Les banques centrales accélèrent l’obsolescence des théories économiques

par alain-desert
jeudi 25 février 2016

Bientôt, il faudra réviser l’ensemble des manuels économiques, tout simplement parce que les théories héritées du passé ont pris un sérieux coup de vieux. Le monde a beaucoup changé en l’espace de quelques décennies, et nos systèmes économiques par la complexification de leurs organisations, ont fait naître en eux-mêmes des propriétés dites émergentes. Les nouveaux comportements qui en résultent vont mettre en défaut certaines théories économiques et bousculer tout un ensemble de causalités qui nous paraissaient si évidentes.

Auto-organisation et propriétés émergentes

Ce nouveau monde se caractérise par de nombreuses relations, économiques, financières, politiques, géopolitiques, structurelles, donc des interdépendances, qui ont progressivement été mises en place aussi bien entre pays qu’entre zones géographiques ou entre zones monétaires. Les flux de capitaux s’intensifient et se diversifient, les couplages et les rapports de force se réorganisent, les organes de régulation ont gagné en prérogatives et en force d’intervention (notamment les banques centrales). Tout ceci rend la compréhension du monde économique plus difficile et sa régulation plus délicate (pas de régulateur mondial), au vu de comportements répondant à de nouvelles logiques qu’on n’a jamais vues dans le passé.

La globalisation, le monde vu dans sa totalité, évoque le concept de l’holisme, un mode de pensée qui appréhende un système comme un « tout », ses propriétés ne pouvant être déduites à partir de ses seuls sous-systèmes ou éléments. Le « tout » est plus que la somme des parties, nous renvoyant au principe selon lequel les systèmes se dotent de nouvelles propriétés dites émergentes à partir d’un certain seuil critique de complexité. Par exemple, la construction européenne s’est faite par une multiplication des liens entre des éléments nommés « pays », générant des accords, des traités, de nouvelles structures et institutions pour piloter l’ensemble. Parallèlement apparaissaient de nouvelles propriétés, comme la libre circulation des capitaux, des personnes, des biens et des services et bien sûr la monnaie unique (la propriété émergente tient dans le mot « unique »). L’Euro n’a de sens qu’à travers le « tout », d’où une Banque Centrale Européenne indépendante qui dépasse le cadre national. Seulement voilà, quand une nouvelle propriété apparaît au niveau du « tout », les éléments pris séparément perdent eux-mêmes des propriétés qu’ils avaient en propre. Les états de la zone euro ont perdu la prérogative de l’émission monétaire, la fixation des taux directeurs, la mise en place de certaines normes.

Quand un système est imparfait, victime d’un vice de construction, une propriété émergente peut rendre l’ensemble inefficace et instable, ce qu’on a vu avec le problème grec et la crise des dettes souveraines. La construction d’un ensemble complexe se fait par une succession d’échecs et de réussites, par l’apprentissage, comme dans les processus naturels ; L’Europe s’est construite par à coups avec difficulté, jusqu’à ce que les crises multiples récentes entravent ce processus, laissant entrevoir au mieux une phase de pause, au pire un début de déconstruction (crise Euro qui pourrait renaître, migrants, Brexit, Grexit, indépendance régionale). Mais si un ensemble complexe comme l’Europe se déconstruit ou se désorganise trop vite, les propriétés émergentes auront tendance à disparaissent, au plus grand bonheur de ceux qui veulent en finir avec l’Euro.

Tout ceci pour appuyer l’idée que les théories anciennes n’ayant pas intégré les notions de complexité et de propriétés émergentes, ne peuvent plus être de véritables références.

Les théoriciens du passé ignoraient la vision globale

Les grandes théories économiques des siècles passés, ou dérivées (classique, néoclassique, keynésienne, etc.), bâties dans des environnements qui n’ont plus rien à voir avec le monde actuel et sur lesquelles beaucoup de politiciens et économistes se reposent encore, n’ont jamais pu être amendées par leurs auteurs afin de tenir compte de nouveaux contextes, notamment la mondialisation, les changements de nos modèles sociaux, la multiplication des réseaux et des flux en tout genre, l’accélération du temps économique (versus inertie du temps politique), les interdépendances, les nouvelles technologies, la finitude du monde (à l’époque tout paraissait sans limite avec si peu de monde sur la planète)  etc.

Rappelons que l’école classique regroupe des économistes du 18ème et du 19ème siècle dont parmi les plus célèbres Adam Smith, David Ricardo, Jean-Baptiste Say. Le Keynésianisme date du début du 20ème siècle. La plupart des auteurs n’ont pas connu les grandes théories du 20ème siècle que sont « la théorie de l’information », « la théorie des systèmes », « la cybernétique », ou « approche systémique » qui s’appuie sur les 3 premières. Or, ces théories ont joué un rôle fondamental dans la compréhension des mondes complexes, de leurs comportements ou dynamiques, des méthodes de régulations. C’est peut-être pour cette raison, que l’on ne comprend plus grand-chose à ce qui se passe actuellement, nos crises, nos krachs, nos déséquilibres, nos emballements financiers, les causalités inversées. Il manque une strate à nos modèles et automatismes de pensée, celle de la complexité qui vient troubler des règles du jeu que l’on croyait immuables.

Les banques centrales ont tout bousculé

Les banques centrales, par leurs politiques non conventionnelles portent une responsabilité importante dans les chamboulements économiques bien visibles depuis la crise des dettes souveraines. Le monde bousculé, renversé, fait que ce que l’on croyait vrai hier, peut s’avérer faux aujourd’hui, et ce que l’on croit vrai aujourd’hui pourrait s’avérer faux demain. Elles ont cru et croient encore que le monde est symétrique en faisant passer les taux d’intérêts en territoire négatif, signifiant qu’il y a plus de certitudes dans le futur que dans le présent. C’est là une erreur conceptuelle majeure, sans que les états ne s’en émeuvent vraiment. Inquiétant ! Une politique efficace de régulation doit se traduire par des convergences vers des points d’équilibre. Or, on constate le contraire, l’échec d’une politique érigée en dogmes, chaque nouvelle crise étant plus grave que la précédente. Les politiques monétaires entachées de ces vices conceptuels, à la base d’une ingénierie délirante, n’auront d’autres conséquences que de provoquer des divergences par rapport à une marche normale de l’économie, donc des instabilités génératrices de nouvelles crises. En voulant retourner les lignes de force qui animent une économie, on s’expose au retour fracassant des vérités et des prix justes.

Les nouvelles causalités

Voici quelques relations de causalité ou corrélations qui sont remises en cause ou inversées, bousculant nos schémas appris, auxquelles viennent s’ajouter des modifications comportementales, des aberrations dans les processus décisionnels.

Plus localement, on peut pour la France citer la relation « emplois aidés / chômage  ». Les emplois aidés perdent au fil du temps leur efficacité. Il n’y a jamais eu autant d’emplois de cette nature, avec un chômage qui continue à progresser. Peut-être sommes-nous là encore victimes de cette fameuse loi des rendements décroissants.

Conclusion

Les approches utilisées par nos dirigeants pour comprendre la dynamique des systèmes économiques n’ont pas beaucoup évolué, restant plutôt dans une veine classique, réductionniste, conduisant souvent à des décisions inappropriées. On a vu que la complexité contribuait à d’autres logiques, à d’autres comportements, au flou des causalités.On a vu que la complexité contribuait à d’autres logiques, à d’autres comportements, au flou des causalités, qui affaiblissent la pertinence de certaines théories économiques.

Je vous le dis, on marche sur la tête ! Il faut vite remettre le monde à l’endroit avant que les forces naturelles ne s’en chargent, car à ce moment là, le séisme pourrait être assez violent.

Alain Desert


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