Low low-cost et ANPE : un aller simple pour l’Inde ?
par Abolab
mardi 6 mai 2008
Cela a fait polémique lundi : l’ANPE propose aux chômeurs français qui le souhaitent un poste d’informaticien à Pondichéry, en very "low-cost". Après les billets d’avion bradés, voici les chômeurs naturalisés expatriés, la fin du recrutement "bling-bling" ?...
Le rêve indien
A Pondichéry, ancienne colonie française devenue indépendante en 1954, une entreprise d’informatique créée par des investisseurs français veut recruter un développeur JAVA homme/femme, et le fait savoir via l’Agence Nationale Pour l’Emploi (ANPE) française. L’information est sortie de la jungle du net par la chronique web de François Abiker de France Info (contrairement à ce que rapporte le le journal Le Figaro), puis a été reprise par le journal Le Parisien, puis par la plupart des quotidiens de la presse nationale et les grands médias télévisuels. Le Parti socialiste, suite à cette info, a aussitôt exprimé son indignation et a réclamé la suppression de l’offre du site de l’ANPE, créant une mini-polémique.
Inde, tour d’horizon : l’Inde est située au 7e rang des puissances industrielles et est une puissance économique émergente. Sa population active est de 472 millions de personnes pour 1 129 866 154 habitants, dont 65% dans l’agriculture et 20% dans l’industrie du logiciel et des services. Le chiffre d’affaires de l’agriculture représente 17% du PIB, l’industrie 28%, et les services 55%. L’on voit bien à ces chiffres le déséquilibre existant entre les secteurs d’emplois par rapport aux actifs, et le PIB par habitant reste inférieur à 1000$ US, bien en-deçà de la Chine qui affiche un PIB par habitant de plus de 2400$ US, mais encore bien loin derrière les ténors de l’OCDE, Organisation de coopération et de développement économique. En Inde, le travail des enfants est autorisé à partir de 14 ans. Malgré son taux de chômage de 9,1% (légèrement supérieur à celui de la France), et son taux de croissance de 9,4% en 2006-2007 (cinq fois plus que la France), 25% de sa population vit en dessous du seuil de pauvreté, mais surtout, des entrepreneurs étrangers choisissent de manière étonnante de recruter sur le marché français de l’emploi...
Travailler plus pour gagner… moins que le RMI
Le salaire mensuel de cet emploi d’agent de maîtrise est de 10 000 à 20 000 roupies, équivalent à une fourchette de 160 à 320 euros par mois pour un poste d’informaticien de niveau Bac+2 : moins que le RMI ! Certes, les conditions de vie en France ne sont pas comparables à celles de l’Inde, et ce salaire représente de quatre à cinq fois le salaire moyen dans ce pays, mais le climat et les risques liés à l’expatriation sont aussi des données à prendre sérieusement en compte pour le jeune diplômé français habitué aux matchs de foot entre amis, à la baguette de tradition et le camembert AOC. Les autorités officielles recommandent notamment pour les voyageurs de prévoir la prise en charge des frais d’évacuation éventuelle (rapatriement sanitaire), par une compagnie d’assurance dont le siège est domicilié en France. Mais les coûts de telles assurances ne sont certainement pas à la portée d’une personne gagnant moins que le RMI.
D’autre part, l’offre d’emploi est étiquetée "Contat à durée indéterminée" et le contrat est défini comme de "droit local", il ne s’agit donc pas d’une expérience saisonnière ou passagère comme l’indique Christian Charpy, directeur général de l’ANPE, au journal de 13 heures de France 2, mais bien d’une offre d’emploi durable dans une grande entreprise d’informatique de 5000 salariés. L’employeur indique, selon Le Figaro, que les "protections sociales et avantages sont à négocier ". En effet, en Inde, "pour les travailleurs qui disposent d’un revenu supérieur au plafond fixé par la loi, la couverture sociale est facultative" selon une étude du Sénat : "Inde : quelles règles sociales dans une économie émergente ?" Et le secteur de la santé s’est fortement développé au niveau du privé.
Cette offre d’emploi à l’ANPE est finalement très étonnante, car "chaque année, l’Inde forme 300 000 ingénieurs et 150 000 informaticiens, généralement anglophones", ce n’est donc pas la main-d’œuvre locale qui manque. De plus, "les Instituts indiens de technologie (IIT) qui les forment jouissent d’une réelle renommée internationale".
Du rêve au délire, billet "low-cost" pour emploi "low-cost" : low "low-cost" ?
Dans la mondialisation actuelle, la dérégulation des biens et des marchandises se transforme également en dérégulation de la main-d’œuvre. Le libéralisme prôné par Nicolas Sarkozy ouvre la porte aux situations les plus abracadabrantesques : les offres d’emploi comme celle de cette entreprise indienne constituent en effet pour un chômeur français sans ressources, un aller simple pour l’Inde ; car comment revenir en France avec un salaire plus bas que le RMI ? Le tarif d’un billet d’avion dépasse déjà amplement un salaire mensuel dans cette entreprise indienne. Aucun moyen d’économiser : l’expatriement salarial devient expatriement tout court dans de telles conditions. Et comment expliquer que des informaticiens français devraient prendre le travail d’informaticiens indiens qui ne manquent pas dans ce pays ?
Si l’Inde attire beaucoup d’Occidentaux, de nombreux voyageurs y subissent aussi ce que l’on appelle, le "syndrôme des Indes" : bouffées délirantes, paranoïa… les symptômes sont nombreux et le voyage en Inde peut altérer les esprits les plus rationalistes, heureusement de manière réversible. Le choc des cultures peut être vivace et partir en Inde ne se fait donc pas sur un "coup de tête" : mieux vaut avoir un pied à terre en France ou de la famille susceptible de vous accueillir, au cas où... l’expérience proposée par l’ANPE tournerait au délire, la mondialisation libérale aidant. Avant de vous lancer à corps et esprit perdus dans cette aventure, donc, n’oubliez pas qu’Agoravox recrute également des développeurs JAVA, on ne sait jamais...
Crédit Images :
ANPE
Calvi et Messinger, La Sarko-attitude, éditions du Rocher