et devrait interdire cette pratique inique ? En France, c’est l’AMF. Qui dirige cette institution stratégique ? Un homme nommé par décret du Président de la République, énarque et ancien haut fonctionnaire, proche du pouvoir, proche des banques, un membre de la caste.

Qui connaît Jean-Pierre JOUYET ou Gérard RAMEIX ? Ce sont les deux derniers présidents de l’AMF, énarques, anciens hauts fonctionnaires, anciens banquiers.

Souvenez-vous également de l’affaire Pérol.

http://www.agoravox.fr/actualites/citoyennete/article/attention-a-la-derniere-marche-52217

 


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