Le principe de la liberté du commerce et de l’industrie

par Marcel MONIN
samedi 20 février 2016

Réflexions provisoires sur le principe de la "liberté du commerce et de l'industrie"

 

Selon ce principe (de la Révolution française ; décret d’Allarde des 2 et 17 mars 1791) ), chacun doit pouvoir entreprendre (sans que l'Etat ne puisse s'y opposer). Ce qui permet à chacun de récolter les fruits de son activité, donc de s'enrichir. Donc d'accéder au bonheur, lequel est nécessairement chiffré. Ce principe, bien qu'il soit d'une espèce différente de celui qui porte sur les droits attachés à la personne humaine, fait quand même partie des "ressorts" de la vie (comme le besoin de croire à une divinité ou à l'au-delà, ou celui d'avoir des relations sexuelles, …) . Vouloir priver les individus de cette possibilité est une entreprise vaine, puisque cette aspiration et cette tendance sont inhérentes à l'espèce humaine. 

Les tentatives d'éradication de cette tendance ont d’ailleurs toujours échoué. Qu'elles se soient soldées par la disparition du système (Union soviétique), ou par la transformation interne du système (Chine continentale).

 

Mais le principe de la liberté du commerce et de l'industrie a été en réalité conçu dans une autre acception : L'Etat ne doit pas intervenir là où il y a de l'argent à gagner (1) . Et là, c'est un principe de "mort" de l'Etat. Lequel ne doit alors pas intervenir dès que l'intervention peut avoir des conséquences sur le contenu actuel et futur des porte-monnaie privés.

En France, l'Etat et les autres personnes publiques sont certes intervenues dans le secteur que l'on appelle aujourd'hui "marchand". Mais ils l'ont fait à titre exceptionnel, sur l’autorisation expresse du législateur (ce qui n’est plus possible aujourd’hui) et quand le "privé" ne s'était pas intéressé, faute de rentabilité suffisante, à certaines sources potentielles de revenus (1).

Ce principe de l'exclusion de l'Etat a été conforté dans les dernières décennies par des règles complémentaires que l'on trouve notamment dans des traités (OMC, Europe) : Les Etats doivent se retirer (progressivement pour habituer les opinions publiques à la transformation) des activités (y compris d'activités régaliennes) dans lesquelles ils se trouvaient. Ils doivent s'abstenir de "fausser la concurrence" par des décisions ou des interventions économiques ou financières. Ils doivent laisser se dérouler le libre jeu de la spéculation (suppression des frontières et des réglementations) sur les monnaies, les produits, la main d'oeuvre.

Si l'on ajoute, pour couronner le tout, que l'on a retranché l'émission de la monnaie de la sphère des pouvoirs régaliens, l'Etat est devenu un appareil de gestion … dépourvu de moyens d'action. 

 

Le droit de vote des citoyens a été vidé de toute réalité. Puisqu'il ne peut plus s'exercer sur le "fondamental" (que la classe politique leur a progressivement enlevé par la loi et/ou par l'acceptation d'accord internationaux).

Quant à la démocratie, elle est devenue sous un certain rapport, même si on ne s'en rend pas toujours compte, une coquille vide, dans laquelle s'est coulé un régime … ploutocratique. Dont on se demande de plus en plus qui en sont les véritables dirigeants, et quel est son champ d'action exact d'un point de vue territorial (3) . 

 

Si, comme nous l'avons dit par ailleurs, il parait impossible de tout prévoir, de tout imaginer, en faisant abstraction des "ressorts" humains, en faisant une prévision de la météo de l'avenir qu'avec des journées agréables, il est possible de s'interroger sur des techniques à expérimenter. 

 

Les sociétés commerciales, les banques, jouissent, avec l'argent de leurs actionnaires, de la liberté du commerce et de l'industrie.

Pourquoi les citoyens, avec l'argent de leur impôts, ne jouiraient-ils pas de la même liberté ?

Soit pour bénéficier de bons tarifs. Soit pour bénéficier d'un bon service.

.

La compagnie privée d'autocars donne satisfaction (le billet est à un prix raisonnable et abordable, les horaires sont pratiques) ? La liberté de l'industrie privée est une excellente chose. La compagnie d'autocars coûte en revanche trop cher au regard des services qu'elle rend aux citoyens ? La personne publique est fondée à créer un établissement public gérant un réseau de transports en commun.

L'université d'Etat marche mal et une université privée donne un enseignement plus efficace, soit "présentiel", soit par internet (4) , et ses étudiants réussissent mieux aux examens d'Etat ? Tant pis pour l'université d'Etat. L'Etat devra alors réformer le fonctionnement de son université (entre autres, modification des obligations de service de ses personnels enseignants). L'Université marche bien avec des droits d’inscription plus attractifs ? alors l'initiative privée peut toujours essayer …

 

Revenir (partiellement) sur le contenu du principe de la liberté du commerce et de l’industrie (et ses formulations actuelles) serait alors une "révolution". Mais à y réfléchir de près, et en nous remémorant l'histoire, c'est ce qui s'est passé (sans révolution) quand l'initiative privée donnait des résultats insuffisants (1) ou déraisonnables (5). 

Or, ce que l'on observe aujourd'hui (les "crises"), et ce que l'on redoute pour demain, sont précisément les conséquences de l’usage déraisonnable (6) du principe.

Alors …. ?

 

Marcel-M. MONIN

M. Conf. hon. des Universités ; docteur d'Etat en droit.

Secrétaire général de l’Université Technologique du Développement

 

(1) sur ces questions, v. quelques développements rapides sous le n° 602-5 du cours ( ATTENTION : non mis à jour depuis sa mise sur internet) ci-dessous : 

‪http://capacitedroit.u-paris10.fr/sites ... 47585.kjsp

(2) Que le citoyen paie une prestation à une entreprise privée par contrat, ou bien à une personne publique avec ses impôts, … il paie. Ce qui change dans le deuxième cas (en dehors de la question de la fonction de justice sociale de l’impôt qui est également combattue sous diverses formes), c’est que le citoyen débourse (en plus) le bénéfice prélevé par la personne privée.

(3) De nombreux hommes politique appellent de leur vœux la systématisation du système, par l’instauration d’un « nouvel ordre mondial », avec un « gouvernement mondial ».

Que l’on peut résumer, pour le « camp américain » par la formule : libre jeu des forces économiques et financières et démocratie (avec le droit de vote exercé pour cette finalité).

https://fr.wikipedia.org/wiki/Nouvel_ordre_mondial 

NB. Le chef d’Etat russe, V. POUTINE donne à l’Ordre mondial, un autre contenu et démonte les composantes de l’ordre mondial que les Etats Unis essaient de mettre en place avec de leurs alliés / satellites.

(discours de Poutine 2014 au club Valdaï : ) https://www.youtube.com/watch?v=3MU4xd67E08

Pour « l’allié / satellite » français : v. : - N. Sarkozy : https://www.youtube.com/watch?v=aeXhEp7dhvw ; - F. Hollande : https://www.youtube.com/watch?v=Z4Gx4kR9KFQ

(4) On signalera au passage que l'université numérique est sans doute l'université de demain. Au moins pour certains. Elle permet, sans besoin de locaux (et en économisant également les frais qui vont avec) de donner aux étudiants des connaissances au moins égales (sauf dans certaines disciplines) à celles qu'ils trouvent dans les amphis et dans les bibliothèques. Elle permet aussi d'organiser l'encadrement individualisé (qui vaut bien celui que certains chargés de TD leur assurent par exemple, en évitant de corriger des devoirs).

Mais les universitaires fonctionnaires souvent sont réticents. Pour des raisons liées à l'idée qu'ils se font de l'exercice de leur métier. L'imaginaire du métier "exige" la distribution d'un cours magistral (si possible dans un immense amphi), oral avec un micro, si possible en robe, couronné par l'organisation d'examens solennels, dont les enseignants "responsables du cours" donnent le sujet et dont ils contrôlent la notation des copies qui en traitent. 

L'université numérique fait à l'inverse table rase de ces représentations et des pratiques qui y sont liées. Mettre un cours en ligne impose un travail supplémentaire (notamment pour éviter d'être surpris à plagier) et expose chaque enseignant au jugement des tiers (alors que le cours oral en milieu fermé en préserve). Enfin, la multiplication des sources d'information sur internet relativise l'intérêt et l'utilité de chaque cours. Puisque sur un même programme tous les enseignants qui en traitent sont obligés de dire la même chose. Et ce, dans les différentes filières et unités pédagogiques de la même université ; le tout multiplié par le nombre d'universités dans lesquelles la question figure dans un programme. 

Ce qui peut faire naître des idées d'économies chez le contribuable (surtout à un moment où son impôt sur le revenu est englouti dans le remboursement des intérêts de la dette). Et peut inciter les gestionnaires de filières d'enseignement à subordonner désormais le recrutement des professeurs au respect d'un cahier des charges. (Cas par exemple de telle université numérique francophone). 

L'industrie privée a commencé à offrir des formations par internet et à organiser des épreuves sur internet. Ce qui permet à des étudiants de s'inscrire quel que soit leur pays de résidence. A des universités de bénéficier des enseignements d'un collègue étranger, sans avoir à payer ni avion ni hôtel. Ou permet aux étudiants peu fortunés d'avoir un emploi et de se consacrer à leurs études hors des heures ouvrables. Ceux qui seront les premiers, les Américains peut-être, pourront profiter le l'apathie signalée ci-dessus pour contrôler le marché tant du point de vue du contenu que du point de vue financier. Avec ce que ça peut impliquer.

(5) v. par ex. la création de la SNCF en 1937 (dont l'avenir s'inscrit aujourd'hui dans une tout autre logique)

(6) Il est intéressant de constater que la mise en œuvre concrète de ce principe, avec les interdictions faites à l’Etat de contrôler les flux financiers, d’émettre la monnaie, de réglementer les activités industrielles, … a conduit à méconnaître, ce que l’on ignore généralement, une moitié (à partir de l’article 21) des dispositions de la Déclaration universelle des droits de l’Homme, votée par l’Assemblée générale des Nations-Unies en 1948.

 

(10 novembre 2013)


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