Le petit livre rouge du ministère du Tourisme

par Aurelien
mercredi 10 janvier 2007

Le tourisme est une activité essentielle dans « le plus beau pays du monde » qu’est la France. Une nouvelle source de touristes vient se déverser chaque année un peu plus dans nos hôtels : les Chinois. En 2005, ils ont été 600 000. Ils seront rapidement plus d’un million à venir découvrir les charmes de Paris et, qui sait, des châteaux de la Loire, du Mont Saint-Michel et de nos belles provinces. Comme toute activité économique sur notre territoire, le tourisme se doit d’être solidement encadré par le ministère de tutelle, qui n’hésite pas à renier nos principes fondamentaux dans une publication officielle.

Le ministre du Tourisme s’est ainsi chargé de former nos entreprises à l’accueil de cette nouvelle clientèle exotique. C’est normal, le ministre et ses hauts fonctionnaires savent tout. Aussi est-ce toujours une joie de constater qu’ils ont même la gentillesse de partager un peu de leurs connaissances sans limites avec les rustres, en l’occurrence les professionnels du tourisme qui attendent certainement la bonne parole divine avant de faire quoi que ce soit.

Un petit livre de 63 pages, publié par le ministère du Tourisme, expose un peu la culture chinoise (je suppose de manière très très synthétique), les us et coutumes et la façon de les recevoir : aquarium (et petit filet pour les manger encore frétillants en apéro ?) et plantes vertes, pas de nourriture trop grasse mais des petit-déjeuners abondants, éviter le 4e étage (qu’il suffirait de renommer arbitrairement "3e bis" ou "8e étage", mais l’astuce n’est pas proposée)... Bref, tout est bien clarifié pour ne pas mettre de baguettes dans les roues mais plutôt sur la table de nos nouveaux clients. Aucune distinction n’est faite entre les Chinois de Hong Kong, de Pékin, de Shanghaï ou d’autres villes qui ont leur culture propre. Non, l’ouvrage traite "le Chinois" comme un individu standard partageant les mêmes besoins, les mêmes attentes, les mêmes préférences et la même culture que les autres centaines de milliers de visiteurs. Entre le PCC et notre gouvernement, le planisme fait toujours des merveilles.

Là où nous retrouvons un petit défaut typique de notre classe dirigeante, c’est dans l’approche "diplomatique" concernant les sujets à ne pas aborder. Le livre est clair là-dessus : il ne faut pas parler de sujets politiques avec nos amis chinois, surtout de sujets qui fâchent : il ne faut pas évoquer Tienanmen, et encore moins le Tibet. Au petit déjeuner, je comprends ; mais ce moment de précieuse douceur passé, cette restriction est incompréhensible de la part d’une autorité publique. C’est pourtant ce qui nous est explicitement demandé.

Amnesty International s’en est émue et a exprimé sa désapprobation de voir une instance étatique encourager la dissimulation de sujets politiques d’une grande gravité. Je m’associe pleinement à ces propos, et m’avoue profondément choqué de lire qu’un document officiel, payé avec l’argent du contribuable, incite à bâillonner la Liberté et à cacher notre respect des droits fondamentaux de tout être humain à des touristes libres de voyager et de s’ouvrir au monde, surtout qu’au même moment, la France a signé un traité d’extradition avec la Chine. Notre rapprochement n’a de sens que si nous procédons honnêtement, sans nous renier. Hélas, même nos ministres de seconde catégorie sont dans la première série du club des faux derches.


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