Loi de 1973 : ne pas tomber dans le panneau du complot

par Laurent Herblay
samedi 30 novembre 2013

La loi de 1973 sur le statut de la banque de France est une des lois qui suscitent le plus de réflexions et alimentent un nombre de fantasmes incroyable. Non seulement les apprentis complotistes ont tort d’un point de vue factuel, mais ils ne prennent pas en compte le contexte de sa rédaction.

Délires complotistes et réalités juridiques
 
Alors que la polémique semblait close l’an dernier grâce à l’énorme travail réalisé par Liior Chamla et Magali Pernin, elle a paradoxalement repris ce printemps, un an après la publication de leurs travaux, avec la sortie du livre de Pierre-Yves Rougeyron et l’article de Michel Santi dans la Tribune. Ignorant étrangement ces travaux qui ont pourtant agité Internet, ils font de la loi du 3 janvier 1973 le point de départ de l’indépendance de la banque de France, s’appuyant sur l’article 25 selon lequel « le Trésor public ne peut être présentateur de ses propres effets à l’escompte de la Banque de France ».
 
Cette interprétation est contredite par le papier de Liior et Magali, que j’avais résumé l’an dernier. D’abord, il faut rappeler que le premier objectif de cette loi était de clarifier l’ensemble des textes concernant la Banque de France, « 192 articles disséminés dans 35 lois ou ordonnances, 16 conventions, 6 décrets-lois et 40 décrets ». Le fameux article 25 existait depuis 1936 et n’était donc pas neuf. Mieux, la loi permettait toujours à l’Etat de passer des conventions (devant être approuvées par le Parlement) avec la Banque de France pour obtenir des avances (20,5 milliards en septembre 1973).
 
Mieux, le contrôle de l’Etat y était encore renforcé en donnant à son représentant un droit de veto sur les décisions. Bref, la rupture est bien davantage venue du traité de Maastricht, qui a imposé à l’ensemble de la zone euro la vision allemande de la banque centrale, prix à payer pour que Bonn accepte à l’époque de sacrifier le deutsche mark, comme le rapportent Magali Pernin et Liior Chamla dans leur critique précise et argumentée du livre de Pierre-Yves Rougeyron, qui tord le cou à de nombreuses contre-vérités. Le point de départ, c’est l’article 104 du traité de Maastricht (article 123 du TFUE).
 
Du contexte historique et politique

Bien sûr, à partir de 1973, l’endettement augmente, mais en proportion du PIB, la dette publique continue à légèrement baisser jusqu’en 1980, les légers déficits et les forts taux d’intérêt étant plus compensés par les taux d’inflation. Il n’est pas surprenant que l’Etat n’utilise pas la monétisation car l’inflation est à deux chiffres et que la monétisation pourrait l’accélérer. Dans les années 1980, même si le poids de la dette commence à augmenter en proportion du PIB, l’inflation des années passées explique sans doute que l’Etat n’ait pas eu recours au financement par la banque centrale. Après tout, il n’avait pas attendu la loi de 1973 pour réduire l’utilisation de cette manne, comme l’a montré Olivier Berruyer.

Ce sont les circonstances historiques qui expliquent que la monétisation n’ait pas été utilisée de 1973 à 93, avant le traité de Maastricht. Mais ela n’enlève rien aux analyses factuelles d’André-Jacques Holbecq, qui montre que le paiement des intérêts représente la majeure partie de l’augmentation de l’encourt de la dette. Et cela n’enlève rien non plus au fait que la monétisation a montré son efficacité dans de nombreux pays (Etats-Unis, Grande-Bretagne, Japon, Suède) pour lutter contre la crise. Et enfin, plus fondamentalement, cela n’enlève rien au fait que la banque centrale et la monnaie sont des services publics qui devraient dépendre du gouvernement et en aucun cas être indépendantes.
 
Bref, dans cette affaire, il ne faut pas se tromper de bataille. La loi de 1973 n’est pas le fruit d’un complot des banquiers. Le vrai changement est venu en 1993. Pire, en perdant notre temps sur ce sujet, nous oublions la question essentielle, qui est le statut de la monnaie et de la banque centrale.
 

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