Libre-échange : l’entêtement
par Sébastien Ticavet
mardi 25 novembre 2008
A mesure que le monde s’enfonce dans la crise économique et financière, ses dirigeants semblent de plus en plus arc-boutés sur des certitudes d’un autre temps.
La question de la régulation des échanges mondiaux traduit parfaitement ce paradoxe.
En effet, alors que le libre-échange généralisé qui s’est imposé ces dernières décennies est en grande partie à l’origine de la crise, on nous répète à l’envi qu’il demeure un horizon indépassable, et que le protectionnisme, ce vilain mot, doit être férocement combattu...
Cette petite musique a déjà résonné lors de la réunion du G20 (il est "vital" de rejeter le protectionnisme pouvait-on lire dans le communiqué final).
Elle fut de nouveau jouée ce week-end à l’occasion de la réunion de l’APEC, qui rassemblait les pays de l’espace Asie-Pacifique, dont les Etats-Unis.
Depuis Istanbul enfin, 47 dirigeants de multinationales regroupés au sein de la Table ronde européenne, ont exhorté les Etats à repousser le protectionnisme le 17 novembre : "Nous soutenons fermement l’objectif du G20 consistant à lutter contre le protectionnisme, ont-ils précisé, et nous alertons chacun contre les dangers d’une régulation excessive, qui entraverait toute perspective de croissance économique."
Le rejet des solutions protectionnistes, et l’entêtement libre-échangiste qui en découle, est on le voit impulsé par les firmes mondialisées bien conscientes de leurs intérêts.
Et pourtant, les efforts de nos dirigeants devraient au contraire se focaliser sur la lutte contre le libre-échange généralisé en faveur d’un protectionnisme de bon sens, comme l’appellent de leurs voeux nombre d’économistes, parmi lesquels le Prix Nobel d’économie Paul Krugman.
Le libre-échange généralisé est en effet nocif à 3 niveaux :
* au niveau économique, en instaurant la concurrence totale entre des zones de développement très inégales.
Ouvrez à fond les vannes du commerce entre l’Europe et la Chine, et vous obtiendrez la destruction du tissu industriel européen, la baisse des salaires et les délocalisations. Sans parler des risques sanitaires inhérents à l’importation de produits à très bas prix fabriqués sans contrôle. Nous y sommes aujourd’hui ;
* au niveau financier, en laissant les marchés et les spéculateurs libres de jouer avec l’argent des petits actionnaires, des épargnants et des retraités.
Qu’une crise se déclenche à un bout de la planète, et c’est toute l’humanité qui trinque, les protections ayant été supprimées ;
* au niveau humain enfin. Le libre-échange généralisé se traduit aussi par la mise en concurrence des travailleurs du monde entier.
Lorsqu’un secteur d’activité peine à attirer des nationaux en raison de la faiblesse des salaires qu’il propose, le grand patronat préfère importer de la main d’oeuvre bon marché et docile, légale ou illégale, plutôt que d’augmenter les rémunérations. Cela explique pourquoi l’immigration est depuis quarante ans réclamée par le patronat, qui sait pouvoir compter sur la naïveté d’une certaine gauche un peu bébète pour défendre, la main sur le coeur et la larme à l’oeil...exactement la même idée.
Pour ces différentes raisons, le recours au protectionnisme s’impose.
Un protectionnisme raisonné bien sûr, à l’échelle nationale et européenne dans le cas de la France.
Si certains confondent malicieusement protectionnisme et autarcie, rappelons qu’il n’est rien d’autre que la défense intelligente de ses intérêts, le retour à la raison et au bon sens contre le dogmatisme ultralibéral.
Les dindons de la farce dans cette histoire sont d’ailleurs une nouvelle fois les Européens.
Que Bush ou Obama pourfendent le protectionnisme, et les "élites" européennes embrayent immédiatement, n’ayant pas encore compris que les Etats-Unis ne se privent pas de recourir au protectionnisme quand cela les arrange...
Toute la construction de l’Europe de Bruxelles d’ailleurs repose sur cette dramatique naïveté.
C’est en Europe que les règles favorables au libre-échange définies dans les universités américaines sont reprises et appliquées avec un zèle sans égal ailleurs... Les Traités européens, les directives et règlements regorgent de concepts américains ultralibéraux qui s’imposent aux Etats, et que l’administration américaine n’oserait pas un instant s’appliquer à elle-même. Ne citons que la concurrence "libre et non faussée" ou l’interdiction des aides d’Etat (article 87 du Traité CE).
On attendrait du président français qu’il défende ces quelques vérités, qui trancheraient avec le discours ambiant du "je fonce, droit devant".
Malheureusement, Nicolas Sarkozy roule avec les autres. Il n’a émis aucune réserve sur les décisions du G20, tout en essayant dans le même temps de nous faire croire qu’il révolutionne le monde, pour nous enfumer encore un peu plus.
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