Le syndrome PowerPoint

par Anne-Caroline Paucot
lundi 21 mai 2007

La « PowerPointite » ou syndrome PowerPoint est un virus qui contamine tous les conférenciers et discoureurs. Il provoque chez leurs auditeurs bâillements, soupirs et autres symptômes caractéristiques d’une forte crise d’ennui. Rassurez-vous, le pire est à venir.

Lorsque les orateurs des temps modernes mitonnent une présentation, avant de penser au contenu, ils pensent au contenant et sortent leur casserole fétiche : le logiciel Powerpoint. Avec lui, pas besoin de se gratter les méninges pour imaginer une recette originale. La préparation, étayée par quelques transparents, sera assez solide et consistante pour nourrir les esprits de leurs futurs auditeurs.

Lorsqu’on s’interroge sur leur inébranlable confiance dans ce logiciel, les tombés dans des barils de psy pensent qu’elle est à mettre sur le compte de son appartenance à une suite (la suite Office de Microsoft). Suggérant l’existence d’un palace, elle met du luxe dans l’esprit de l’utilisateur et lui fait croire que, en l’utilisant, il peut pénétrer dans cet univers !

Comme cette pyscho-analyse est susceptible de donner envie de faire une thèse sur les mouches qui volent sur le dos, on peut écouter les accros évoquer leur dépendance.

A les entendre, PowerPoint est tout d’abord une béquille qui leur permet de ne pas avoir l’air d’un ballot aux bras ballants : « Quant je fais défiler les transparents, je focalise le regard des auditeurs et j’ai à ce moment-là l’impression d’être le roi du monde. », dit un contaminé. Si l’on comprend bien, plus on s’efface pour mettre en valeur ses transparents, moins on se sent transparent !

Si cette logique pour fin de soirée arrosée vous laisse septique, peut-être serez-vous sensible à celle de l’infinie solitude du rhéteur devant une assemblée d’auditeurs anesthésiés par les précédents Powerpoint : « Lorsqu’on fait une présentation, on se sent terriblement seul. Le support visuel permet de s’appuyer sur du solide et d’éviter les sorties de pistes fatales. », affirme un marathonien du discours. En résumé, un discours sans PowerPoint, c’est comme une voiture sans essuie-glace. A la moindre perturbation atmosphérique, c’est la catastrophe.

Si Powerpoint est une bouée de sauvetage pour discoureurs en péril, c’est aussi un carcan.

L’outil fabrique le discours. Les orateurs posent sur leurs diapositives les mots qu’ils liront. Ils disposent de deux barils (un sonore, un visuel) de mots pour laver plus blanc les esprits. Si les auditeurs peuvent être agacés par cette répétition, cela n’effleure pas l’orateur qui a l’impression d’enfoncer le clou et donc de construire une bâtisse plus solide.

Faire une présentation qui en jette mobilise temps et énergies. Les orateurs passent des lustres à trouver les typos, les images qui vont impressionner leurs auditeurs. Le logiciel libérant leur créativité, ils ont l’impression d’être des Einstein de la création. Ces amusants travaux pratiques font que ce support visuel qui devrait rester accessoire devient essentiel. Cette inversion des priorités brouille le propos. C’est comme si, dans un film, on modifiait le mixage son en mettant la musique en avant-scène sonore et les dialogues en arrière-plan !

Ce sophistiqué pervers de PowerPoint tire également la couverture à soi en transformant les pourcentages en camembert, histogramme et, au fil de ses versions, en des formes plus subtiles. C’est tellement magique que les orateurs se croient obligés d’utiliser cette subtilité. Résultat, des statistiques dénuées de tout intérêt alimentent leurs argumentaires !

Lors de la présentation, Powerpoint est un boulet qui interdit toute souplesse.

Au démarrage de la présentation, l’artiste du support visuel attend que ses laborieux barbouillages typographiques provoquent des manifestations d’enthousiasme. Comme ses œuvres sont souvent des crimes de lèse-retine, il n’y a le droit qu’à des soupirs. Accusant le coup, ses premières phrases sont servies avec une sauce soporifique fatale pour les quelques réveillés existants.

Après ce décalage initial, rien ne va plus. Les transparents actionnés d’un coup de clic prennent de l’avance. Soit l’orateur s’épuise à pédaler dans le vide pour rattraper le retard, soit il revient en arrière et perd le fil du discours. Pour éviter, un deuxième décalage, il s’interdit tous nouveaux clics et découvre vite qu’il a plusieurs transparents de retard. C’est alors l’affolement. Il bafouille, maugrée, s’emmêle les mots. La chute arrive lorsque l’animateur lui annonce qu’il doit accélérer sa présentation. Il fait défiler les transparents en vitesse accélérée en les déchiffrant de manière machinale. Sa présentation devient alors aussi excitante qu’une séance de roulette chez le dentiste.

Certains esprits confiants peuvent penser que la maladie ne va durer que le temps d’une mode. Ils ont sans doute raison, mais ce qu’ils ignorent, c’est que le pire est à venir. Demain, équipés de gants de simulation de mouvement fabriqués par le Gesture Studios de Los Angeles (www.gesturestudios.com), les orateurs se transformeront en chefs d’orchestre. Debout devant un écran géant, ils démarreront une vidéo, feront pivoter un objet 3D, saisiront et déplaceront un texte. Leur prestation devant être visuelle et corporelle, ils ont encore moins de temps à consacrer au contenu du discours. Pendant ces pensum, il ne nous restera qu’à relire Paul Virillo qui dit : « Avec des nouvelles technologies, nous assistons à la disparition inéluctable de l’auteur ou du créateur au profit d’une marque. »


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