Les dessous d’une drôle de guerre eurocomique
par Bernard Dugué
mardi 11 mai 2010
Sarkozy n’a pas assisté au défilé militaire organisé par l’Etat russe pour célébrer la victoire des alliés et la capitulation de l’Allemagne nazie. Ajouter l’adjectif nazi est essentiel puisque ce n’est pas l’Allemagne en tant que peuple, culture et histoire qui a été vaincue mais un régime devenu fou et d’ailleurs, pendant l’Occupation, la France elle aussi n’existait plus, supplantée temporairement par le régime pétainiste. Ce moment cruel de l’Histoire s’est soldé par une victoire salutaire des alliés, et quoiqu’on pense de Staline, cette victoire a été acquise avec la vaillance des soldats soviétiques, la plupart russes. De cette victoire résultat une nouvelle ère en Europe, une ère de paix dont nous devrions être reconnaissant, nous piètres ingrats de ce monde matériel pour enfants gâtés. La France à nouveau amie avec l’Allemagne. Des images fortes et symboliques. Mitterrand et Kohl main dans la main. Pourtant, un énorme différent subsistait. La blessure consécutive à la guerre froide, résultat prévisible de la victoire des alliés, n’était pas refermée. L’Allemagne se souvient encore des missiles soviétiques pointés sur son territoire. Pourtant, l’Histoire a basculé et cette foi, la réconciliation d’une civilisation qui va de l’Atlantique à l’Oural, selon un bon mot du Général, est sur le chemin et quelles que soit les critiques qu’on peut faire à l’encontre du régime russe actuel, on ne peut que se réjouir de cette commémoration hautement symbolique du 65ème anniversaire de la victoire des alliés célébrée par le défilé à Moscou des armées russes accompagnées de contingents anglais, français et américains. Un moment sans précédent pour l’Europe. Angela Merkel ne s’y est pas trompée. Elle a assisté aux cérémonies, laissant de côté les ennuis de la dette grecque et même les élections locales en cours dans son pays. Quant au Général, il ne se serait pas fait prier pour y assister, lui qui en une formule célèbre décréta que la politique ne se fait pas à la corbeille.
Mais Nicolas Sarkozy, président de la corbeille du pouvoir d’achat, a décidé, se prenant pour un héros de la lutte contre les marchés, de rester sur place pour gérer une situation présentée comme gravissime. Peut-on lui reprocher de rester sur le pont du navire Europe ? En pareille situation son homologue Medvedev aurait certainement fait pareil. Que ce soit pour un Russe ou un Français, l’économie, cela passe en premier. Ainsi, après la panique consécutive à la faillite de Lehman Brothers, c’est cette fois la dette de la Grèce qui inquiète. Le bon mot de systémique a été lancé une fois de plus par Mme Lagarde. Un mot savant certes, comme le fameux nosocomial, mais qui n’apporte rien. La sphère financière étant globalisée, toute crise survenant sur un poids lourd du système peut avoir des répercussions sur l’ensemble pour peu que les marchés paniquent. Il a suffi de deux chiffres, la parité de l’euro et la chute des bourses, pour que les gouvernants de la zone euro, eux aussi paniquent ou du moins, jouent sur les scènes médiatiques l’urgence économique. En ces temps médiasphériques, on sait bien que les gouvernants sont d’excellents communicants, qu’on dirait formés au cours Florent, pas comme ce Pierre Lellouche plutôt bredouillant et peu convaincant à l’antenne. Cela dit, le citoyen honnête ne peut pas faire confiance aux dirigeants et ne peut que douter du bien fondé des mesures prises par les eurocrates pour soi-disant lutter contre les méchants spéculateurs. Il y a certainement des choses cachées. Procédons à une reconstitution.
L’époque est à la diffusion de nouvelles alarmantes. Récemment, un volcan a engendré une confusion sans précédent dans le transport aérien. De banales cendres ont déclenché un arrêt des vols sans qu’aucun risque ne soit présent. Et la zone euro. Comment nous persuader qu’un euro valant 1.27 dollars se trouve menacé ? C’est faire preuve d’une ignorance historique. L’euro valait bien moins d’un dollar lors de son introduction et pendant des années, il n’a pas dépassé les 1.20 dollars. Qui peut prétendre qu’une monnaie présentant d’importantes fluctuations sur une décennie est préjudiciable à l’économie ? On sait très bien que les Etats-Unis ont eu une croissance soutenue en passant par des périodes de dollar faible... ou fort (sous Reagan par exemple, ou au début des années 2000). Quant à l’euro, s’il baisse actuellement, cela n’a rien d’étonnant au vu de l’économie de la zone euro et des dettes. C’est un mécanisme correctif sain que l’orgueil d’eurocrates blessés présente comme une attaque fourbe des spéculateurs. Quant aux marchés boursiers, il faut les distinguer du marché des monnaies. Le Cac 40 a pris un mauvais coup, plus que Frankfort mais ce n’est pas un hasard car les banques françaises sont assez exposées à la dette grecque mais aussi à la dette italienne qui sans être aussi toxique que la première, s’avère quand même douteuse. Les banques françaises détiennent un quart de la dette grecque, soit 75 milliards d’euros. Le citoyen lambda se demande pourquoi les bourses ont chuté. L’explication est assez triviale. Les marchés réagissent aux informations et justement, ce 5 mai 2010, la BRI a livré les données sur l’état des participations financières des Etats et banques privées dans les dettes de la zone euro mais aussi des pays du Sud. Et comme la situation n’est pas terrible, les marchés qu’on sait si volatiles se sont détournés des produits financiers européens et on connaît la suite. Pour info, la BRI est une instance internationale censée publier des statistiques sur les mouvements et actifs financiers de la planète économique. La Bric est neutre vis-à-vis des marchés. Son capital est réparti entre 55 banques centrales et sa gouvernance tournant associe les gouverneurs de grandes banques centrales, en Europe, Chine, Canada, Suisse, Etats-Unis…
Au bout du compte, les communicants présentent leur action sous un jour favorable, le capitalisme se moralise, la régulation est en marche, les marchés ont perdu, sauf que c’est l’inverse qui se passe. Les mesures prises ce 9 mai n’ont rien de « régulatoire ». C’est un renflouement des banques effectué par un transfert de dettes assorties de parachutes pour d’éventuels trous d’air financiers à venir. Le mécanisme est connu dans ses principes et a déjà été appliqué à moindre échelle. Souvenons-nous, le Crédit Lyonnais, en pleine période de globalisation, investissant dans des produits douteux, notamment le cinéma. Des choix désastreux effectués entre 1988 et 1993 avec un trou de 100 milliards de francs, environ 25 millions d’euros actuels, un trou épongé par le contribuables français. L’Etat français a sauvé une des plus grandes banques d’Europe. En 2010, la situation est comparable, sauf en terme d’échelle et de nature des investissements. Cette fois, ce sont des produits pourtant considérés comme fiables, les obligations, qui sont devenus fragiles et c’est la zone euro, secondée par la BCE, qui tente de rafistoler les banques. Les marchés ont donc gagné, pour preuve, la remontée des bourses européennes. 7 points de gagnés ce lundi 10 mai à 10 heures et 10 à la clôture. Un indice tiré par les valeurs bancaires et notamment la Société générale et le Crédit agricole reprenant 20 points, ce qui n’a rien d’étonnant, puisque ce sont, parmi les grandes banques françaises, les deux les plus exposées à la toxicité financière grecque.
Quel est donc ce tour de magie par lequel les dettes semblent se résoudre ? Eh bien, c’est par la BCE semble-t-il. La banque centrale rachète la dette grecque. Elle la rachète aux banques qui ont contracté cette dette. Du coup, les banques peuvent récupérer leurs sous. Quant à la BCE, elle a sans doute acheté ces dettes avec un taux d’intérêt à long terme de zéro. Du point de vue comptable, la Grèce n’a pas réduit sa dette mais elle ne doit plus aux banques et ne peut plus fragiliser le système. Elle doit à la BCE qui a tout le temps pour se faire rembourser vu que c’est la seule banque qui ne peut pas faire faillite. Toute cette cuisine semble bien peu démocratique. Sorte d’arrangement entre amis. Mais ainsi va le monde. Un ménage endetté, par contre, ne pourra faire racheter sa dette pas la BCE et sera saisi. Ce n’est pas très moral mais ainsi va le monde. Les banques ont retrouvé leur santé et se préparent à lorgner sur d’autres affaires. Elles pourront verser des bonus aux traders et des dividendes aux actionnaires. Tout ce beau monde saura-t-il dire merci la BCE, merci les eurocrates ? En attendant, un plan de rigueur se prépare, précédant le second plan de rigueur pour 2013. Et nul ne peut prédire la prochaine crise ? A moins que la crise ne dure deux décennies comme au Japon.
Ce nouvel épisode dévoile une fois de plus la pathologie de la monnaie. Après les crises japonaise, mexicaine, asiatique, russe, argentine, systémique de 2007 et enfin européenne de 2010. L’économie et la finances sont aux prises avec un problème de monnaie disponible, mal répartie, inéquités de solvabilité, bulle immobilière, le tout faisant que les Etats n’extraient pas assez de monnaie à partir d’une économie anémiée si bien que les déficits creusent les dettes, ce qui engendre une seconde pathologie, celle du crédit, autrement dit de la monnaie décalée dans le temps.
Autre dévoilement, celui de cette eurocomédie si bien exécutée. Le bon peuple croit que les eurocrates sont des sauveurs. Les élites ont transgressé les lois du libéralisme et les gauchistes s’imaginent que le système est néo-libéral. Il l’est pour les travailleurs perdant leur job, pour les étudiants et ménages ponctionnés par les loyers, mais pas pour les gros poissons de la finance, ni les Etats.