Les démentis offusqués de Total

par Olivier Bonnet
vendredi 23 mars 2007

Première société française et quatrième groupe pétrolier mondial, la firme Total est actuellement dirigée par un homme doublement mis en examen pour « abus de biens sociaux et corruption d’agents publics étrangers », à la suite de ses fructueuses affaires avec l’Irak de Saddam et l’Iran des ayatollahs. Parfaite illustration de la dérive du capitalisme libéral.

Lorsque l’information de la mise en garde à vue de trois cadres de Total, dont le nouveau patron Christophe de Margerie, a été révélée hier matin par L’Est républicain, la direction du pétrolier fait aussitôt monter au créneau un porte-parole. Il confirme certes la convocation par la police financière, précisant qu’il s’agit "d’auditions qui s’inscrivent dans le cadre d’une information judiciaire contre X ouverte en décembre 2006 relative à la mise en oeuvre du projet industriel de South Pars en Iran", et que Margerie "a été convoqué ce matin", mais le communiqué, cité par Le Monde dans son article mis en ligne à 10h47 - qui "omet" de citer L’Est républicain, entre parenthèses -, s’achève par la mise au point suivante : "Il n’est pas placé en garde à vue." Or non seulement Margerie a bien été mis en garde à vue, mais il y a passé toute la journée, puis la nuit, puis une deuxième journée, entendu par les policiers dans les locaux de la brigade financière situés à une adresse qui ne s’invente pas : rue du Château des Rentiers (Paris 13e) ! Faut-il juger la position officielle de Total à l’aune de ce démenti immédiatement... démenti par les faits ? Du côté du pétrolier, "le groupe assure ses collaborateurs de sa complète solidarité et confirme que les accords ont été signés dans le respect de la loi". D’où viennent alors les 28 millions d’euros versés par une entité liée à Total sur les comptes bancaires suisses d’un Iranien qui pourrait être le fils de l’ancien chef de l’Etat perse, Ali Akbar Hachemi Rafsandjani, dont le nom a été cité lors des auditions ? La justice helvétique le désignerait comme intermédiaire d’une corruption. Le pétrolier affirme que ces versements rémunéraient des prestations de conseil, mais aucune justification de ces prestations n’a pu être fournie... Le nouveau patron de Total, société déjà scandaleusement embêtée par des écologistes rouges lui reprochant sa responsabilité dans la catastrophe de l’Erika, est donc mis en examen pour "abus de bien sociaux et corruption d’agents publics étrangers", en l’occurrence iraniens. Mais, pas de chance, il l’est aussi vis-à-vis de dirigeants irakiens, soupçonné d’avoir effectué des versements à des officiels du régime de Saddam Hussein, en marge de contrats obtenus dans le cadre du programme de l’Onu "Pétrole contre nourriture". Laissé en liberté sous contrôle judiciaire, il continue à diriger Total. L’Iran des ayatollahs, l’Irak de Saddam... Y a-t-il encore une autre patrie des droits de l’homme avec laquelle la multinationale française est en fructueuses affaires ? Oui da : la Birmanie, dont chacun sait que la junte au pouvoir est formée d’exemplaires démocrates... Huit travailleurs birmans se sont plaints devant la justice française d’avoir été réquisitionnés par l’armée pour participer de force au chantier du gazoduc de Yadana : Total emploierait donc des esclaves ? Qu’on se rassure, ils ont finalement retiré leur plainte, contre des indemnités et le financement d’un projet humanitaire. Coût pour la multinationale française : 5,2 millions d’euros. Une broutille, quand on connaît le montant de ses bénéfices - record en 2006 : 12,585 milliards d’euros nets. L’argent n’a pas d’odeur, même lorsqu’il sent très mauvais. Ajoutons enfin qu’outre l’affaire iranienne, Margerie est aussi entendu dans le cadre d’une enquête portant sur des versements suspects à un ancien ministre de la Justice du Cameroun. Cela ne fait-il pas un peu beaucoup ? Mais non : Total a des alliés de poids, par exemple en la personne des amis de Nicolas Sarkozy, parmi lesquels l’inénarrable "Peter" Lellouche, qui monte au créneau lorsqu’on évoque la possibilité de taxer ses profits : "En réalité, ce qu’il faudrait, c’est mettre les dirigeants de Total devant un peloton d’exécution, renationaliser et faire un grand soviet ! Arrêtons cette gué-guerre contre l’argent. C’est vrai qu’en dehors de la Corée du Nord et Cuba, tout le monde a compris ça quand même. Même les Chinois, même les Russes..." C’est cela même : vive le capitalisme libéral, qui détruit la planète et finance les dictatures qui asservissent les peuples ! Et vivent ses brillants défenseurs hexagonaux de l’UMP.


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