Le protectionnisme réduirait-il le train de vie des français ?
par samuel_
vendredi 14 octobre 2011
Il faut rassurer les français, notamment ceux aux revenus les plus modestes, sur les conséquences du protectionnisme sur leur train de vie. Il est vrai qu'en mettant une taxe sur les biens importés des pays émergents, qui compense la différence de cout du travail entre ces pays et le notre, cela devrait logiquement augmenter les prix de ces produits. Mais premièrement, même dans le pire des cas, cela ne devrait pas entrainer une si importante augmentation que cela du niveau global des prix. Deuxièmement, le pouvoir politique a la possibilité de choisir une manière de mettre en place du protectionnisme, qui permettrait que les prix augmentent moins pour les produits que s'achètent les gens les plus modestes. En vérité, et même si cela peut paraître paradoxal au premier abord, il est même possible au pouvoir politique, de mettre en place du protectionnisme de telle manière que le train de vie des français ne soit pas du tout affecté. Troisièmement, quand bien même les gens les plus modestes verraient augmenter les prix des produits qu'ils achètent, le protectionnisme devrait permettre une amélioration de leur train de vie, parce qu'il devrait permettre aussi une amélioration de leurs revenus et des revenus de l'État (non consacrés aux dépenses de solidarité avec les chômeurs) : or le train de vie d'une personne dépend non seulement des prix, mais aussi de ses revenus et de ceux de l'État. Quant aux gens les plus riches, leur train de vie devrait baisser, car le protectionnisme devrait avoir pour double conséquence que les prix augmentent le plus pour eux, et que leurs revenus se réduisent. Mais la baisse de leur train de vie ne devrait pas être si importante que cela, car le train de vie ne dépend pas seulement des prix et des revenus, mais dépend aussi de la proportion de son revenu qu'on épargne.
Il existe donc, d'abord, des raisons pour lesquelles le protectionnisme, même dans le pire des cas, ne devrait pas augmenter tant que cela le niveau global des prix. Les biens manufacturés importés des pays émergents ne représentant qu'une petite proportion de la richesse consommée en France. Une forte augmentation de leur prix se traduirait donc, dans le pire des cas, par une bien moins forte augmentation du niveau global des prix. En 2008 par exemple, la valeur de la richesse consommée (ou accumulée) en France, était de 2668 milliards de dollars, tandis que la valeur des biens importés était de 683,8 milliards de dollars, dont 131,4 milliards de dollars de biens manufacturés importés des pays émergents (ou pauvres). La valeur des biens manufacturés importés des pays émergents ne représentait donc que 4,9% de la valeur des biens et services consommés en France. Dans le pire des cas, et si carrément les prix des biens manufacturés importés des pays émergents doublaient (augmentaient de 200%), le niveau global des prix augmenterait de 200 multiplié par 4,9%, c'est à dire 9,8%.
De plus, il serait naïf de croire que la bas cout du travail dans les pays émergents, ne sert qu'à faire baisser les prix des biens produits dans ces pays et vendus en France. En vérité, les entreprises qui produisent ces biens dans les pays émergents, et celles qui les vendent en France, c'est à dire en premier lieu les grandes surfaces, profitent aussi du bas cout du travail dans les pays émergents pour augmenter leurs marges, les profits de leurs actionnaires et les intérêts de leurs créanciers. Les prix des produits aujourd'hui fabriqués dans les pays émergents augmenteraient donc moins, dans la mesure où la relocalisation de leur production en France, ou bien le paiement de la taxe protectionniste, occasionnerait aussi une baisse des profits des entreprises de production ou de distribution.
Le pouvoir politique a ensuite la possibilité de choisir la manière dont il met en place du protectionnisme. S'il veut que les gens les moins riches soient moins touchés que les plus riches par une augmentation des prix, il peut décider de ne pas taxer autant les biens qui sont dans le panier moyen d'une personne au revenu modeste, que les biens qui sont dans le panier moyen d'une personne riche. Par exemple, moins taxer les biens de première nécessité, ou d'une gamme modeste, et taxer plein pot voire plus les biens inutiles ou de luxe, comme les iPads et les chemises Ralph Lauren, produits eux aussi pour pas cher dans les pays émergents, même s'ils sont ensuite vendus très cher en France.
Le pouvoir politique peut même mettre en place du protectionnisme de telle manière que cela n'affecte pas du tout le train de vie des français. Il lui suffit pour cela d'accompagner la hausse des taxes sur les biens importés, avec des baisses d'autres taxes sur le revenu, la détention de capital ou sur la consommation, par exemple baisser la TVA.
Enfin, le protectionnisme est sensé permettre aux revenus les plus modestes d'augmenter, suffisamment pour compenser largement la hausse des prix qui affecterait éventuellement les personnes ayant ces revenus modestes. Le protectionnisme sert en effet à réduire, voire supprimer totalement, la mise en concurrence des travailleurs français avec ceux des pays émergents, sur le critère du cout du travail. La réduction voire suppression de cette concurrence d'un type bien particulier, devrait permettre aux entreprises de France de vendre à nouveau des produits qu'elles ne peuvent plus vendre aujourd'hui. Des activités devraient donc être relocalisées, et donc des emplois créés. Les personnes au chômage, retrouvant ainsi un emploi, verraient donc leur revenu augmenter considérablement.
La concurrence sur le cout du travail avec les pays émergents exerce aussi une pression à la baisse sur le revenus des travailleurs qui sont exposés à cette concurrence. D'abord, de manière indirecte, en nourrissant le chômage : quand le chômage est élevé, il y a plus de travailleurs qui offrent leur travail, et donc le prix que les travailleurs sont prêts à accepter en échange de leur travail, est plus bas : c'est la loi de l'offre et de la demande appliquée au marché du travail. Ensuite, à cause de cette concurrence sur le cout du travail avec les pays émergents, l'État a tendance à moins protéger le travail, par peur de rendre les travailleurs trop couteux et donc moins compétitifs : par exemple il n'augmente pas trop le SMIC, évite d'indexer les salaires sur les prix, il n'augmente pas trop les congés voire les réduit, il « flexibilise » les travailleurs, c'est à dire permet des contrats plus précaires, il ne garantit pas trop aux travailleurs de pouvoir se défendre par un syndicat... Cela a bien sur pour effet, de réduire encore le revenu des travailleurs : moins bien payés, et précarisés, souvent à temps partiel ou en intérimaires alors qu'ils voudraient travailler à temps plein et de manière continue.
Les travailleurs eux-mêmes intériorisent cette croyance qu'ils ne faut pas trop qu'ils revendiquent, car s'ils sont trop couteux ils ne seront pas assez compétitifs. C'est ce que racontait Liem Hoang Ngoc économiste et membre de « l'aile gauche » minoritaire du PS, dans une interview : « J’observe sur le terrain qu’il y a plein de salariés qui nous regardent avec des gros yeux quand nous faisons la proposition du SMIC à 1500 €, et qui ont intériorisé l’idée que, si on met un SMIC à 1500 € aujourd’hui, il y aura des délocalisations. » En revendiquant moins, les travailleurs obtiennent de moins bons revenus.
En plus de permettre une augmentation des revenus les plus modestes, le protectionnisme devrait permettre aussi une augmentation des revenus de l'État non consacrés aux dépenses de solidarité avec les chômeurs. L'État pourra alors utiliser cet argent pour des dépenses qui contribuent au train de vie des gens, comme des services d'urbanisme, de sécurité, d'éducation ou de soutien à la vie sportive ou culturelle. En réduisant le chômage, le protectionnisme devrait alléger les dépenses de l'État pour la solidarité avec les chômeurs : non seulement les allocations chômage, mais aussi les aides réservées aux personnes dont les revenus sont modestes, dont font souvent partie les chômeurs. De plus, la concurrence avec les pays émergents sur le cout du travail incite l'État à ne pas trop taxer le travail, par peur de le rendre plus coûteux et donc moins compétitif. L'État pourra à nouveau taxer le travail à sa guise, sans se demander si cela va rendre les travailleurs moins compétitifs.
Par contre, non seulement les personnes les plus riches devraient voir les prix des biens qu'elles achètent augmenter le plus pour elles, mais en plus, leurs revenus devraient stagner voire baisser, puisque les personnes les plus riches sont celles qui ne sont déjà pas exposées à la concurrence sur le cout du travail avec les pays émergents (le protectionnisme ne sert donc pas à les en protéger), et puisque ce sont celles aussi qui parfois tirent des revenus de la possession de capital, qui devraient baisser si certaines entreprises de production ou distribution réduisent leurs profits. Heureusement pour elles, les personnes les plus riches sont aussi celles qui épargnent le plus. Afin que leur train de vie ne se réduise pas trop, elles pourront augmenter la part de leur revenu qu'elles consomment au lieu de l'épargner. Les plus riches des plus riches ont même peut-être la possibilité, de cette manière, de ne pas réduire leur train de vie du tout, ou en tout cas de ne pas réduire leur qualité de vie : arrivé à un certain seuil de richesse, on ne sait peut-être même plus quoi faire de son argent. De plus, paradoxalement, peut-être que les personnes les plus riches seront contentes de payer deux fois plus cher les produits qu'elles achètent, car cela augmentera peut-être la valeur de ces produits à leurs yeux, et leur estime d'elles mêmes : depuis Thorstein Veblen on pense en effet que les plus riches pratiquent parfois une « consommation ostentatoire ».
La véritable signification politique du protectionnisme n'est donc pas une baisse du train de vie des français vus comme un bloc monolithique. C'est bien plutôt un acte de solidarité par lequel les français les plus riches acceptent de voir baisser leur pouvoir d'achat, et donc leur train de vie et leur niveau d'épargne, de manière à permettre aux français les plus modestes, chômeurs ou travailleurs les moins riches, de retrouver un emploi et voir leur train de vie augmenter.
Certains, comme François Hollande dans un débat, objecteront que le protectionnisme serait aussi un acte par lequel la France se désolidariserait des pays pauvres et émergents. A quoi on pourra répondre qu'il existe aussi d'autres manières pour les français d'être solidaires avec le reste du monde, tout en ayant aussi une solidarité particulière entre eux, dans leur manière de s'engager collectivement dans une relation au reste du monde. Autrement dit, il est aussi possible de concevoir « l'Ouverture » d'une nation au reste du monde, de manière compatible avec un principe de solidarité nationale.