Les paradis fiscaux, pierre angulaire du système économique

par Ceri
jeudi 1er avril 2010

Grâce aux paradis fiscaux, le CAC 40 paie deux fois moins d’impôts que les PME. Bizarrement, alors que sarko a joué le cow boy tout l’hiver pour terrasser lesdits paradis fiscaux, ceux-ci se portent très bien. Normal, leur poids dans l’activité commerciale internationale est bien plus important qu’on ne le pense.


Les coûts en Europe, les bénefs’ au paradis !

Enfin, bref. C’est le Conseil des prélèvements obligatoires qui l’a dit dans un rapport publié fin 2009 : pour 100 euros d’impôts sur les bénéfices payés par une PME, une entreprise du CAC 40 n’en paiera que 43. Ca fait 2,3 fois d’impôts en moins. Si le CAC 40 payait comme les autres, l’Etat pourrait encaisser 15 milliards d’euros par an au lieu de 6,5 actuellement.

Donc, quand on entend justement les PDG du CAC 40 et le Medef dire que les "prélèvement obligatoires", autrefois appelés "cotisations sociales" sont écrasants, il convient de relativiser largement.

Mais par quel miracle le CAC 40 est-il épargné (ce qui ne l’empêche pas de gémir pour obtenir des réductions d’impôts et des subventions diverses et variées) ?
La réponse est simple : les paradis fiscaux et les transferts des bénéfices1] !

On sait par exemple que BNP Paribas -dont l’Etat est le 1er actionnaire, avec 17% du capital depuis avril 20092]- détient 189 filiales offshore3] dans des paradis fiscaux, les Banques Populaires en ont 90, le Crédit Agricole en a 115, LVMH en a 140 (dont 33 à Guernesey, allez savoir pourquoi...) le groupe PPR en a 97, Schneider 131... Parmi les paradis les plus prisés, on a les Pays-Bas, (17% des filiales du CAC 40) le Royaume-Uni (30 % des filiales), le Luxembourg, sans oublier Hong Kong, la Suisse...

Ainsi, on transfère les bénéfices dans les filiales des paradis fiscaux où il n’y aura pas de taxe, tandis que les coûts sont enregistrés en France. Selon le magazine Alternatives Economiques, les entreprises du CAC 40 (qui sont donc 40) possèdent 1.470 filiales dans des paradis fiscaux. C’est sûrement pour ça qu’on n’y a surtout pas touché...
 
Les investissements, acquisitions et autres sont réalisés en Europe, et les bénéfices sont aspirés dans les paradis fiscaux. Si l’on ajoute à cela les niches fiscales, responsables de 7 milliards d’euros de pertes fiscales en 2007, il y a moyen de diminuer considérablement ses impôts !
Rien que le Crédit Impôt Recherche (CIR), une grosse niche inventée par Sarko en 2008 bien qu’il ait dit vouloir mettre fin auxdites niches fiscales, va coûter 4 milliards d’euros en 2010... Et ce truc est génial : ce sont les plus grosses entreprises qui vont capter l’essentiel du pognon. D’après un rapport du député Gilles Carrez, 718 grosses entreprises vont toucher 57% de l’avantage fiscal lié au CIR.
 
Les paradis fiscaux sont un réel problème puisque tout l’argent qui y passe est une perte sèche pour les Etats, qui se goinfrent donc sur les contribuables. Et les PME…
 
D’après Raymond Baker, ce ne sont pas la corruption et le crime organisé qui font tourner les paradis fiscaux : la première serait à l’origine de 5% des flux de capitaux illicites vers ces pays, tandis que le crime organisé représenterait 35% de cet argent. Les 65% restants ? D’après Baker, il s’agit de l’argent détourné par la fraude fiscale, dont bien sûr celui des multinationales. Une fuite de capitaux qui augmenterait de 18% par an, d’ailleurs les paradis fiscaux eux-mêmes semblent augmenter puisqu’ils étaient 25 au début des années 70, et au moins 72 aujourd’hui.
 
On parle actuellement de 55% de commerce international et 50% des flux financiers mondiaux, engloutis dans les paradis fiscaux. Sans même aborder la question du blanchiment, l’évasion fiscale4] à elle seule justifie qu’on mette fin à ce système qui relève du pillage pur et simple.
Bien sûr, il n’y a pas que le CAC 40 qui fait sortir ses bénéfices dans les sociétés offshore. Grâce aux paradis fiscaux, les anglais ont ainsi pu constater qu’en 2007, un tiers des 700 premières entreprises du pays n’avaient pas payé d’impôt du tout, et deux autres tiers s’en sont tirés avec moins de 10 millions de livres de taxes. Quant aux contribuables US, ils ont du être enchantés d’apprendre qu’entre 1998 et 2005, la moitié des entreprises US n’ont pas versé un seul dollar au fisc.
 
Les deux tiers des hedge fund seraient domiciliés dans des paradis fiscaux, un tiers des investissements directs à l’étranger (IDE) des multinationales vont vers eux. Comme l’argent est en grande partie réinvesti, 47% des IDE en France viennent de filiales offshore de multinationales basées dans ces pays à fiscalité réduite. En Chine, par exemple, les plus gros investisseurs sont trois paradis fiscaux : Hong Kong (41 milliards de dollars) et les Iles Vierges Britanniques (16 milliards), Singapour, puis le Japon et les îles Caïman… En inde, c’est l’île Maurice qui est le premier investisseur. Normal…
Un dernier chiffre global sur lesdits paradis fiscaux, ou « tax heaven » : 11.500 milliards de dollars y transiteraient chaque année5], alors que le PIB mondial est de 71.000 milliards de dollars.
 
Ainsi, les quelque 89.000 habitants de la petite île de Jersey abritent 512 milliards d’euros, répartis dans les 47 succursales de grandes banques internationales qui y stationnent…
 
Récemment, une enquête a été ouverte au parquet de paris, pour « blanchiment de fraude fiscale » contre Michelin, Elf et Adidas notamment. Mais il semble que Michelin ait été bien plus inventif que ses collègues. Deux cadres de Michelin dirigeaient aussi la Fondation Copa, abritée par la banque LGT6] qui appartient à la famille princière du Lichtenstein. D’autres fondations collaborant avec LGT détenaient des sociétés offshore à Panama et dans les Iles Vierges Britanniques, et tout le monde soustrayait de l’argent pour une caisse noire7]. Bref, c’est à ce genre de petits arrangements qu’il serait bon de mettre fin.
 
 
Pourtant, l’agitation fut ostensible
 
On se rappelle du show permanent de sarko l’hiver dernier, de ses tirades enflammées et des « mises en garde » contre ces paradis fiscaux «  inacceptables » et les banques qui en profitent, etc. Il a même déclaré en septembre, du haut de ses talonnettes, que « les paradis fiscaux et le secret bancaire, c’est terminé »… On se rappelle aussi qu’après le G20, censé nous faire entrer dans un nouvel ordre économique mondial, eh bien l’éléphant n’a même pas accouché d’une souris. D’aucuns pourraient parler de grossesse nerveuse…
 
En effet, à part demander gentiment aux banquiers français de « montrer l’exemple » en limitant le nombre de leurs filiales installées dans ces « pays à faible fiscalité », et agiter une liste noire, devenue grise, des paradis fiscaux, il ne s’est pas passé grand-chose. Les clients fortunés des banques en profitent tout autant que leurs actionnaires. D’ailleurs, le 31 décembre 2009 sarko a mis les points sur les ‘i’ : « de cette crise, va naître un monde nouveau auquel nous devons nous préparer en travaillant plus ». Le « nous » étant : les actifs/contribuables/consommateurs/vache à lait.
 
A ce sujet, un article récent du Figaro est éloquent : « En pointe dans la lutte contre les paradis fiscaux, l’Organisation pour la coopération et le développement économiques (OCDE) a décidé de laisser aux États l’opportunité de sanctionner les juridictions non coopératives ».
 
Donc en gros, faites comme vous voulez, déclare l’organisme de « pointe » aux Etats. On était tellement pressé d’agir qu’en septembre 2009, l’OCDE en était toujours à applaudir les vœux pieux du G20 concernant la transparence fiscale. Tout comme en janvier 2010, pourtant ni sœur Anne ni personne ne voient toujours rien venir de concret, à part ces fameuses « conventions fiscales » (au sujet desquelles l’OCDE se félicite que 195 aient été passées en 2009, contre 23 en 2008. Mais comme il y a 72 paradis fiscaux, on reste loin du compte8].
 
Finalement, la seule contrainte notable a donc été d’imposer aux paradis fiscaux de passer douze conventions fiscales avec des pays étrangers, afin d’assurer un minimum d’échange d’information, à la demande, si besoin. Du coup, beaucoup de ces paradis ont signé des conventions entre eux (d’après L’Expansion, c’est 30% du total des conventions signées par les paradis en question), comme ça pas trop de risques. Par exemple, sur 10 conventions signées par Monaco, 8 l’ont été avec des paradis fiscaux. Le Luxembourg en a passé 7 sur 17 avec des paradis fiscaux, le Lichtenstein 6 (voire 10) sur 139], l’Autriche 10 sur 15…
 
Sinon, l’Europe a réussi, contre la préservation du secret bancaire, à imposer que les paradis européens (Belgique, Autriche), mais aussi la Suisse, San marin et le Lichtenstein, commencent à taxer les revenus de l’épargne, ce qui n’est pas grand-chose d’autant plus qu’aucun taux d’imposition n’est imposé. Et puis, les banques françaises, BNP en tête, ont promis de fermer leurs succursales offshore dans les pays de la liste grise10] de l’OCDE (qui se réduit de mois en mois : même le Lichtenstein, la Suisse et Monaco n’y sont plus, ainsi que neuf autres pays).
 
 
Mais rien ne se passe
 
Parmi les paradis fiscaux, on a différents créneaux : secret bancaire, fiscalité avantageuse, facilité pour implanter des sociétés écran (paradis juridique), absence totale de collaboration avec les impôts et la justice des pays étrangers, et bien sûr beaucoup cumulent ces avantages.
 
Le Delaware, par exemple, qui se vante d’avoir des lois « modernes et flexibles  », est fort apprécié des entreprises US puisque pas moins de 43% des boîtes cotées à la Bourse de New York y ont leur siège, ainsi que 60% des 500 plus grosses boîtes US et de nombreuses multinationales qui cherchent à s’implanter aux Etats-Unis.
Certains buildings de la capitale du Delaware, Wilmington (73.000 habitants) abritent même jusqu’à 200.000 entreprises ! Au total, un million de sociétés, dont la quasi-totalité sont off-shore, ont leur siège dans cet Etat de même pas un million d’habitants. Mais bizarrement, il n’est pas sur la liste noire de l’OCDE.
 
Le Delaware est devenu un paradis fiscal dès la fin du XIXe siècle, pour faire compétition au New Jersey, qui venait de se lancer dans la course à l’imposition la plus basse afin d’attirer les entreprises et de remplir les caisses vides de l’Etat.
Moult avantages liés aux sociétés offshore (dont les activités sont réalisées hors de l’Etat) attirent tout ce monde :
- La simplicité juridique pour créer une société et tout étant basé sur une jurisprudence très favorable aux entreprises, il y a une certaines « sécurité juridique » à s’installer dans le Delaware.
- Simplification extrême de la comptabilité, puisqu’il n’est pas obligatoire de tenir ladite comptabilité, ce qui amène à penser qu’il n’y a pas non plus de redressements fiscaux.
- Simplification administrative puisqu’on peut créer sa boîte en 48 h dès qu’on a reçu les premiers documents, mais au maximum ça prend deux mois.
- 0 impôt sur les bénéfices, mais, quand-même, une franchise tax de… 200€ (pour une LLC, le type d’entreprise le plus couru, faisable sur Internet en quelques clics) et un impôt sur le chiffre d’affaires de 0,1 à 2%.
- On ne demande pas le nom des vrais propriétaires de la société, et les noms des associés (personnalités physiques ou morales) ne sont pas publiés au registre du commerce.
- Il ne faut que 500€ de capital.
- On n’est pas obligé d’ouvrir un compte bancaire au Delaware, mais on peut le faire même si on est interdit bancaire…
- Pas de droits de succession
- Pas d’obligation d’avoir une assemblée des actionnaires
- Il peut y avoir un seul actionnaire
- Et puis, comme partout aux Etats-Unis, il n’y a ni impôt sur les dividendes, ni taxe sur les gains en capitaux réalisés par des étrangers.
D’innombrables cabinets de conseil peuvent vous proposer de créer votre société LLC au Delaware pour moins de 600€, ou moins de 900€ clefs en main en à peine trois jours. Pour ce prix-là, vous aurez même des numéros de téléphone et de fax US, et votre siège social au Delaware pour un an. Par contre, votre adresse commerciale sera en Floride…

Tous ces éléments font que, en novembre 2009, l’Indice d’Opacité financière (FSI pour Financial Secrecy Index11]), censé évaluer les lieux les moins coopératifs, a mis le Delaware à la 1ère place de l’opacité financière. Devant le Luxembourg, la Suisse, les îles Caïman, Londres (4è place quand-même), l’Irlande, les Bermudes... La Belgique arrive neuvième, les Pays-Bas quinzièmes (seulement), Israël est vingtième, Monaco n’arrive que … soixantième !
La première place obtenue par le Delaware montre, d’après l’indice FSI, qu’il est le plus opaque en matière d’information, mais aussi des points de vue comptable et juridique.
 
En fait, aucun Etat US digne d’être sur la liste noire des paradis fiscaux n’y a été inscrit. La Floride, le New Jersey ou les Iles Vierges y ont échappé tout comme le Delaware, alors que la Suisse ou la Belgique se sont retrouvés sur la liste grise.

Mais bizarrement, pour le fisc Français, le Delaware est synonyme de paradis fiscal12], et si on se fait pincer à avoir une société sans employé ni comptes au Delaware, l’Etat impose automatiquement à 33% les ressources de la société.
 
La City de Londres la 1ère place financière mondiale, est aussi un Etat dans l’Etat13], disent les mauvaises langues. Mais, de fait, les lois fiscales et juridiques de la city n’ont rien à voir avec le régime commun en Angleterre. Il est d’ailleurs amusant de noter que le dernier G 20 s’est déroulé dans l’un des plus grands paradis fiscaux.
 
Moult systèmes y participent, comme les trusts, qui permettent une opacité maximale puisque l’anonymat des associés est garantie. Le but étant d’attirer de l’argent et donc, quand-même, des recettes, vers Londres. Pas de bol, avec la crise une bonne partie de cet argent virtuel a disparu…
 
Quoi qu’il en soit, aujourd’hui 59 Etats sont sur la liste blanche de l’OCDE, ce qui veut dire que ces pays respectent les normes internationales. Super, alors quoi sert-il de faire une liste ? Pour dire que tout va bien ?
 
Quant à la politique de sarko, qui ne se gène pas pour stigmatiser chômeurs et profiteurs de la sécu, on ne peut que constater que la fraude fiscale n’est pas un problème. Les effectifs de l’administration fiscale ont chuté de 10% en 6 ans. Et puis il est question de « dépénaliser le droit des affaires », bien que la fraude soit un sport dans le monde du business.
 
 
Les raisons pratiques du statu quo…
 
Dans les faits, les paradis fiscaux amènent au pillage du fisc des pays du nord, mais à la ruine des pays en développement, où nos entreprises s’adonnent allègrement à l’évasion fiscale. Techniques : surfacturations et prix de transferts.
 
125 milliards échapperaient ainsi à ces pays tous les ans, avec des conséquences terribles pour les populations locales. Outre le pillage des ressources et des « aides » de la banque mondiale et du FMI, nos multinationales s’empiffrent sans verser leur obole.
 
Quand on sait que Jersey est le plus gros producteur et un des plus gros exportateurs de café et de bananes vers l’Europe, on comprend jusqu’où ce système des transferts au sein du même groupe peut aller. En effet, les entreprises bien connues Kraft, Dole, Chiquita (chacune un quart des ventes mondiales de bananes), Fresh Del Monte et Fyffes ont toutes moult filiales dans des paradis fiscaux, dont Jersey. A elles quatre, ces boîtes ont gagné 1,4 milliard de dollars en cinq ans, mais n’ont payé que 200 millions de dollars d’impôts. C’est-à-dire qu’elles ont versé environ 14% de leur bénéfice, quand l’impôt sur les sociétés est de 35% aux Etats Unis, où est situé leur siège.
 
Fresh Dole, par exemple, réalise près de la moitié de ses ventes aux Etats-Unis, mais y a affiché un déficit de 35,2 millions de dollars pendant que le bénéfice hors Etats-Unis était de 133,5 millions de dollars. Du coup, zéro impôt aux Etats-Unis, et mieux : un crédit d’impôt de 8,3 millions sur ses futurs impôts.

Accessoirement, on se rend compte que ce n’est pas parce que les multinationales viennent pleurer en disant qu’elles ne font pas assez de bénéfice en Europe, qu’il faut leur filer du fric.
Mais aussi, le système des prix de transfert crée une inflation des prix. Le système est simple, et au final c’est le consommateur qui paie.
1. Une entreprise achète des bananes à 13 centimes le kilo à un producteur du sud. Là, 1 seul centime de bénéfice est soumis à une taxe.
2. Elle « revend » les bananes à une filiale basée dans un paradis fiscal, mais dont les activités sont en fait réalisées en Europe par la société mère. L’astuce, c’est que les bénéfices réalisés par la filiale offshore restent dans le paradis fiscal. Mais Jersey n’a jamais vu passer une seule banane.
3. Les bananes sont vendues au prix fort en Europe. Au final, le prix a augmenté de 460%, et le groupe basé en Europe aura payé 60 centimes le kilo, avant de revendre à des grossistes pour que le consommateur paie 1 euro. Et 47 centimes de cet euro échappent à l’impôt.
 
On comprend que mettre fin aux paradis fiscaux risque d’être fort compliqué. Car le système des prix de transfert est un atout devenu structurel pour les multinationales. Ce n’est pas pour rien que Microsoft a mis en Irlande tous ses droits de propriété intellectuelle, où il n’y a pas de taxes là-dessus14]. Au final, le groupe a économisé 500 millions de dollars en 2005, par exemple, en utilisant sa filiale Round Island One Ltd, qui détient presque tous les brevets du groupe15], en gère les revenus, et est basée en Irlande. Idem pour les labos Pfizer et Bristol Myers Squibb.
 
Les hedge fund, les fonds spéculatifs, sont des grands amateurs de paradis fiscaux, et certains estiment que 80% des fonds d’investissements mondiaux sont basés aux îles Caïman.
 
Accessoirement, les cabinets de consultants sont aussi des fans des paradis fiscaux, or ce sont eux qui sont censés « noter » les entreprises et évaluer les risques. Ainsi, Deloitte Consulting était présent dans 35 paradis fiscaux en 2008, Price Waterhouse Coopers dans 44, KPMG dans 27, et Ernst & Young, le quatrième des grands cabinets d’audit, y est également. D’où leur rôle dans l’évasion fiscale de beaucoup de multinationales aux comptes bidons, ou pas.
Parce que, alors qu’ils sont là, en principe, pour contrôler les dérives des multinationales, celles-ci sont aussi leurs clientes et leur demandent des conseils de placement. Du coup, les cabinets d’audit ne sont pas le moins du monde choqués par les transferts vers les paradis fiscaux, où eux-mêmes ont des succursales. D’autant plus que, selon le rapport du sénateur US Carle Levin, les activités des banques qui passent par les paradis fiscaux sont deux fois plus rentables que les autres parce que les commissions y sont plus élevées (15 à 25% des opérations effectuées).
 
C’est ainsi que moult scandales financiers impliquent à la fois les cabinets d’audit et les paradis fiscaux. Par exemple, dans l’affaire Enron (qui avait 881 filiales offshore dont plus de 600 aux îles Caïman), on s‘est aperçu que de grands établissements comme JP Morgan Chase, Citi Group, Merril Lynch, Barclays bank, Deutsche Bank, Bank of Amercia, Credit Suisse et d’autres s’en sont donné à cœur joie en planquant soigneusement les dettes (au moins 8 milliards de dollars de prêts accordés au groupe) dans les paradis fiscaux, afin que le titre d’Enron ne se casse pas la figure trop vite16]. Normal, une partie de ces banques en étaient aussi actionnaires en plus d’être créancières.
 
Quant aux banques, la banque des Règlements Internationaux a calculé qu’en mars 2006, 58% des prêts internationaux des banques venaient d’établissements basés dans des paradis fiscaux, tandis que 54% des dépôts internationaux vont dans des établissements installés dans lesdits paradis fiscaux. Et puis, 46% des dépôts internationaux venaient de sociétés installées dans ces paradis fiscaux.
 
On imagine bien pourquoi la BNP n’est prête de lâcher ses 189 filiales résidant sous les tropiques ou autres, dans lesquelles on propose des placements tellement attractifs.
A tel point qu’un rapport du CEREBEM a un chapitre intitulé « Pas d’activité ‘Banque privée’ sans paradis fiscaux ». De fait, parmi les services proposés aux clients par les banques implantées dans les paradis fiscaux, on a les comptes offshore et les comptes numérotés répartis partout dans le monde, les sociétés écran, des mouvements de fonds rapides, importants, et difficiles à repérer, la transformation de dépôts d’argent douteux en prêts tout propres17]
 
Les paradis fiscaux et leurs avantages sont complètement intégrés dans les stratégies « commerciales » et financières des entreprises. Les supprimer reviendrait à chambouler tout le fonctionnement des multinationales et des grandes banques.
Au lieu d’être fermes, les gouvernements mendient le rapatriement du fric : en 2005, Bush a crée une amnistie fiscale pour les multinationales qui ramenaient de l’argent entassé dans les paradis fiscaux. Taux d’imposition offert par Bush : 5,25%, au lieu de 35%. Et ça a marché, puisqu’on a vu quelques milliards revenir des Pays-Bas, du Luxembourg, de Suisse principalement.
 
Et si on veut récupérer le magot, il va falloir s’y mettre sérieusement, puisque les investissements des boîtes françaises dans les paradis fiscaux ne représentent pas moins de 37% du volume total des investissements français effectués à l’étranger.
Dans l’autre sens, 47% des investissements directs réalisés en France par des boîtes étrangères viennent de paradis fiscaux, le Luxembourg en tête18]avec 15,3 milliards en 2008. Dans le tas, une bonne partie vient simplement des filiales offshore de nos entreprises, qui « investissent » après économisé sur les impôts.
 
Au niveau mondial, on s’aperçoit que Singapour concentrait déjà 14 milliards de dollars d’investissements directs en 2000 et 2001, les Bermudes près de 22 milliards, Hong-Kong plus de 84 milliards (autant que la Chine !)…
 
On a aussi vu, à l’aune de la crise boursière, que les paradis fiscaux étaient très pratiques pour planquer les dettes. On refourgue les produits dérivés pourris à une filiale offshore, mais il n’en reste pas moins que la dette est réelle, pour le coup.
Et puis, ils attirent les taxations vers le bas en poussant les pays à entrer en concurrence avec des Etats où il n’y a aucune taxe, ce qui est un bon point non négligeable.
 

Bref, on se rend compte que les paradis fiscaux sont comme les banques : « too big to fail  », trop gros pour tomber.
 

 
[1] C’est la technique fort appréciée des « prix de transfert  » : une multinationale se vend des produits entre ses succursales en Europe et celles des paradis fiscaux (offshore) avec des prix calculés pour payer un minimum de taxes. Ils appellent ça l’ « optimisation fiscale ». D’après Raymond Baker, les manipulations de ces prix de transfert représenteraient 7% du volume des échanges commerciaux mondiaux. D’après la Commission européenne, les « facturations intra groupes » représentent 60% du commerce mondial !
 
[2] Sans pour autant avoir de droit de vote au Conseil d’administration. Accessoirement, l’Etat Belge possède quant à lui 10,7% de la même BNP Paribas, ce qui en fait une banque résolument publique…où l’Etat n’a rien à dire.
 
[3] C’est un système qui a été inventé par le Commonwealth : un tribunal a déclaré en 1876 qu’une société dont les activités se déroulaient en Inde mais dont les dirigeants et le conseil d’administration sont basés en Angleterre relève du droit anglais et devait payer des impôts anglais. Puis en 1929, on a admis que pour éviter les impôts, même les organes de directions devaient se trouver à l’étranger. Evidemment, toutes les îles du Commonwealth, Bermudes, Bahamas, Caïmans, ont repris et perfectionné le système. Ensuite, les Suisses ont inventé les comptes à chiffres, et leur secret bancaire devient inviolable en 1934, sous peine de poursuites pénales.
 
[4] Le manque à gagner fiscal est estimé par certains à 100 milliards de dollars par an pour les Etats-Unis, 30 à 50 pour l’Allemagne, 20 à 50 pour la France et le Royaume-Uni. La commission Européenne a estimé en 2006 qu’en France, la fraude fiscale totale représentait 2 à 2,5% du PIB, donc 36 à 45 milliards d’euros pour l’année 2007.
 
[5] D’autres parlent de 10.000 milliards qui y seraient gérés chaque jour, d’autres de 10.000 milliards (toujours en dollars) qui y seraient placés…
 
[6] La fameuse banque LTG, dont un ancien informaticien, Heinrich Kieber, a vendu aux services secrets allemands un CD-Rom avec les noms de 1.400 ressortissants ayant des fondations au Lichtenstein, en 2008. Puis il l’a aussi revendu aux Etats-Unis, à l’Angleterre, à la France…
 
[7] Il pourrait d’agir de 400 millions d’euros, retrouvés sur le compte de la fondation Copa.
 
[8] Si on prend les conventions passées en 2008 et 2009, ça fait une moyenne de 3 conventions signées par paradis fiscal.
 
[9] Parmi les 12 accords signés par le Lichtenstein, il y en a eu avec la Belgique, les Pays-Bas, Saint Marin, Andorre, le Luxembourg, le Royaume-Uni, les Etats-Unis, Monaco, Saint-Vincent et grenadine, l’Irlande, qui sont tous plus ou moins des paradis fiscaux. Les deux autres étant la France te l’Allemagne.
 
[10] C’est-à-dire en avril 2009 : Liste gris foncée (paradis fiscaux déjà identifiés en 2000 par l’Ocde) : Andorre, Anguilla Antigua et Barbuda, Aruba, Bahamas, Bahreïn, Belize, les Bermudes, les iles vierges anglaises, les iles Cayman, les iles Cook, la Dominique, Gibraltar, Grenade, Liberia, le Liechtenstein (sorti), les Iles Marshall, Monaco (enlevé depuis), Montserrat, Nauru, les Antilles néerlandaises, Niue, Panama, St Kitts and Nevis, Sainte Lucie, Saint Vincent et Grenadine, Samoa, San Marin, les iles Turks and Caicos, Vanuatu
- Liste gris clair (autres centres financiers) : Autriche (sortie aussi), Belgique (sortie de la liste), Brunei, le Chili, le Guatemala, Luxembourg (enlevé depuis), Singapour (retiré en novembre), Suisse (enlevée). A noter : sur la liste noire, il ne reste plus aucun des quatre pays qui y étaient inscrit pour motif de non coopération (Costa Rica, Malaisie, Philippines, Uruguay). De fait, il n’y a donc plus de liste noire des paradis fiscaux, d’après l’OCDE.
 
 
[11]Il a été crée par le Tax Justice Network, parce que « les paradis fiscaux engendrent la pauvreté », un organisme crée par le Parlement Britannique en mars 2003 pour analyser les impacts de l’évasion fiscale, le bien fondé d’une taxation etc. Il utilise une douzaine d’indicateurs différents, bien plus pertinents que ceux de l’OCDE…
 
[12] L’article 238A du code général des impôts considère qu’il s’agit d’un lieu au « régime fiscal privilégié », puisque d’après la loi » le montant des impôts sur les bénéfices ou sur les revenus auxquels est soumise la structure est inférieur de plus de la moitié à celui dont elle aurait été redevable en France dans les conditions de droit commun. L’impôt sur les bénéfices comprend l’impôt sur les sociétés au taux de droit commun et les contributions additionnelles ». Du coup, le fisc applique mécaniquement une retenue à la base de 33%.
 
[13] Qui représente à lui seul 4% du PIB anglais. On y gère un cinquième des actifs des hedge fund mondiaux.
 
[14] L’Irlande est en effet ce qu’on peu appeler le paradis fiscal de nouvelles technologies, puisqu’il n’y a aucune taxe sur les droits de propriété intellectuelle ni sur les transferts d’actifs liés à la propriété intellectuelle. Les écrivains n’y paient aucune taxe, mais Microsoft non plus. On y trouve aussi Dell, IBM, Hewlett Packard, Apple.
 
[15] Apparemment, Bill Gates a modifié le statut de la Round Island Ltd pour ne pas avoir à fournir d’infos sur les comptes de sa boîte.
 
[16] Pour cela, elles ont ramassé 305 millions de dollars d’amende en juillet 2003.
 
[17] C’est le « private banking  », qui a par exemple permis à Citibank de faire passer 87 millions de dollars issus du trafic de drogue hors du Mexique vers des comptes situés en Suisse entre 1992 et 1994, au profit de Raul Salinas de Gotari, le frère de l’ex président du Mexique. Citibank aurait fait transiter 300 millions de dollars pour le cartel de Juarez, la ville frontalière où on assassine des centaines de femmes chaque année. Citibank détient aussi 40.000 comptes de personnalités politiques d’Amérique latine, d’Asie et d’Afrique dont Omar Bongo ou les fils de l’ex dictateur du Nigéria…
 
[18] Suivis de la Belgique (9,6 milliards d’euros), des Pays-Bas (8,2 milliards), des Etats-Unis (8,1 milliards), de l’Allemagne (5,6 milliards), de la Suisse (4,6 milliards) et du Royaume-Uni (4,5 milliards). La plupart des ces investissements sont réalisés dans l’immobilier et les services aux entreprises.
 
 

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