Le temps des cerises, mais pas pour tout le monde
par Didier Cozin
jeudi 25 juillet 2013
En France nous aimons beaucoup importer et recourir au travail des autres : fruits, légumes, Iphone, voitures, vêtements, services divers et variés. Nous sommes devenus des champions de l’importation.
Plutôt que de travailler 40 heures par semaine et jusqu’à 65 ans comme un peu partout à la surface du globe (et en Europe même) nous prétendons donner des leçons de social à la terre entière (y compris au plus grand pays communiste de la terre, la Chine) et nous vivons désormais dans un pays où le travail est en passe de devenir inaccessible pour une fraction importante de la population.
Toutes nos approximations et amateurismes économiques et sociaux sont basés sur une profonde méconnaissance de mécanismes de l’économie et des forces en présence dans le monde.
La fameuse légende urbaine du travail français le plus productif du monde nous sert d’œillère et de cache misère afin d’éviter de prendre conscience de ce qui se passe aujourd'hui dans ce village global qu'est devenue la planète.
Notre (prétendue) meilleure productivité ne tient pas à l’épreuve des résultats économiques du pays. Si nous importons tant (et pas seulement du pétrole), si notre balance du commerce extérieur est constamment déficitaire depuis plus de 12 ans, si notre compétitivité devient de plus en plus problématique (sinon pourquoi ne vendrions nous plus nos produits et services ?) c’est bien parce que nous sommes désormais décalés et démodés dans un monde devenu professionnel et exigeant.
Un monde où 7 milliards d’habitants (bientôt 10 milliards) doivent gagner leur pain quotidien à la sueur de leur front alors que les français comptent leurs droit, leur RTT et les années qui les séparent de l'Eden retraite.
Le travail et son coût représentent en fait un mix de plusieurs facteurs :
- la qualification des personnes,
- la qualité du travail fourni,
- le prix chargé du travail et enfin
- la conflictualité du travail (et son éventuelle complexité via le Code du Travail).
Sur tous ces facteurs, notre pays, qui était sans doute adapté à l’ère industrielle et aux 30 glorieuses, mais désormais il fait mal et plombe l’horizon économique et social de tous ses habitants.
Tout près de chez nous les suisses par exemple ont 3 % de chômeurs. Leurs charges sociales se montent à 25 % (contre 80 % en France) le droit du travail tient sur 20 pages (8 320 articles soit 2 500 pages en France) et les suisses travaillent nombreux un peu plus de 40 heures par semaine.
En France c'est tout l'inverse : 10 à 20 % de travailleurs très qualifiés, 40 ou 50 % de travailleurs mal préparés et peu (in)formés et 20 à 30 % de travailleurs déclassés, incapables désormais de vivre de leur qualification et de leurs compétences.
Nous avons donc un problème avec le travail et ce problème se traduit dans le prix et la qualité des produits made in France.
Prenons ce simple exemple : le prix du Kg de cerises vendu en juin dans le commerce en France.
Un Kg de cerise produites en France coûtait près de 7 euros par Kg.
Ce qu’il y a d’intéressant avec les fruits et les légumes, c’est qu’outre le fait que les français n’en consomment pas assez pour se maintenir en bonne santé (nous avons du mal à prévenir les maladies en France, nous préférons les soigner à grands une fois qu’elles sont apparues), les fruits et légumes frais présentent dans leur coût une part importante de main d’œuvre, main d’œuvre devenue soit introuvable soit très coûteuse en France.
Il y a quelques jours c’était la saison des cerises, le temps des cerises donc (un temps des cerises fortement connoté à gauche du fait d’une chanson qui assimile les cerises aux larmes et au sang versé par les communards en 1871).
L’auteur de ce post dispose d’un jardin en banlieue parisienne avec un unique cerisier et cette année la récolte fut correcte (peut être 3 kg de cerises) car les oiseaux épargnèrent l’arbre (occupés sans doute avec toutes les petites bêtes qui fourmillaient dans la campagne du fait d’un printemps très pluvieux).
Grimpant dans son cerisier il eut le loisir de comprendre, tel Newton recevant sur la tête une pomme, pourquoi les cerises vendues dans le commerce étaient si chères en France et pourquoi un smicard popurra difficilement s’acheter un kilo de cerises produites dans notre pays.
La cueillette des cerises est une activité peu mécanisable. Comment en effet cueillir des cerises dans de bonnes conditions et avec leur queues à l’aide une machine ? C’est sans doute impossible ou il faudra attendre que les robots soient suffisamment agiles et bon marché pour grimper dans les arbres (et dès lors ce travail humain ne sera plus rémunéré) et se saisir délicatement des cerises mures.
Pour produire et vendre des cerises il faut donc :
- Avoir un terrain avec un verger (un cerisier met des années à donner des fruits, c’est donc de l’argent investit mais aussi immobilisé).
- Entretenir les arbres fruitier, lutter contre les maladies mais aussi contre les oiseaux (qui en général sont les premiers consommateurs de cerises)
- La semaine où les cerises sont mûres les cueillir rapidement dans les arbres (et donc ne pas être parti en Week end ou en RTT chez la cousine Henriette)
- Ensuite les conditionner et les transporter jusqu’à l’étal du marché ou du supermarché où le consommateur pourra les acheter (les circuits courts comme ceux des AMAP sont parfaits…pour nourrir les 2 % de bobos français).
C’est au niveau de la cueillette que les choses se précisent : Quand on grimpe dans un cerisier (même en étant entrainé) il est difficile de cueillir plus d’un kg de cerise tous les ¼ d’heure. Tout cela évidemment en imaginant que les conditions climatiques sont bonnes et les cerises abondantes (car il a pu geler durant la floraison ou pleuvoir durant le printemps).
Si donc notre cueilleur expérimenté (s’il ne l’est pas il mettra le double de temps) cueille son panier de 1 kg de cerises en 15 minutes et s’il est payé au SMIC (on imagine qu’il ne gagne par 3 000 euros en cueillant des cerises) le kg de cerise reviendra donc à 15 euros (prix minimum d’une heure de travail avec les charges) divisé par 4. En gros 4 euros de main d’œuvre.
A ces 4 euros il faudra ajouter le coût du conditionnement (moins élevé que la cueillette mais non négligeable), du transport (et il faut faire vite car les cerises cueillies ne se gardent pas plusieurs jours sans s’abimer ou pourrir) et enfin (même si ça énerve certains qui aimeraient que les patrons travaillent gratuitement) la rémunération du propriétaire du verger (un affreux propriétaire paysan portant sans doute des bottes de cheval et fumant de gros cigares).
Nous allons donc ajouter à ce kg de cerises 1 euro pour le transport/conditionnement et la marge de l'agriculteur + encore 2 euros de marge du commerçant (et s’il était facile de vendre des cerises il y aurait plus de concurrence face aux grandes surfaces).
Nous arrivons donc à 4 + 1 + 2 = 7 euros le kg pour nos chères cerises.
7 euros le kg pour le ménage pauvre qui fait ses courses, c’est très cher. Pour peu qu’il y ait 6 personnes dans le foyer et que chacun consomme 300 grammes de cerises (ce qui n’est pas énorme quand elles sont bonnes), il faudra acheter presque 2 kg de cerises pour manger cet excellent fruit en saison.
Le coût donc pour cette famille (pas nécessairement riche) : 14 euros, soit 1 h 30 de salaire d’un Smicard ou encore 1/5 des revenus de la journée si une seule personne travaille dans ce foyer.
Sachant que les consommateurs devraient (au minimum) consommer 5 fruits et légumes par jour (mais plutôt 7 ou 8 en fait) que constate-t-on ?
- Il est bien moins cher d’acheter un paquet de biscuits aux graisses hydrogénées ou un pot de confiture industrielle pour nourrir sa famille au dessert,
- Il est tentant d’acheter la main d’œuvre pas chère des pays du Sud pour s’approvisionner (en fruits et légumes comme en biens de consommations courantes),
- Il n’est pas possible de dépenser 100 % de ses revenus en fruits et légumes produits en France (qui va payer le reste, y compris le loyer, le téléphone portable ou les transports ?)
- Un ménage modeste vivant en ville avec le SMIC est condamné à la mal-bouffe : produits industriels de mauvaise qualité, produits soldés sur les marchés, nourriture mal équilibrée, lasagnes ou pizzas industrielles de qualité douteuses….
Au final les français pourraient être parvenus au bout d’un système économique à bout de souffle car constitué :
- D’Importations massives du travail des pays pauvres (les tomates produites au Maroc sont moins coûteuses que celles produites en France car le pauvre ouvrier agricole marocain gagne 1 euro par heure et il n’est couvert par aucune assurance sociale)
- De subventions massives du travail non ou pas qualifié en France (ce travail non rentable est basé sur l’exploitation de la main d’œuvre féminine, le travail à temps partiel et les aides gouvernementales qui le pérennise)
- De l’éviction de tous les travailleurs non conformes. Notre prétendue meilleure productivité en Europe (ou pourquoi pas mondiale) est un leurre. Elle est en fait concentrée sur un tout petit nombre de travailleurs qualifiés et valides. Tous les actifs non rentables (travailleurs sans qualification, jeunes, seniors, handicapés…) sont rejetés vers la solidarité nationale. Quant aux réels actifs ils sont tenus à bout de bras par une sécurité sociale qui n’en peut plus de panser les plaies du travail (harcèlement, accident du travail, usure prématurée des travailleurs) faute d’une organisation et d’une prévention suffisante
- D’un endettement massif du pays qui ne pouvant assumer tout son social, ne pouvant entretenir ¾ d’inactifs dans la population emprunte à raison de 1 milliard d’euros tous les 2 jours pour assurer le train de vie du pays (mais jamais pour rembourser les dettes accumulées depuis 40 ans en France)
- D’un chômage de masse, qui touche au moins 5 millions de personnes (dont 2 millions de chômeurs de longue durée) et dont nous ne viendrons pas à bout avec les recettes utilisées traditionnellement depuis 30 ans (le fameux traitement social du chômage)
Pour les produits industriels fabriqués en France c'est à peu près la même chose. Un rétroviseur d'une voiture française coûte le même prix qu'un poste TV à écran plat ou qu'un smartphone produit en Chine. Pourquoi une telle différence alors qu'un rétroviseur n'est pas une pièce tellement dificile à produire ?
Nous pourrions à l’avenir connaître le paradoxe d’un pays jadis riche, disposant d’une position géographique enviable en Europe, et qui à force de jouer à l’enfant gâté n’aura pas vu son environnement changer et les difficultés le submerger.
Il reste certes beaucoup de vergers en France (plantés il y a 50 ou 100 ans) mais dans les prochaines années trouvera-t-on encore des français pour en recueillir les fruits ?