Les paradoxes récents de la stigmatisation des agences de notation
par Kiergaard
mercredi 20 mars 2013
L'objectif de ce billet est de proposer une grille de lecture de la crise financière au travers de l'activité puis de la stigmatisation des agences de notation. Cette grille de lecture vise à fournir des arguments en faveur de la thèse selon laquelle les causes de la crise sont bien plus profondes et que les orientations actuelles, tendues vers la remise en état (non le changement ou la réparation) de ce qui a été brisé, ne visent en rien à les corriger.
Cet article s'inscrit dans le cadre de la publication par l'Autorité Européenne des Marchés Financiers dans sa revue annuelle du secteur de la notation. Dans cette revue l'AEMF pointe certains dysfonctionnements (selon elle) relatifs aux agences de notation notamment dans la méthodologie et la gestion de la communication des notations des États souverains et des entreprises visés.
- Une agence de notation "évalue le risque de crédit, c’est-à-dire le risque de défaut d’un émetteur sur ses dettes financières". Elles répondent au besoin d'information des acteurs financiers et économiques sur la santé financière des entreprises. Leurs avis ne constituent que des opinions, des aides à la décision. Mais la concurrence sur leur secteur a fait émerger 3 agences dominantes dont les avis font autorité, faisant obstacle à une comparaison de plusieurs analyses.
Dans le cadre d'un marché désintermédié, reposant de plus en plus sur le marché obligataire, la circulation d'obligations émises par les états ou les entreprises sur un marché augmente conférant une autorité toujours plus grande pour les agences de notations.
- La crise financière de 2006-2007 a résulté de l'utilisation de la titrisation (transformation de créances en titres échangeables sur le marché des capitaux) de prêts bancaires classiques auquelle s'est ajoutée l'utilisation des dérivés de crédit (transfert du risque financier d'un investisseur à un autre contre rétribution financière). L'entrée dans le marché des capitaux de titres financiers (regroupé en portefeuille) a (en cas de demande des banques) fait intervenir des agences de notation en charge de se prononcer sur le risque de crédit, en clair de donner une information financière aux banques afin qu'elles fixent leurs stratégies notamment en termes de fonds propres.
Le principal problème s'est noué en raison de la complexité qu'offre la technique des titrisations et des dérivés de crédit rendant complexe l'évaluation du risque. Des abus clairs ont été commis dans les méthodes d'évaluation des possibilités de remboursements des emprunteurs au niveau des banques, ce qui s'est répercuté au niveau du contrôle des agences dont l'indépendance peut de plus être critiquée pour plusieurs raisons : 1° Tout d'abord ils sont rétribués par les entreprises qui sollicitent leurs services, ce qui n'est pas répréhensible en soi mais qui peut conduire à une routine dans le traitement des "lots" transmis à analyse // 2° L'argument du risque de la perte de réputation des agences ne tient pas comme gage de sérieux dans la mesure où les normes comptables internationales, la concentration des agences, la routine des relations, la complexité des lots favorise clairement un relâchement de l'intensité du contrôle // 3° Deux des trois agences principales ne sont pas indépendantes financièrement. // 4° Il y avait une dépendance financière claire des agences de notation aux revenus procurés par la notation de ses produits (environ 30 à 40% des revenus de l'agence), produits qu'elles avaient parfois elles-mêmes contribués à mettre en place.
Ce dernier nous amène à un point essentiel de l'analyse sans lequel on serait porté à croire que l'intégralité de la faute repose sur les agences de notation.
En effet, la titrisation des prêts hypothécaires permettait aux banques d'obtenir des liquidités afin d'octroyer de nouveaux prêts qui allaient eux-même être titrisés etc, alimentant les profits des banques, participant à l'apparente santé de l'immobilier américain et tirant la croissance américaine. On peut donc noter que dans le FONCTIONNEMENT NORMAL de la machine peu de personnes se seraient réjouies de démonter cette mécanique. La bulle gonflait, la routine s'installait, le contrôle se relâchait.
Comme on l'a vu, ce sont les prêts résultant de l'activité classique des banques qui font dérailler la machine à la base. Les agences ne sont "coupables" que de ne pas avoir anticipé le retournement du marché. Une opinion donnée en période de croissance est nécessairement moins alarmiste qu'en période de retournement du marché. Mais qu'est ce que le retournement du marché si ce n'est la réalisation du risque excessif (quasi suicidaire) pris initialement par les banques. L'imputation de la responsabilité aux agences est injuste si l'on fait fi de la responsabilité des banques dans la crise.
Pourquoi les banques ont-elles pu prendre de tels risques ? Certes les raisons évoquées ci dessus sur l'indépendance des agences peuvent jouer. Mais c'est fondamentalement aux sources mêmes de la titrisation et de l'utilisation du système des dérivés de crédit qu'il faut chercher la cause.
La titrisation a été instituée pour faciliter le développement du crédit (immobilier ou non) en permettant aux banques de sortir les créances de leurs bilans. C'est à dire d'obtenir les liquidités nécessaires à l'octroi de nouveaux prêts et ainsi de suite. Mais la logique a été très perverse étant donné que l'activité de prêt est ce qui génère le profit de la banque, des phénomènes de bulle s'en sont suivis dans un contexte concurrentiel.
On est en plein dans le système de création perpétuelle de dettes publiques et privées pour tenter de maintenir artificiellement la croissance.
La titrisation avait ses limites en terme de liquidité dans la mesure où les investisseurs ne pouvaient pas au départ faire nécessairement face aux risques résultant d'un retournement du marché (d'un évènement de crédit).
Deux conséquences en ont suivi : Le recours de plus en plus important aux agences de notation pour évaluer le risque (dont on a vu les raisons de la défaillance) et le développement et la sophstication massive de l'ingénierie financière à visée de couverture qui a totalement déresponsabiliser les acteurs sur les risques encourus.
On le voit la racine du problème ne résulte nullement de l'activité des agences de notation. On ne peut même pas leur reprocher un manque de zèle dans la mesure où il y avait un intérêt à ce que les choses se poursuivent ainsi.
Où en sommes nous aujourd'hui ?
6 ans après le déclenchement de la crise des supbrimes, les autorités en sont encore à stigmatiser les agences de notation comme en témoignent les procès intentés aux USA. Pourtant on a vu que les racines du mal ne sont pas fondamentalement ici. Se pose alors la question du pourquoi de cette stigmatisation ?
J'avance ici une hypothèse qui n'en est pas vraiment une au vu des déclarations des responsables politiques. Derrière les grands discours, la volonté générale des dirigeants et des milieux d'affaires est le rétablissement du fonctionnement normal antérieur dans ses grandes lignes. Les objectifs sont de faire repartir le crédit, le crédit interbancaire, d'offrir des liquidités aux banques leur permettant de prêter (ce qui en l'absence d'activité économique liée aux "crises" des dettes publiques ne fait qu'alimenter une bulle boursière).
Simplement de faire repartir la machine à dette perpétuelle en concentrant l'effort théorique de réduction des dettes sur les dettes publiques (assez astucieux d'un point de vue libéral).
Quel est le rapport avec les agences de notation de ce point de vue ? Et bien comme on l'a vu, la où les largesses des agences de notation peut favoriser le système "crédit-dette" en phase de bulle, elle peut l'entraver lorsqu'elles tentent de se montrer sans doute plus objective en période de crise.
De ce point de vue les critiques institutionnelles et gouvernementales sur le "timing" des annonces de dégradations, où les dégradations elles-mêmes participent de cette volonté de préserver les chances de maintenir le système dans son fonctionnement antérieur.
Sous couvert d'assujettir les agences à plus de transparence, à plus d'objectivité, à prendre en compte les conséquences en terme de dégradations de leurs changements de méthodologie consécutives à la crise, on tente simplement de minimiser la portée de leurs opinions. La politique accomodante des banques centrales, les assouplissements quantitatifs, les liquidités illimités visent en partie à substituer aux relations accomodantes agences-entreprises, la routine de l'injection de liquidité dans le système dans la prise de décision.
Les dirigeants ont en effet clairement conscience que les agences ont une activité procyclique (stimulante pour le crédit en période de bulles (ou de croissance dans le vocabulaire courant) et néfaste en période de contraction dans la mesure où les notes attribuées aux organismes va avoir tendance à baisser du fait du contexte économique global).
On notera le cynisme des classes dirigeantes qui sous couvert de régulation veillent simplement à éviter qu'une correction s'opère et que les évaluations des agences de notation soient discrédités face à la stratégie accomodante déployée pour tenter de gagner du temps sur les "réformes structurelles", la "réduction de la dette publique" (permettant de réduire le périmètre étatique) etc...
[On peut néanmoins reconnaître que cela pourrait remédier à certains soucis de conflits d'intérêts (mais qui sont dépassés à présent), néanmoins la fixation par une autorité publique (expertisée par les banques, la BCE, les conseillers financiers etc...) des normes méthodologiques imposées aux agences participeraient clairement de ce muselage. Evidemment pour cela on appelle pas cela conflit d'intérêts, mais régulation publique].
De manière plus générale et l'actualité le montre (séparation bancaire a minima pour ne pas destabiliser le système bancaire (! !!!), lenteur ou rejet des plaintes visant à établir des responsabilités globales...), l'objectif principal est clairement de gagner du temps, de faire avancer ses pions, afin que tout redevienne "normal".
Bouc-émissaire lors du déclenchement de la crise, bouc-émissaire dans son prolongement. (On peut très bien faire le parallèle avec les affaires de "traders fous" qui faisaient simplement ce qu'on attendaient d'eux "un peu trop loin").
P.S : On pourrait en rajouter en évoquant la spéculation des banques contre leurs propres produits, mais bon...
Comment le rétablissement du système de crédit pourrait-il être la solution à nos problèmes, quand la dette et les perturbations qu'il génère sont désignées comme responsables de tous nos maux ?