Le Produit Populaire Brut : une autre vision de l’histoire économique récente

par Nathanael Faibis
mercredi 12 janvier 2011

 L’indicateur le plus communément utilisé, la croissance du Produit Intérieur Brut prend en compte l’évolution des revenus des classes aisés, des classes moyennes et des classes populaires. Mais que se passe-t-il lorsque l’on isole les seuls revenus des classes moyennes et populaires ? Quels nations et quels modèles économiques au sein des pays développés ont été les plus performants lors des trente dernières années si l’on exclut du calcul les classes les plus aisés de la société ? Quel population a dans sa grande majorité le moins bénéficiée des fruits de la croissance ? A ces questions, le Produit Populaire Brut donne des éléments de réponse pour le moins surprenants.

L’augmentation des revenus des plus aisés doit-il être un objectif politique à part entière ? La plupart de ceux qui répondront oui à cette question avanceront que l’augmentation des plus hauts revenus permet de favoriser l’investissement, de motiver les éléments les plus talentueux ou encore d’améliorer les recettes de l’Etat. L’augmentation des plus haut revenus est rarement décrite comme une fin politique en soi mais le plus souvent comme un moyen.

Dans le débat public français et j’imagine dans la plupart des autres pays européens, la fin en soi de la politique économique semble être l’augmentation des revenus des classes moyennes et populaires. Cependant, l’indicateur le plus fréquemment évoqué, la croissance du PIB (ou son proche parent le Revenu National Brut), prend non seulement en compte l’évolution des revenus des classes moyennes et populaires mais également ceux des plus aisés. Pourtant, si c’est bel et bien la croissance des revenus des classes moyennes et populaires qui est recherchée, un indicateur isolant les revenus des classes moyennes et populaires devrait permettre de juger plus convenablement l’efficacité de différentes politiques économiques.

A ma connaissance, un tel indicateur n’existe pas. En me fondant sur les travaux de Piketty et Saez sur les inégalités de revenu, j’ai créé assez facilement un indicateur de croissance du revenu des 90% de la population ayant les plus faibles revenus, c’est-à-dire un indicateur de croissance excluant les 10% les plus aisés. J’ai choisi d’appeler cet indicateur le Produit Populaire Brut. Les résultats sont plutôt surprenants et donnent une autre perspective sur l’histoire économique des trente dernières années. N’ayant de chiffres fiables sur les inégalités de revenu que jusqu’en 2006, la période étudiée sera 1980-2006, soit grosso-modo, le quart de siècle précédant la Crise.

Afin d’effectuer une petite comparaison internationale, j’ai choisi 6 pays développés pour lesquels j’avais des données fiables : la France, Les Etats-Unis, le Japon, le Royaume-Uni, l’Italie et la Suède. Comparons tout d’abord l’évolution du Revenu National Brut (RNB) pour ces 6 pays entre 1980 et 2006. Le RNB est un indicateur quasi-similaire au PIB.

Source OCDE ; Base 100= 1980

Source OCDE

 

On voit qu’en termes de croissance pure, les Etats-Unis ont été de loin les plus performants entre 1980 et 2006 avec une augmentation de 120% de son revenu réel contre seulement 67% pour la France ou 82% pour la Suède. La performance du Royaume-Uni est également remarquable avec une croissance réelle de 94% sur ce quart de siècle.

Réalisons désormais la même analyse mais sur l’évolution du Produit Populaire Brut.

Produit Populaire brut = Revenu Disponible pour les 90% de la population ayant les revenus les plus faibles

Source OCDE et Saez et Piketty ; Base 100=1980

Source OCDE et Saez et Piketty

 

Les résultats obtenus sont considérablement différents. Les Etats-Unis ne sont plus loin devant mais devancent désormais seulement de peu la Suède. La performance du Royaume-Uni est désormais comparable à celle de la France ou du Japon avec une croissance 60% sur 1980-2006 du revenu réel des 90% de la population aux plus bas revenus.

Mais creusons encore plus loin afin de mesurer convenablement l’évolution des revenus de la grande majorité de la population de ces pays durant ce quart de siècle. Les 6 pays analysés ont eu des trajectoires démographiques très différentes durant cette période. Les Etats-Unis ont eu une démographie dynamique, la France une démographie modérée et le Royaume-Uni, le Japon, la Suède et L’Italie une démographie molle. J’ai donc comparé l’évolution des revenus des 90% des plus bas revenus par habitant durant cette période. Les résultats sont encore plus surprenants.

Source OCDE et Saez et Piketty ; Base 100=1980

Source OCDE et Saez et Piketty

Ce sont donc les membres classes moyennes des classes moyennes et populaires suédoises qui ont vu leur revenu par tête le plus augmenté durant ces 26 ans et ce malgré la grave crise financière et économique traversée par la Suède au début des années 90. La Suède est suivie par le Royaume-Uni, le Japon et la France. Les Etats-Unis se disputent la dernière place avec l’Italie pourtant mondialement reconnue pour sa croissance atone. Bref, pour 90% de leur population, mieux valait être suédois, japonais, britannique ou même français qu’américain si on voulait voir ses revenus augmenter. Ce que révèlent également ces chiffres, c’est que l’essentiel des écarts de croissance entre les différents pays développés s’expliquent par l’enrichissement des 10% les plus aisés. Lorsque l’on prend uniquement en compte les 90% des plus bas revenus, soit l’immense majorité de la population, les écarts sont bien moins conséquents.


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