Les comptes de fées du FN

par olivier cabanel
jeudi 6 février 2014

Le Front National est fier de proposer son programme économique, qui, pour une majorité d’experts ressemblerait plutôt à un conte de fée…

Écoutons-les.

La stratégie de Marine le Pen était claire : d’abord se débarrasser de l’image encombrante du père, qui faisait de son parti le fer de lance contre l’immigration et l’insécurité, et qui entretenait ouvertement des relations avec des mouvements peu fréquentables.

Même si probablement, elle partage toujours les mêmes convictions que son père, elle ne les étale plus, assurant avoir d’autres préoccupations, économiques, celles-là, et, d’après de nombreux experts, son projet ressemble beaucoup à un conte de fées.

Bien sur, les économistes ne sont pas infaillibles, et se trompent plus souvent qu’à leur tour, et pourtant…

Au cœur de son programme économique, on trouve évidemment « la sortie de l’euro ». lien

Selon Terra Nova, s’appuyant sur des projections, la sortie de l’euro couterait 50 milliards d’euros si on cumule les coûts de l’inflation, les intérêts de la dette et le retour de la récession.

Marine le Pen a beau se féliciter d’avoir fait appel à une vingtaine d’experts, et Thibault de la Tocnay, chargé de la question au FN, a beau lui emboiter le pas en déclarant : « personne n’a réalisé un travail aussi fouillé  », il n’en reste pas moins que l’analyse poussée du programme économique du Front National démontre qu’il ne pourra tenir ses promesses : « augmentation du pouvoir d’achat, augmentation des prestations sociales, défense du made in France, et renforcement des services publics… ».

Le plus surprenant est que Jean-Richard Sulzer, conseiller économique du FN, reconnait lui-même, dans un entretien donné à Médiapart, que le risque inflationniste existe, ce dont se défend la patronne du FN. lien

Certaines critiques de ce programme sont mesurées, telles celle de Philippe Simmonot.

Ce docteur en sciences économiques à Paris X, consulté par la présidente du FN, tout en se défendant d’être souverainiste, est pour une sortie de l’euro, mais pas pour un retour au franc. Cette sortie, aux couleurs de la souveraineté monétaire entrainerait l’inflation.

Il pense que « si l’euro n’est pas tenable, c’est à cause des disparités entre les pays qui le partagent (…) ce sont les problèmes de monnaie qui vicient la mondialisation ». lien

Jacques Sapir, l’économiste proche du Front de Gauche ne voit rien de scandaleux dans la feuille de route du FN, mais surtout « un grand sentiment d’amateurisme » ajoutant « qu’il ne constitue pas une véritable alternative  ».

Il évoque une approche idéologique, non pragmatique, comportant des touches de démagogie et d’incohérence. lien

Dans les rangs de ceux qui ne croient plus à l’euro, on trouve aussi Norman Palma, docteur en philosophie et en économie, maitre de conférences à la Sorbonne, qui est convaincu que : « on va vers la fin de l’euro et du système dollar  » ajoutant «  l’euro va mourir de ses contradictions internes », faisant un parallèle entre la situation qu’a connu l’Amérique latine, et donnant l’exemple du Brésil dont la dette énorme s’est retrouvée avec un excédent considérable, suite à l’effondrement du dollar au début des années 2000.

Evoquant le livre d’Alain Cotta (sortir de l’euro ou mourir à petit feu-éditions Plon-2010) et dans un long entretien donné chez « nationspresse.info », il assure que la sortie de l’euro implique automatiquement une sortie de l’Union Européenne. lien

Mais d’autres experts en économie vont plus loin.

S’il reconnait que « l’euro n’est pas viable » ajoutant « au départ on n’a pas fait le bon choix », et qu’une fédéralisation de la zone euro à 9 ou 10 serait la solution idéale, Christian de Saint Etienne, professeur d’économie au Conservatoire national des arts et métiers, membre du CAE (conseil d’analyse économique) déclare « sortir de l’Euro et de l’Europe, c’est aller vers une albanisation de la France. Quand à racheter la dette par une émission de monnaie, c’est préparer l’hyper inflation et la banqueroute  », ajoutant «  sortir de l’euro serait suicidaire, prétendre le contraire est d’une stupidité sans nom  ».  lien

En écho, Jean Luc Gréau, ancien expert au Medef ajoute : « sur le fond, un éclatement de la zone euro serait un désastre économique. Ces pays verraient leur dette publique massacrée (…) si le FN dit que, économiquement, l’Europe est une passoire, nous sommes d’accord : il faut des protections commerciales. Mais il n’est pas pertinent de s’en tenir à une protection aux frontières nationales. Il faudrait s’y mettre à 3 ou 4 pays européens ». lien

L’économiste Nicolas Bouzou, membre du CAS (conseil d’analyse de la société) directeur d’Asterès, enfonce le clou : « quand la majorité des économistes disent qu’il faut s’adapter, voire profiter des mutations, le FN propose le repli sur soi avec la sortie de l’euro et le plaidoyer en faveur de la fermeture des frontières (…) le FN ne veut pas s’adapter mais bien éviter les effets de la mondialisation (…) ces refus des facteurs de croissance que sont l’insertion dans le commerce mondial et la course à l’innovation, cette autarcie économique, sont les fondements d’un programme réactionnaire qui vise à ressouder le corps social, mais c’est au prix d’un appauvrissement généralisé ».

L’éditorialiste du journal « les Echos », Eric le Boucher ne dit pas autre chose dans une analyse fouillée.

Il remarque que Marine Le Pen a fait un copié collé du programme du front de gauche, expliquant la crise actuelle avec les mêmes arguments que cette dernière sur l’air de : « le peuple a été trahi au profit d’une petite classe mondialiste »…et les propositions qu’elle fait sont identiques à celle que fait la gauche : création d’une banque d’investissement afin de financer les PME, maintien de l’ISF, attaque des « rémunérations indécentes » des grands patrons, relèvement de la taxation des revenus du capital au même niveau que celle des revenus du travail, mais comme l’explique l’éditorialiste : « elle pousse le bouchon beaucoup plus loin, proposant que les 50 plus grands groupes mettent 15% de leurs résultat net en réserve pendant 5 ans pour alimenter un fond d’industrialisation stratégique, elle revient au contrôle des prix, réindexe les salaires sur l’inflation, crée une réserve légale des titres d’entreprises pour rendre les salariés propriétaires, revalorise les salaires de la fonction publique, remonte les pensions de réversion, taxe à 33% les délocalisation des services, et distribue 200 € à tous les salaires inférieurs à 1,4 smic »…

Au sujet de l’immigration, continue le journaliste, les études du FN tentant à démontrer que l’immigration coûte des milliards ne sont pas validées : en réalité les immigrés cotisent mais dépensent moins en santé et en retraite du fait de leur jeune âge moyen, ainsi que le prouve l’étude publiée le 1 juillet 2013 par Julian di Giovanni, Andréi Levchenko, et Francesc Ortega. lien

Revenant au cœur du programme économique du FN, Eric le Boucher reconnait que le projet dénonce bien sur l’austérité, mais sans expliquer pour autant comment il en sort, et il dénonce surtout « une solution magique qui permettrait de retrouver la souveraineté du pays, et la sortie du chômage » en sortant de l’euro et retournant aux politiques de dévaluation.

Pour l’éditorialiste, ce programme simpliste n’est pas crédible car la sortie de l’euro, même « préparée » ferait fuiter à grande vitesse (électronique) l’argent des entreprises et celui des ménages, direction par exemple la Deutsche Bank.

Il rappelle que c’est le marché commun qui a permis à la France de rattraper son retard, et que la croissance française d’alors venait de l’ouverture au marché mondial.

En fermant les portes aux frontières du pays, le Front National priverait la France des vrais moteurs de l’expansion que sont entre autres les marchés extérieurs des pays émergents. lien

Guy Millière, titulaire de 3 doctorats, professeur à l’Université Paris VIII, dans une longue contribution accordée à « Dreuz.info », assure que « la mondialisation est un fait, et non pas une option politique », trouvant « consternant que des gens puissent envisager un retour au protectionnisme » et il déclare : « le FN, en l’état actuel des choses, n’incarne pas une réponse aux difficultés graves que connait le pays (…) le programme du FN ne cesse de s’en prendre au libéralisme, et en le lisant, on voit qu’il s’en prend en fait à la liberté d’entreprendre »… Pour lui, le programme économique du FN est « un visa pour le naufrage  », et les choix économiques du FN sont « discutables, et potentiellement délétères ». lien

En abandonnant apparemment ses chevaux de bataille que sont « l’immigration, et l’insécurité », et en choisissant de privilégier le thème de l’économie, sur l’air de « la France aux français », Marine Le Pen, voulait apparemment se donner les couleurs de la respectabilité, mais, s’il faut en croire la majorité des économistes, son programme économique n’a pas leurs faveurs.

De toute façon, 2014 ne sera pas une année facile si on veut bien donner quelques crédits à cette courte vidéo : « les prévisions pour 2014  »

Comme dit mon vieil ami africain : « le monde appartient à ceux dont les ouvriers se lèvent tôt ».

L’image illustrant l’article vient de : « fn41.unblog.fr »

Merci aux internautes pour leur aide précieuse

Olivier Cabanel

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