Naufrage de la Monnaie Elastique, Renationalisation des Monnaies Locales

par Narcisse Jean Alcide Nana
lundi 2 janvier 2012

L’euro-scepticisme germanique aura eu le mérite d’ourdir une longévité de courte survie pour la monnaie européenne. Depuis mars 2010, Wolfgang Schäuble, ministre Allemand des finances ne semble pas fléchir dans sa vision de sortie de crise de l’euro. Il préconise un exit de l’euro en rang dispersé pour les pays membres insolvables et incapables de restaurer leur compétitivité économique. Ce 30 décembre 2011, la rencontre des ministres des finances de la zone euro à Bruxelles n’a pas accouché d’un accord de stabilité financière européenne. L’Italie et la Grèce se révèlent, toujours et malgré les traitements de chocs consentis, les filles gravement malades de l’Europe. Le suaire de l’euro est désormais découpé. On n’attend plus qu’un cortège en branle pour accompagner l’euro dans sa dernière demeure.

 Les menaces imminentes d’un démembrement dans la douleur de l’euro pèsent lourdement, comme l’épée de Damoclès, sur les fondamentaux naguère solides de l’économie de l’Union Européenne. Et pourtant, voici plus d’une décennie maintenant que l’illusion de la prospérité s’adossait sur les remparts préfabriqués de l’accumulation par le crédit et la dette souveraine. En 1998, l’explosion massive des services financiers comme dernières frontières de la haute finance et du secteur des services nous offrait un ticket en première classe pour communier aux grandes noces du progrès par la richesse partagée. Une nouvelle division du travail semblait désormais fixée pour le futur. Les pays émergents s’appropriaient le secteur de la manufacture tandis que les pays développés s’adonnaient à la consommation par la dépense illimitée. Pour exemple, en 1997, la manufacture occupait encore 5% de l’économie Britannique. Sept millions de personnes travaillaient dans les usines, contre seulement 2.5 million en 2010. Deux générations d’inversion des rôles ont suffi pour déplacer le centre de gravité du pouvoir économique de l’Occident à l’Est. La part mondiale de PIB combiné de l’Union Européenne et des USA a connu une baisse de 2/3 de 1990 à 50% en 2009, selon les estimations de la Banque Allemande. En 2001, l’Union Européenne et les USA contrôlaient 75% de la capitalisation du stock global du marché mondial pour retomber à 50% en 2010.

 Le déplacement du centre de gravité de l’économie mondiale n’est pas seulement fonction de la délocalisation de la manufacture vers les zones asiatiques. C’est qu’il s’est progressivement installé un double amalgame hasardeux et malencontreux entre d’une part, innovation technologique dans le mode de payement et, d’autre part, les fondamentaux de la création de la monnaie comme institution sociale. L’âge de la monnaie élastique et électronique a vite été célébré comme une autre étape de progrès dans la finance et l’économie. Depuis le 20ème siècle, les grands prêtres-vodou de la macroéconomie et de l’économétrie ont officié en doctes savants dans les temples des arcanes de la finance. Keynésianisme et monétarisme furent les aromes exotiques dont ils nous embaumaient à l’aveuglement. Ils tenaient pour doctrine indépassable que l’injection monétaire d’une part, rehausse le niveau des prix, et, d’autre part, qu’elle contribue à booster les dépenses publiques, ce qui revient à rehausser le niveau du PIB. Partant, toute une pseudo-érudition financière a éblouit le siècle passé par le triomphalisme des théories de l’indice de chômage, du PIB ainsi que de l’indice des prix.

Le dogme selon lequel une augmentation de la masse monétaire par chocs de stimuli reste invariablement une recette indispensable pour stimuler l’économie a fait longtemps autorité dans les cercles économiques. Une quasi-théorie spontanée de stratégies de sortie de crise économique s’est installée depuis ces 70 dernières années. Toute récession impose une vague orchestrée de stimulation des dépenses par l’augmentation de la masse monétaire. La myopie des théories monétaristes a su mettre en sourdine la baisse drastique du pouvoir d’achat ramené en unité monétaire. En s’obstinant à substituer une monnaie de commodité inflexible et apolitique par une monnaie fiat élastique, l’Etat a simplement socialisé les risques des banques individuelles tout en octroyant un laissez-passer pour l’expansion massive d’une finance de réserve fractionnelle.

Trente années de réactivation mécanique du mégacycle des crédits des banques centrales par la manipulation hasardeuse de l’interventionnisme, de l’injection monétaire et l’abaissement des taux d’intérêt n’ont guère apporté un correctif fiable ou définitif à l’accumulation vertigineuse du dysfonctionnement du crédit et de la dette toxique souveraine. Depuis 2008, la base monétaire a doublé aux USA, s’envolant de $900 milliards à $2 000 000 000 000. Pendant la même période, elle a connu une explosion en Grande Bretagne de $50 milliards à $250 milliards, tandis que la zone euro connaissait une explosion de 33%. La dette nette des USA en 2009 comme pourcentage du PIB a touché un record de 370%. Pendant la même période, l’indice M2 de la Banque de Réserve Fédérale nous renseigne que la monnaie a connu un bond de $4 000 000 000 000 à plus de $7 000 000 000 000. De 1957 à 2007, la production industrielle des Etats Unis a connu une augmentation d’environ 5 chiffres. Pendant la même période, la quantité de dollars en circulation a augmenté d’environ 26 fois. Concomitamment, chaque dollar perdait environ 86% de son pouvoir d’achat évalué sur la base des prix des consommateurs. Les mécanismes artificiels de manipulation monétaire et financière ont touché les limites du recevable et du raisonnable. Detlev S. Schlichter fait si bien de nous rappeler que l’augmentation artificielle du volume d’argent s’accompagne d’une incidence sur les prix, et partant, induit une distorsion dans l’utilisation et l’allocation des ressources, et conséquemment, introduit un changement dans la distribution des revenus et enfin, engendre une répercussion sur la structure de l’orientation principielle de l’activité économique.

L’histoire vient de rattraper les égarements des banquiers que la méfiance du président Jefferson tenait pour plus dangereux que des armées debout. L’échec des banques centrales aujourd’hui nous reconduit au cercle d’une renationalisation des monnaies locales comme seul gage pour échapper au naufrage par la monnaie élastique. Ce sont les anciens Romains qui nous ont légués ce simple bon sens, pecunia pecuniam parere non potest, la monnaie n’engendre point de la monnaie !

Narcisse Jean Alcide Nana, The University of Leicester, UK

 

Référence

- Detlev S. Schlichter, Paper Money Collapse : The Folly of Elastic Money and The Coming Monetary Breakdown (Hoboken, by John Wiley &Sons, 2011)

- Matthew Lynn, Bust : Greece, the Euro, and the Sovereign Debt Crisis (Hoboken, Bloomberg Press, 2011)

- Anatole Kaletsky, Capitalism 4.0 : The Birth of a New Economy in the Aftermath of Crisis (New York, Public Affairs, 2010)

- Owen Jones, Chavs : The Demonization of the Working Class (New York, Verso, 2011)

- Simon Johnson & James Kwak, 13 Bankers : The Wall Street Takeover and the Next Financial Meltdown (New York, Pantheon Books, 2010)

- Thomas G. Donlan, A world of Wealth : How Capitalism Turns Profits into Progress (Upper Saddle River, Pearson Education, 2008)


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