Les marques et les labels des régions : contrat de confiance ou outil de manipulation ?

par seb.gimetta
lundi 26 avril 2010

Les labels, ou les appellations d’origine sont souvent des critères déterminants lors d’un acte d’achat. Le consommateur consciencieux s’y réfère avec une confiance aveugle. Ses choix peuvent être dictés par des motivations diverses ; il peut penser en termes de considérations sanitaires, de normes de qualité, ou de gage de prestige. Ou alors, il va privilégier la production locale dans un souci de préservation de l’environnement et de l’industrie régionale. Mais il est tellement simple de nous tromper… Et certains grands producteurs (disons-le, des multinationales, la plupart du temps) l’ont d’ailleurs bien compris.

Produits alimentaires : si on pouvait en rire...

Savez-vous toujours d’où proviennent les denrées qui garnissent vos assiettes ? Probablement pas. Vous en connaissez, au mieux, le lieu de la dernière « transformation ». Cela peut paraître anecdotique, mais jugez plutôt par vous-même : une viande porc dont l’étiquette mentionne « provenance : Union Européenne » peut vouloir dire bien des choses. En l’occurrence, que le porc en question a fait bien du voyage, comme en témoignait un consommateur belge : en observant de plus près l’étiquetage, il put lire que l’animal était né au Canada, avait été élevé en Australie, et abattu en Belgique avant d’y être découpé ! En effet, le Règlement européen n° 450/2008 de 2008 (source) précise dans son article 36 que « les marchandises dans la production de laquelle sont intervenus plusieurs pays ou territoires sont considérées comme originaires de celui où elles ont subi leur dernière transformation substantielle ». Et la situation est aberrante comme le révèle le Ministère de l’agriculture : 88% des champignons de Paris proviennent de l’étranger ; le jambon d’Aoste est parfois fabriqué en France à partir de carcasses chinoises ou américaines ; les plus gros producteurs de savon de Marseille sont Turcs ou Chinois ; le sel dit « de Guérande » est fréquemment importé d’Argentine ou du Vietnam (source).

Alors les appellations veulent-elles encore dire quelque chose ? D’un point de vue marketing, assurément, à la lecture de ce document (lien)de l’Agreste (lien). Mais le nom de « Camembert » est tombé dans le domaine public ; l’AOC de Bretagne n’exige des fabricants qu’une seule chose : qu’il possède au moins un lieu d’emballage ou de transformation en Bretagne. Vous aimez les bons vins ? Et vous pensez que l’étiquette ne ment pas… En 2007, on apprenait pourtant avec stupéfaction que la célèbre appellation « Champagne » avait été usurpée par des producteurs américains (source). Les Etats-Unis et la Russie comptent ainsi parmi les derniers pays au monde à ne pas reconnaître la valeur des appellations d’origine… Le terroir français n’est pas le seul à être spolié de la sorte, puisqu’on révélait récemment au Québec que 60% du vin ontarien était mélangé avec des vins étrangers…(source) La raison en est simple : les grands producteurs canadiens achètent du vin en vrac au Chili, à l’Australie et à l’Afrique du Sud. Ce qui leur revient à 1 dollar le litre (transport compris !) tandis que le vin produit en Ontario leur coûte 2 dollars le litre. Des fabricants peu scrupuleux vendent ainsi leurs bouteilles estampillées « Cellared in Canada » (assemblé au Canada). Ne comptez pas non plus sur l’Europe pour garantir une meilleure lisibilité concernant la provenance des aliments, car « si le consommateur veut savoir ce qu’il achète, il a tout intérêt à apprendre fissa le jargon visuelo-siglesque franco-européen » (source).

 

Après le contenu… le contenant !

 

Figurez-vous que, si le contenu de vos assiettes est d’origine incertaine, la provenance de l’assiette elle-même pourrait bien avoir une consonance exotique. Car si vous êtes fier de votre service de table estampillé « savoir-faire français », attendez-vous à ce que l’un de vos convives, un jour, vous fasse l’affront de vous rapporter les anecdotes qui suivent. En effet, le marché européen est ouvert à la vaisselle chinoise depuis 2005. Du coup, une étude du très sérieux organisme Eurostaf (source) mentionne que « les nouvelles possibilités de sourcing permettent aux fabricants d’adopter des stratégies de prix agressives tout en améliorant leurs marges ». Entendez par là : « producteurs européens de vaisselle, vous avez enfin le droit d’aller exploiter vos marques depuis l’Asie sur les marchés domestiques » !

Premier cas de figure : vos verres sont marqués du prestigieux sceau « Cristal d’Arques ». Sachez qu’ils ne sont pas forcément produits dans le Pas-de-Calais, berceau historique de la marque. Car « Arc International » (ex-Verrerie Cristallerie d’Arques) ne s’embarrasse guère de considérations d’ordre géographique. L’entreprise a délocalisé en Chine une partie de sa production, succombant à l’appel d’une main d’œuvre dix fois moins chère qu’en France (source). Celle-là même qui concurrence le site historique d’Arques. On doit appeler ça « la concurrence intra-groupe », je suppose. En l’espace de seulement dix ans, les effectifs sur le site d’Arques sont passés de 12000 à 6500 personnes (source).

Autre conséquence malheureuse de la dérèglementation, parmi tant d’autres : la fuite des savoir-faire dans le berceau de la coutellerie, à Thiers. Une dépêche de presse (source) nous informait récemment que Amefa, numéro deux de l’art de la table, était sur le point de racheter « Médard de Noblat », que tous les aficionados de savoir vivre connaissent comme l’un des emblèmes de la porcelaine de Limoges. Or il s’avère que Amefa s’est déjà illustré en 2005 (source), avec la reprise de Couzon, coutellerie française de renom fondée en 1947. Le résultat fut un désastre humain, puisque le groupe hollandais licencia la plupart des salariés pour aller produire en Chine. Et comme le souligne avec pertinence cet article (source), « le nom AMEFA ne parle pas à la clientèle, et c’est donc le prestige du nom « COUZON » qui a motivé ce rachat ». Idem pour « Médard de Noblat » ? (source

Mais des contre-exemples existent. Vous savez, ces contre-exemples qui réhabilitent l’artisanat d’art, ces entreprises qui contribuent au rayonnement commercial et culturel de la France. Celles qui apposent la signature de la France aux quatre coins du monde, en exportant l’héritage et le talent, plutôt qu’une trompeuse et banale image de marque. Car le savoir-faire français est visiblement, dans le domaine qui nous intéresse ici, irremplaçable. 

 

Voyons quand-même le bon côté des choses. Grâce à la mondialisation, on peut épater ses convives à moindre prix, avec du « cheap » estampillé « made in China ». En plus de quoi, c’est exotique !

 


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