Le revenu de base, mère des solutions

par Stéphane Veyret
mercredi 4 juin 2014

Le revenu de base est un concept introduit par Thomas Paine à la fin du XVIIIe siècle qui ressurgit subitement ces dernières années. Des associations locales, nationales, et même internationales sont nées d'une dynamique, créée essentiellement par l'initiative citoyenne européenne de 2013¹. D'autres idées ont profité de l'aspiration de ce mouvement pour prendre également de l'ampleur, mais ce mélange peut avoir pour conséquence de parasiter le débat, en noyant les néophytes sur des explications parfois contradictoires. Mais alors, quelle solution choisir ?

Qu'est-ce que le revenu de base ?

« Le revenu de base est un droit inaliénable, inconditionnel, cumulable avec d'autres revenus, distribué par une communauté politique à tous ses membres, de la naissance à la mort, sur base individuelle, sans contrôle des ressources ni exigence de contrepartie, dont le montant et le financement sont ajustés démocratiquement. »

Cette définition, telle qu'énoncée dans les statuts du Mouvement Français pour un Revenu de Base est à la fois simple et flou. Elle pose les règles déterminant ce que l'on entend par « revenu de base », et donc, définit également ce qui n'en est pas. Mais dans le même temps, cette définition ne donne aucune indication précise sur le financement, le montant, le mode de distribution, etc. laissant ainsi une totale liberté à la « démocratie » pour fixer des règles du jeux précises.

Ainsi, un certain nombre d'idées qui gravitent autour du revenu de base sont parfaitement compatibles avec cette définition. C'est par exemple le cas des propositions de versement de tout ou partie du revenu de base en monnaie locale², ou du financement par création monétaire³. D'autres idées, au contraire, sont légèrement éloignées de la définition, comme la « dotation inconditionnelle d'autonomie »⁴ proposé par le parti pour la décroissance, voire très partiellement liées, comme le « salaire à vie » proposé par Bernard Friot, qui n'a de rapport que la suppression du lien entre revenu et emploi.

Bien entendu, chacun défend sa chapelle⁵, expliquant à grands renforts d'arguments divers et variés, pourquoi sa vision est la meilleure. Pourtant, sans chercher à savoir qui a raison ou qui a tort, la plupart d'entre eux oublie une chose fondamentale : ils savent certes tous où ils veulent aller, mais oublient d'où ils partent. Si, par exemple, on voulait mettre en place le salaire à vie demain, il faudrait confisquer l'ensemble des entreprises aux actionnaires, mettre en place une caisse nationale récupérant l'ensemble des bénéfices et redistribuant ceux-ci sous la forme du salaire à vie à chacun d'entre nous. Il me parait évident qu'un tel changement se ferait dans la douleur. Encore une fois, je ne juge pas ici l'idée, mais le pas qu'il faut faire entre le système actuel et celui qui est souhaité.

Si nous avions un revenu de base…

À contrario, imaginons que demain, nous mettions en place le revenu de base, avec les caractéristiques suivantes :

Qu'est-ce qui changerait, dans la vie de tous les jours, pour les différents participants de l'économie ? L'entreprise paierait plus ou moins les mêmes montants, donc les produits auraient les mêmes prix, sauf qu'une partie du chiffre d'affaires, auparavant versée aux salariés, sera maintenant versée à l'État. Les salariés toucheront le même montant, sauf qu'une partie auparavant versée par l'entreprise est maintenant versée et garantie par l'État. Globalement, excepté le fait qu'une partie du salaire fasse un tour par l'État, tout semble comme avant. Il n'y a donc pas de changement brusque à faire accepter. Au contraire, on a alors une solution pacifiste ; la mise en place se fait en douceur ; chacun peut s'adapter à son rythme.

Il est très probable que les entreprises seront les premières à voir l'intérêt de ce système. En effet, la TVA étant payée dans le pays de vente des produits, les entreprises françaises qui exportent ne paieraient pas ce nouveau montant très élevé, tout en bénéficiant de la baisse des salaires. Les entreprises qui importent en France et font fabriquer dans des pays à faible niveau social devront, au contraire, s’acquitter de cette TVA. Nos entreprises seront donc mieux placées sur le marché concurrentiel international, favorisant les exportations dans certains domaines, et favorisant une relocalisation des activités dans d'autres. C'est le principe de TVA sociale, proposée par certains partis de droite. En l'associant au revenu de base, on peut constater que les argumentaires sur l'injustice de cet impôt deviennent caduques.

Et les hommes, dans tout ça ?

Peu de personnes le savent, mais lorsque l'on a commencé à automatiser les usines, lorsqu'un seul homme pouvait, à lui tout seul, produire ce que trois hommes faisaient avant lui, les dirigeant ont fait délibérément le choix, plutôt que de diminuer la charge de travail de chacun sans diminuer son salaire (ce qui est possible, puisque la quantité produite ne changerait alors pas) d'augmenter la production, de peur que les salariés aient trop de temps libre, se mettent à réfléchir et à comprendre qu'ils sont manipulés dans un monde injuste, et donc, se rebellent. Cela a d'ailleurs causé des problèmes, puisqu'on a produit plus que nécessaire. C'est à cause de ce choix que l'on a inventé la publicité, pour pouvoir écouler ce surplus de production. C'est à cause de ce choix que l'on est entré dans la société de consommation.

Oh oui, je le sais, certains se disent que je délire. Depuis cette époque, on a bien créé les congés payés, les 35 heures, etc. et la rébellion n'a pas éclaté. C'est vrai. Mais je dois quand même faire deux objections.

La première, c'est que justement, les idées ont évolué parmi la population. Plus les salariés ont eu du temps libre, plus des idées qui auraient pu paraitre farfelues il y a un siècle (le revenu de base en est un bon exemple) sont devenues très populaires.

Ma deuxième objection, c'est que globalement, ces réductions de temps de travail sont faites de telle sorte qu'il est compliqué de réellement se poser. Prenons les vacances, par exemple. Elles sont bien courtes, à comparer au temps que l'on passe à travailler. Du coup, dès qu'elles arrivent, on se précipite dans la voiture pour vite rejoindre la mer et faire l'état des lieux du petit bungalow que l'on a loué. Sur place, on peut enfin se reposer un moment. Mais pas trop longtemps, parce-qu'il va vite être l'heure de rentrer ! Souvent, on va également vouloir faire des visites. Mais comme les vacances sont courtes, ces visites vont forcément se faire au pas de course. Bref, nous avons des vies de dingues, entre métro-boulot-dodo et vacances au trot… Certains historiens ont d'ailleurs estimés que l'on travaillait en moyenne plus aujourd'hui qu'au Moyen-Âge !

En instaurant un filet de sécurité pour chacun, le revenu de base va nous permettre de nous apaiser. Inutile de rouler à fond sur le boulevard périphérique pour ne pas être en retard au travail. Si demain, je veux un jour de repos parce-qu'il fait beau et que j'ai besoin d'air, je peux poser un jour de congé sans solde. Nous allons pouvoir souffler. Nous allons pouvoir méditer. Et nous allons alors nous demander pourquoi nous devons subir des lois, pondues par des personnes pour lesquelles nous avons voté, c'est vrai, mais c'était par dépit, parce-que celui qui se présentait en face était pire. En effet, au contraire d'Étienne Chouard⁸, je ne pense pas qu'il faille avant toute chose changer la constitution, mais je pense que le revenu de base va forcément pousser à la venue d'une véritable démocratie, mise en place par et pour le peuple, et que c'est donc par ce changement pacifiste et en douceur qu'il faut commencer. Puis lorsque cette démocratie sera en place, lorsque chacun aura trouvé ses marques et pourra prendre part aux décisions qui lui incombent, alors peut-être que le peuple décidera de la mise en place de systèmes totalement différents, comme un salaire à vie. Ou pas.


[1] http://revenudebase.info/initiative-citoyenne-europeenne/

[2] C'est par exemple ce que souhaite Frédéric Bosqué, à la fois membre du MFRB et co-fondateur de la monnaie SOL Violette de Toulouse.

[3] Les propositions pour ce type de financement sont souvent basées sur les travaux de Stéphane Laborde sur la théorie relative de la monnaie.

[4] Dans le principe de la DIA, le revenu de base à lui tout seul est insuffisant pour vivre, mais est compensé par un accès gratuit à un certain nombre de services.

[5] Bien entendu, je vais défendre la mienne !

[6] C'est en quelques sortes la proposition de Daniel Häni et Enno Schmidt dans leur film « Le Revenu de Base — une impulsion culturelle. »

[7] Sauf quelques exceptions justifiés par une situation personnelle particulière, comme le handicap.

[8] http://etienne.chouard.free.fr/Europe/


Lire l'article complet, et les commentaires