Modérer le tourisme, à partir de maintenant ?

par Orélien Péréol
lundi 11 mai 2020

Pour beaucoup, il faut changer de système, en bloc, repenser le système, comme si les systèmes étaient là à la suite de pensées et qu’on en changeait en pensant… Des actions, des institutions, des entreprises se mettent en place et elles se coordonnent plus ou moins, avec des tensions, des frottements, mais, elles fonctionnent ensemble, et « font système ». Cependant, si l’on peut observer qu’il y a un système, on est dans une faiblesse extrême de la pensée, en voyant des principes à ce système et surtout, en pensant que prendre d’autres principes aboutirait rapidement à créer un autre système qui résoudrait les problèmes. Les systèmes sociaux ne sont pas l’application stricte et exacte de principes. Ils sont des bricolages hasardeux en perpétuels réajustements et évolutions.

On ne changera de « système » qu’en changeant petit à petit des éléments, des pièces, si l’on prend la métaphore d’un moteur, et en les articulant le mieux possible à tout ce que ces changements changent par induction et à tout ce qu’ils gardent à l’identique.

Je dis système et non pas modèle, parce qu’un système devient un modèle quand il est repéré comme assez bien fait, fonctionnel, juste, pour servir de modèle à des groupes qui sont dans (ou utilisent) un autre système.

Un des secteurs qui voit un plan de modération apparaître est le secteur du tourisme. C’est une bonne idée. On est à peu près sûr que les voies romaines ont aidé à propager la peste et que les virus contemporains prennent l’avion. La rapidité des échanges des personnes et le nombre de personnes circulant en tous sens favorisent les épidémies.

L’autre problème traité est celui de réduire la production économique afin de réduire la production de CO2, de la réduire à l’indispensable et se promener en troupeau dans des lieux rares chargés d’architecture historique (Venise) ou de rareté naturelle (le Mont Blanc), ou au milieu de peuples très différents… n’appartient pas à l’indispensable.

Thierry Breton, commissaire européen pour le marché intérieur de la Commission européenne, a publié un article sur son site linkedin à ce propos. D’abord, l’État des lieux : En Europe, le secteur du tourisme emploie 25 millions de personnes et représente 12% de l'emploi, soit 27 millions d'emplois directs et indirects ; il est composé de près de 3 millions d'entreprises, dont 90% de PME, et TPE. L'Europe représente 50% du marché mondial du tourisme en terme d'arrivées.

Thierry Breton propose une aide financière de 8 Milliards d’euro, qu’il appelle un plan Marshall. Toutes ces entreprises, tous ces salariés ne se convertiront pas dans d’autres secteurs d’activités, d’autres métiers ou emplois, en un clin d’œil, il leur faut donc passer l’épreuve de la chute de leur activité et de leur chiffre d’affaires. Ensuite, Thierry Breton propose un sommet européen du tourisme, à l’automne, qui aura pour objectif de « réfléchir ensemble à l’après et de construire une feuille de route vers un tourisme européen durable, innovant et résilient ». Dans un billet sur Linkedin, il explique : « Le tourisme doit être au cœur du Green Deal européen et promouvoir le tourisme durable face au tourisme de masse que l’on observe dans certaines villes ou régions. Il s’agira de trouver un équilibre entre la préservation des écosystèmes et les réalités économiques ».

Donc, c’est dans ce sommet européen du tourisme que des choses importantes se passeront, ou non. Il s’agit de prendre en compte au niveau européen des dommages multiples que le tourisme fait subir, non seulement là où il s’exerce le plus, mais partout (la pollution des avions ne tombe pas sur les lieux touristiques spécialement).

La ville de Venise est sur la même longueur d’onde (30 millions de visiteurs en 2019) : certains élus pensent y instaurer des quotas. Il s’agirait d’aller vers « un tourisme intelligent. Avec des touristes qui prennent le temps de comprendre et ainsi de sortir des circuits frénétiques d’autrefois », déclare Simone Venturini, maire-adjoint. C’est comme une jauge dans une salle de spectacle par exemple.

Il faut que la collectivité, l’État, les collectivités locales prennent en charge les modérations qui font que l’action individuelle abime le commun, pour employer ce terme de commun qui est en train de prendre place dans les pensées.

Un autre dommage occasionné aux villes touristiques est l’augmentation du prix de l’immobilier, via, entre autres, l’hébergement Airbnb. C’est un autre volet : rendre la ville aux habitants. La tâche est vaste et l’aspect écosystémique de chacun des domaines où l’on doit modérer la dépense énergétique pour modérer le réchauffement atmosphérique la rend encore plus vaste.

Bien entendu et surtout, il faudra que chacun s’y mette, accepte ces restrictions.

En tout cas, le tourisme, est, à ma connaissance, un des premiers voire le premier domaine économique où cette régulation concrète et réalisable est tentée, alors que les secteurs de l’activité humaine économique doivent tous passer à la moulinette des évaluations et des restrictions pensées et conduites.


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