MV = PT

par Paul Jael
lundi 17 juin 2019

MV = PT... Voici une équation bien connue de tous les économistes. Son concepteur est l’économiste américain Irving Fisher (1867-1947) qui l’a baptisée « équation de l’échange ».

  • M est la masse monétaire en circulation
  • V est la vitesse de circulation de la monnaie
  • P est le niveau général des prix
  • T est le volume des échanges sur les marchés des biens

Dans l’ouvrage « The Purchasing Power of Money » (1911), l’auteur utilise cette équation pour développer la fameuse théorie quantitative, elle-même bien plus ancienne. La théorie quantitative ne se limite pas à cette équation qui est tautologique ; elle lui donne un sens, au sens premier du mot « sens ». M est déterminé par l’autorité monétaire selon sa discrétion (ou par la quantité d’or à l’époque) et V est stable et déterminé par la coutume. Ce n’est donc pas PT qui détermine MV mais MV qui détermine PT. Mais est également exogène, car déterminé par la capacité de production de l’économie. Finalement, on obtient que M détermine P et rien que et certainement pas T. C'est ce qu'on appelle la neutralité de la monnaie.

Milton Friedman, concepteur du monétarisme, considère Fisher comme l’une de ses principales influences. Les monétaristes et leurs héritiers, les nouveaux classiques ont rejeté la courbe de Phillips, une courbe néo-keynésienne qui montre une relation inverse entre le taux de chômage et le taux d’inflation, dont il fut inféré qu’il est possible de réduire le chômage en menant une politique inflationniste. Selon les monétaristes, le chômage ne se réduit que très temporairement pour revenir rapidement à son taux naturel, ne laissant sur le terrain que l’inflation. On voit la filiation avec la théorie quantitative : quand on augmente M pour accroître T, on arrive juste à élever P.

Vingt ans après le « Purchasing Power », le monde pataugeait dans une terrible dépression, qui eut l’effet d’infléchir la pensée d’Irving Fisher. Il publia l’ouvrage « Booms and Depressions » en 1932 et l’article « The Debt-Deflation Theory of Great Depressions » en 1933. J’ai profité de sa visite à Bruxelles la semaine passée pour l’interviewer.

Monsieur Fisher, pensez-vous qu’une variation de M peut affecter T sans affecter P ?

Appelez-moi Irving, mais permettez-moi de continuer en Anglais. “One of the more important of such interrelations is the direct effect of lessened money, deposits and their velocity in curtailing trade, as evidenced by the fact that trade has been revived locally by emergency money without any raising of the price level”[1].

Irving, est-il souhaitable de mener une politique inflationniste pour enrayer la dépression ?

If the foregoing analysis is correct, it is always economically possible to stop or prevent such depression simply by reflating the price level up to the average level at which outstanding debts were contracted”[2]

Ne serait-il pas plus indiqué d’attendre que l’économie se redresse par elle-même par les forces du marché ?

Those who imagine that Roosevelt’s avowed reflation is not the cause of our recovery but that we had ‘reached the bottom anyway’ are very much mistaken (…) Had no ‘artificial respiration’ been applied, we would soon have seen general bankruptcies of the mortgage guarantee companies, saving banks, life insurance companies, railways, municipalities, and states.

 

Fisher était très préoccupé par un problème que les modèles macroéconomiques modernes tendent à sous-estimer : l’insolvabilité des débiteurs, dont on a vu avec les subprimes les ravages qu’elle peut causer. Dans la crise de 2007, on est passé tout près de l’inflation négative qui augmente le poids des dettes et sans doute aurait-elle eu lieu sans le fonctionnement à plein régime de la planche à billets.

Après ces considérations de Fisher, que reste-t-il de la théorie quantitative ? T est tout sauf exogène. Non seulement il varie avec M mais dans certaines situations, il semble solidaire avec P.

Sans craindre de se contredire, Friedman avait d’ailleurs considéré que les politiques monétaires restrictives portaient une lourde responsabilité dans la gravité de la crise de 1929. Aujourd’hui, plus aucun économiste et plus encore aucun politique ne se risquerait à abandonner le levier monétaire pour contrer une crise.

 

[1] Fisher Irving “The Debt-Deflation Theory of Great Depressions” Econometrica 1933 p.342

[2] Ibid p.346, ainsi que l’extrait suivant.

 


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