Libéralisme, crise financiére et transparence comptable
par Marc Bruxman
mardi 25 novembre 2008
La plupart des auteurs libéraux l’ont écrit depuis longtemps : Pour que le libéralisme fonctionne il faut qu’il y ait responsabilité des investisseurs. Et pour qu’il y ait responsabilité il faut que l’information et notamment l’information comptable soit disponible de façon transparente. Alors que cette info comptable avait été sous les projecteurs lors de la crise ENRON, peu de choses ont changé. Et c’est un vrai problème.
Pour bien comprendre, il faut savoir qu’une compta sert deux buts :
- Aider à la prise de décision en interne : Est-il judicieux d’embaucher maintenant ? Doit-on faire un investissement important ? L’examen de la situation comptable permet d’apporter des réponses à ces questions que le seul examen de la trésorerie disponible ne permet pas d’apporter sérieusement. Et oui ! Ce que découvre rapidement un chef d’entreprise, c’est que si il a accès seulement à l’état de ses comptes en banques, dès que son entreprise grossit, il n’est plus capable de savoir si il gagne ou perd de l’argent. La compta c’est donc essentiel.
- Aider à la prise de décision externe : Votre bilan permet au FISC de savoir combien vous devez payer d’impôts mais il permet aussi à votre banque de décider si il est raisonable de vous faire crédit ou non. Cela permet à vos actionnaires ou investisseurs potentiels de savoir si ça vaut le coup d’investir chez vous. Et à vos clients de savoir si vous êtes une boite solide et digne de confiance.
Or, la réalité est souvent plus floue que les chiffres. Et donc le droit permet certaines libertés quant à la tenue d’une comptabilité. Cela partait à la base d’un bon sentiment. Mais même les libertés les plus simples et consensuelles (je ne parle pas de techniques à la ENRON) peuvent être utilisées de façon discutable. Voici justement quelques techniques comptables simples :
- La provision : A la base, l’idée c’est que vous avez une crasse qui vous arrive. Par exemple, un de vos clients fait faillite. A priori, il ne vous paiera pas. Mais pour l’instant vous avez facturé le boulot réalisé pour lui. Si vous ne voulez pas être indûment bénéficiaire, vous devez mettre une provision pour perte qui déclarera que vraisemblablement votre client est en faillite. Si au final le client réssuscite et vous paie, vous réintégrerez la provision dans votre bilan l’année suivante, sinon la perte sera consommée. Mais bien sûr vous pouvez faire des provisions pour dépréciation d’actifs (voir plus loin), ou pour toute une variété de motifs.
- L’amortissement : Vous achetez un bien durable (par exemple un avion pour une compagnie aérienne). Cet avion vous coûte 30 millions de dollars. Mais il doit vous durer 30 ans. L’amortissement vous permet de refléter ça dans votre compta. Plutôt que d’avoir une charge l’année d’achat de l’avion (et sûrement une année très déficitaire) et de gros bénéfices les années suivantes, vous lissez sur 30 ans l’achat de votre avion. En soit c’est logique. Sauf que la valeur résiduelle de votre avion au bout de 10 ans n’est probablement pas de 20 millions de dollars comme pourrait le laisser penser votre fonction d’amortissement.
- La dépréciation d’actifs : Celle-là est mignone. Vous avez acheté un gros stock de cuivre qui vaut 10$ la tonne. Et là, l’année suivante il n’en vaut que 5$. Cela dit vous avez payé ce cuivre. Mais vous pouvez passer une dépréciation d’actifs disant que vous avez perdu la moitié de la valeur de votre cuivre (du moins celui qui était encore stocké). Sauf qu’au final soit le prix de vente de votre produit fini est complétement indexé sur le cours de la matière première et votre provision est neutre, soit ce n’est pas le cas. Et si ce n’est pas le cas, votre provision va diminuer votre résultat comptable alors que vous n’avez pas perdu d’argent. La manip inverse peut arriver si votre cuivre s’apprécie, votre bilan se trouve amélioré. On reviendra bientot sur la dépréciation ou l’appréciation d’actifs.
Mais revenons aux dépréciations et appréciations d’actifs. Cela revient souvent à faire entrer au bilan des entreprises des sommes "virtuelles". Pourquoi ? Parce que ce qui n’est pas vendu n’est pas perdu (le cours de l’actif peut remonter) et inversement ce qui n’est pas vendu n’est pas gagné (dans le cas d’une appréciation). Prenons maintenant nos banques. Pendant toute la bulle, elles ont pu à loisir déclarer que leurs actifs (immobillier, actions, titres) s’appréciaient. Ce qui a créé un bénéfice illusoire. Ce même bénéfice est ensuite déprécié lors de la crise des subprimes. Mais tout cela n’est que virtuel. (Sauf dans certains cas ou il devient évident que tel actif est mort). Et ce qui est gênant c’est que comme les investisseurs se basent sur ce virtuel pour prendre des décisions, la bourse ressemble à une montagne russe là où elle aurait dû monter moins haut (car une bonne partie des profits n’existaient pas) et chuter moins fort. (Parce qu’on a perdu de l’argent qui n’avait jamais été gagné).
Il est donc évident que la non transparence de l’information est un obstacle au bon fonctionnement du système libéral et qu’il faut trouver un remède à ce problème épineux. Cela permettra aux investisseurs d’avoir une information beaucoup plus objective sur leur niveau de risque et au système de mieux fonctionner.
Et il parait alors évident que des outils comme la titrisation poseront largement moins de risques.
Bien sûr améliorer l’informaiton comptable est un problème complexe, affaire de spécialistes (que je ne suis pas). Mais c’est aussi le chantier qui devrait être mis en priorité lors des conférences internationales type G20. Car si l’on veut le libéralisme et le libre-échange, alors il faut une information irréprochable. Sans cela, des catastrophes analogues à celles que nous venons de connaitre se reproduiront. Et cette reproduction risque de ne pas attendre longtemps. Beaucoup de grosses entreprises américaines fortement endettées sont passées maitres dans l’art de la compta funky. Sauf que si la crise financière emporte ces boites, on va encore voir des foules de gens complétement hallucinés que de tels mastodontes jugés insubmersibles fassent faillite. Une bonne information comptable leur aurait fait faire faillite bien plus tôt. Mais aurait surtout évité que des gens leur prêtent de l’argent et partagent ainsi leur funeste destin.