Les paradoxes des CxE

par Chem ASSAYAG
mardi 28 mars 2006

L’approche idéologique qui semble prédominer sur la question du CPE ou du CNE masque un certain nombre de paradoxes, qui président à leur naissance.

On peut être pour ou contre le CNE ou le CPE, et les deux camps font valoir des arguments le plus souvent légitimes, mais souvent très connotés idéologiquement. Ainsi, un sondage paru aujourd’hui dans Le Monde indique que le principal clivage à l’œuvre, lorsqu’on porte un jugement sur le sujet, est un clivage partisan très classique de type droite/gauche. Les pro se rangent à droite ou au sein du patronat, les contre à gauche, parmi les jeunes ou les fonctionnaires. Or cette vision dichotomique classique tend à soustraire à l’analyse des aspects pour le moins paradoxaux de ces nouveaux contrats de travail.

Le capital humain

Dans les années 1960 l’économiste américain Gary S. Becker a popularisé la théorie du capital Hhumain (human capital, 1964), qui lui vaudra d’ailleurs le prix Nobel d’économie en 1992. Dans cette approche, le facteur humain est une ressource en tant que telle, qu’il faut donc optimiser au même titre que d’autres facteurs de production. Afin d’accroître le rendement de ce capital humain, il faut notamment investir dans l’éducation, la formation ou encore la santé des individus. Peu à peu, cette théorie s’est diffusée dans le champ des entreprises, et de subtils changements sémantiques ont accompagné cette évolution. Désormais les employés devenaient un atout, un actif à valoriser, et les directions du personnel - correspondant à une vision plus « classique » des effectifs d’une entreprise- sont devenues des directions des ressources humaines, voire des directions du développement des ressources humaines. Nous avons d’ailleurs tous entendu de nombreux discours sur ce sujet, nous expliquant qu’il n’était de « richesse que les hommes » ou que le « succès d’une entreprise est le succès de ses équipes ».

Mais que nous disent les contrats de type CxE : le salarié est envisagé explicitement comme une variable d’ajustement, puisqu’il peut être licencié pendant une longue période (2 ans) sans justification, et que cela répond à une demande répétée d’une partie du patronat. Dans ce contexte, l’investissement en capital humain devient totalement secondaire, et dans le meilleur des cas se trouve repoussé aux calendes grecques (quel employeur va payer une formation à un salarié en CPE ou CNE tant qu’il n’a pas la certitude de le garder ?). Il y a là une évidente contradiction entre un discours managérial et une pratique concrète. Par ailleurs, toutes les études montrent la corrélation positive entre la motivation et la productivité ou l’efficacité ; or un salarié dans un état instable ne peut être pleinement motivé. On travaille rarement bien sous une contrainte. Là encore, nous avons une contradiction entre la nécessaire optimisation d’une ressource importante, les hommes, et la réalité qui se dessine.

Enfin, nous savons tous que pour des économies développées comme celle de la France - voir par exemple l’agenda de Lisbonne au niveau de l’Union européenne - la mondialisation impose une « sortie par le haut » en investissant les champs de la recherche, du savoir et de l’éducation de façon beaucoup plus intensive, en somme en renforçant notre capital humain collectif. Les contrats de type CxE donnent dès lors un signal pour le moins divergent.

Rigidité

Un des objectifs annoncés des CxE est de fluidifier le marché du travail en permettant de licencier plus facilement : il faut pouvoir ajuster ses effectifs à la demande, en fonction de la conjoncture. L’objectif énoncé de cette façon paraît assez pragmatique. Mais l’effet anticipé est sans doute assez théorique, et sera en tout cas beaucoup plus ambigu. En effet, si tous les contrats de travail étaient de type CxE, c’est-à-dire que le licenciement, quelle que soit l’ancienneté du salarié, était facile, on pourrait anticiper une fluidification du marché du travail. Mais à l’issue de la période de consolidation de 2 ans, le CxE se transforme en CDI, et le licenciement devient beaucoup plus difficile. Dès lors, imaginons un salarié qui est « enfin » passé en CDI après la période des 2 ans, ou se rapproche de la date fatidique : que va-t-il faire  ? Eh bien, il va s’accrocher à son poste ! De même un salarié déjà en CDI refusera-t-il systématiquement de changer d’entreprise pour un CxE, car il renoncerait à une somme d’avantages beaucoup trop grande. Au bout du compte seuls les salariés déjà sous un régime de type CxE, et encore seulement au début de la période des 2 ans, seront éventuellement susceptibles de changer d’emploi pour un autre job toujours sous un régime de type CxE. Les autres salariés se garderont bien le faire. On aboutira alors d’une part à la création d’une catégorie précaire de salariés, les CxE, et de l’autre à une rigidification supplémentaire des parcours pour les autres employés. Dans un pays au sein duquel la mobilité professionnelle est un vrai problème, on crée donc de nouvelles barrières au changement. Nouveau paradoxe.

Des pistes ?

On a donc le sentiment que les contrats de type CxE répondent de façon inadaptée à des questions qui sont pertinentes, comme celles de la mobilité ou de l’environnement juridique complexe des entreprises en matière de droit du travail. De plus, ils soulèvent des paradoxes étonnants, que nous avons évoqués plus haut : salariés vus comme des charges et non des ressources, rigidification des parcours...

Il faut donc à nouveau poser le problème à plat et repenser ces mesures ; notre intuition est notamment qu’une flexibilité accrue ne pourra pas avoir de sens sans contrepartie pour les salariés. Certaines contreparties sont logiques : une juste indemnisation en cas de licenciement, qui doit être prise en charge par les entreprises et non pas la collectivité, et des obligations de formation dans les parcours professionnels. En somme, une vraie négociation avec les partenaires sociaux est nécessaire sur ces sujets !


Lire l'article complet, et les commentaires