Misérable impôt !
par Vincent Marot
mardi 1er avril 2008
Pour la plupart des représentants de la droite, et en particulier lorsque pointe une élection, l’impôt devient une calamité à éradiquer. A les entendre, il symbolise le mal absolu. Pas un programme sans une promesse démagogique de baisse d’impôt, pas un discours sans une attaque de la gauche, coupable de pactiser avec ce diable. Mais jamais un mot sur les prestations bénéfiques apportées par un niveau de contribution élevé, comme s’il n’y avait aucun lien entre les deux. Pour être élu, on mise sur l’égoïsme généralisé du genre humain plutôt que sur son intelligence. La droite parvient même à renverser les valeurs, et faire passer pour archaïque ce qui représente pourtant une construction évoluée des sociétés modernes, pour financer, redistribuer, inciter.
La relative complexité de la fiscalité permet aux bonimenteurs populistes de débiter sans vergogne les approximations et les mensonges les plus énormes dans les médias, au nez et à la barbe de journalistes trop souvent passifs et complices. La tâche est d’autant plus facile que le PS a bien du mal à aborder courageusement ce sujet, et à affirmer haut et fort que oui, si les Français souhaitent préserver des services publics et une protection sociale de qualité, sujet d’actualité pour les retraites ou l’assurance maladie dont les besoins croîtront logiquement, alors il faudra y consacrer une part plus importante du PIB et augmenter les recettes, soit en éliminant des exonérations et des niches fiscales inutiles, soit en modifiant l’assiette des impôts et des cotisations, soit en augmentant leurs taux, sans doute en jouant sur tous ces leviers à la fois. Mesures complémentaires, et non antinomiques, avec la recherche d’économies sur certaines dépenses ou avec le maintien de la compétitivité, si l’on redéfinit intelligemment le financement.
A défaut d’opposition assez solide et courageuse sur ce thème, les propagandistes de l’UMP s’en donnent à cœur joie :
- On vend à tous les Français des baisses d’impôts progressifs, alors que par définition elles profitent d’abord aux assujettis des tranches élevées. Plus fort encore, la réalité mathématique, camouflée, est qu’en diminuant les impôts progressifs tout en maintenant le niveau total des prélèvements obligatoires comme cela a été le cas depuis 2002, on transfère une partie de la contribution d’une minorité de Français aisés vers l’ensemble des Français.
- On laisse penser que les Français qui ne paient pas d’impôt sur le revenu ne contribueraient pas, alors qu’en ajoutant TVA, CSG et taxes indirectes, le taux moyen effectif des prélèvements pour le premier décile de la population est supérieur à 40%, et à 50% pour un salarié au SMIC dépensant tout son salaire (source Thomas Piketty, L’Economie des inégalités).
- On promet de baisser de 4 points le niveau des prélèvements, soit 68 milliards d’euros, promesse inepte et intenable, mais avalée sans critique en son temps.
- On attaque les « charges » qui « pèsent » et « asphyxient » les entreprises, sans jamais expliquer qu’elles sont du salaire socialisé ou différé, et qu’elles ont un lien direct avec le financement déjà précaire des retraites, de la maladie et du chômage.
- Sommet de cynisme, on ose affirmer que la loi sur l’exonération des droits de succession profiterait à tous. On a souvent entendu N. Sarkozy ou ses porte-parole s’apitoyer d’un ton compatissant sur les plateaux de télévision : « Un père de famille qui a travaillé dur toute sa vie n’aurait-il pas le droit de léguer le fruit de son travail à ses enfants ? » Message touchant et vendeur, mais mensonger. Les chiffres de l’INSEE rétablissent la vérité : en France, 50% du patrimoine est détenu par 10% de la population. Le patrimoine médian est d’environ 100 000 euros. Avant cette loi, 85% des successions étaient déjà exonérées. L’exonération supplémentaire, qui n’a touché principalement que les 15% les plus fortunés, accélère la concentration d’un patrimoine déjà très concentré. Elle ne valorise pas le travail, mais la rente et l’héritage, comme au siècle dernier. Au-delà du caractère archaïque et nuisible de cette loi, des représentants du peuple mentent honteusement, sans contradiction.
Le mal serait moindre si ces promesses et ces mensonges n’étaient pas suivis d’effets. Malheureusement, des lois en découlent et mettent à mal notre économie et notre système de solidarité nationale.