Nicolas Gaume, un homme, une histoire, un avenir
par Baptiste Bily
mercredi 7 mars 2007
Un portrait récent de Nicolas Gaume, ancien PDG de Kalisto, studio de développement de jeu vidéo français. L’histoire d’un homme porté au sommet qui est tombé très vite et très bas mais qui n’a de cesse de rebondir.
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Originaire du bassin d’Arcachon, Nicolas Gaume est
bien loin de l’idée que l’on se fait du provincial. Si le rythme des
années folles du jeu vidéo ainsi que les drames personnels ont à jamais
laissé leurs empreintes, ils n’ont en rien entamé la détermination et
le dynamisme de ces deux mètres de créativité.
L’idée d’une telle rencontre est née de deux évènements. Le premier est une session de l’IGDA axée sur son parcours et son livre, que j’encourage vivement à lire au passage. Le second est la décision toute récente du tribunal de commerce de Bordeaux rendue le 20 décembre 2006 à savoir qu’ « aucun des administrateurs de la société bordelaise Kalisto Entertainment - Nicolas Gaume compris - n’avait commis de faute de gestion. ». Il est surprenant de constater qu’au contraire des dépêches accablant la société, celle-ci n’a été qu’assez peu relayée, en particulier sur internet. Voici donc le point de départ d’une rencontre avec un homme qui a su assembler et rassembler des énergies afin de créer du rêve pour tous. Nicolas Gaume |
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Un brin d’histoire et un soupçon d’anecdotes
Au début, la coopérative de jeunes passionnés avait pour occupation majeure l’adaptation de titres pour Apple (Apple II et Apple II GS). Ce ne fut que plus tard avec l’arrivée du Mac et le choix d’élargir le panel de supports qu’un schisme se créa au sein du kolkhoze de jeunes entre les pro-Apple II et les autres. Dès lors, l’association devint société sous le nom Atreid Concept, en référence à la célèbre famille régente sur la planète Harrakis du cycle de Dune du tout aussi célèbre Franck Herbert.
Bily Baptiste - Pourquoi un tel amour de l’Apple ?
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Nicolas Gaume - C’était l’époque des
standards, chacun avait son église de prédilection. Qu’elle se prénomme
Apple, Atari ou Commodore, la marque et ses machines étaient des
religions à part entière. Nos icônes s’appelaient Jobs et Wozniak et
nous étions de fervents membres de l’Apple Club. Si aujourd’hui on en
sourit, à l’époque c’était fondamental
D’une organisation où tous avaient le même poids, Atreid Concept a progressivement mutée en une entreprise plus structurée avec un coordinateur chargé de gérer les individualités de chacun et de tirer tout se petit monde vers le haut. Ce coordinateur d’énergies, ce fut Nicolas Gaume. |
BB - Comment vous êtes vous retrouvé à gouverner vos amis ?
NG - Mes camarades étaient plus doués que moi pour le code et je faisais un piètre dessinateur. Au final, j’étais bien plus intéressé par le côté créatif et le gameplay que par tout le reste. Tout s’est déroulé par étape et parce que l’équipe le voulait bien. Nous partagions les mêmes valeurs, la même passion. C’est comme un musicien qui finit chef d’orchestre. Il n’est ni mauvais, ni bon musicien, mais dispose de capacités d’écoute et d’échange réunissant à merveille les talents.
Malgré l’évolution technologique des Apple et consorts, le marché se tournait indéniablement vers les consoles. Ô surprise, peu après la prise de décision de créer et de porter des titres sur consoles, Nintendo annonçait sa Super Nintendo avec à bord le même processeur que l’Apple II GS, le 65SC816 16 bit.
BB - En quoi un chipset identique a-t-il pu vous aider ? NG - Connaître le processeur et avoir l’habitude de travailler « au ras du métal » nous a donné la foi ! Celle de croire qu’on pouvait faire des jeux sur cette machine, pourtant fermée (pas seulement technologiquement). On a mis beaucoup d’énergie pour monter un projet de bric et de broc alors qu’au final ce n’était qu’un processeur comme un autre. Il fallait passer par une phase d’inconscience pour pouvoir se donner les moyens de réaliser nos rêves. C’est ce que l’on a fait en travaillant avec Namco sur Pac in Time. |
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Cette ouverture sur l’étranger poussera Kalisto à ouvrir des bureaux aux Etats-Unis ainsi qu’au Japon et en Chine, en sus de la base bordelaise et de la succursale parisienne. Avec 90 % de son chiffre d’affaires réalisé outre-Atlantique et sur l’archipel nippon, Kalisto était devenu un gage de qualité auprès des éditeurs et du public international.
BB - Outre le potentiel des différents marchés, en quoi l’ouverture à l’international intéressait-elle l’équipe ?
NG - Il faut de la curiosité et de l’engouement. Je fais parti d’une génération biberonnée aux mangas (dont Goldorak, Akira ...), à Hollywood et aux jeux vidéo, nous étions donc naturellement attirés vers les Apple, Electronic Arts, Namco et autres Nintendo. Nous aspirions à travailler avec ceux qui nous ont fait rêver un jour ou l’autre. Nous avons eu la chance de pouvoir réaliser l’un de nos rêves à force de travail, de persévérance et d’un soupçon de chance.
Bien plus tard, lorsque Kalisto était déjà bien implantée, Nicolas Gaume fut taxé de Bill Gates à la française et la presse en fit pour un temps son chouchou. Sans conviction politique affichée, Gaume s’est fait étiqueter par le biais de ses diverses participations aux voyages officiels et son entrée au sein du comité exécutif du MEDEF.
BB - On vous reproche d’avoir frayé avec le pouvoir en place à l’occasion de voyages ?
NG - Je suis effectivement parti en voyage officiel au Japon avec le Président de la République en 1996, c’est ce qui m’a permis de rencontrer en direct le président de Sony avec lequel nous travaillions depuis sept ans et aussi de consolider nos relations avec des partenaires comme NEC ou Square. Je suis également parti en Chine en 1998 avec l’équipe du Premier Ministre, Lionel Jospin, et non, je n’ai jamais revendiqué d’étiquette particulière, même si on m’en a collé une et qu’elle est tenace. C’est, j’imagine, le jeu médiatique.
BB - Par la suite, pourquoi être entré au MEDEF en 2001 ?
NG - J’avais la simple conviction qu’il fallait des entreprises et de l’emploi en France et que l’on pouvait en créer. Je souhaitais également témoigner d’une réalité d’entreprise différente, créée par des passionnés bien loin des univers de l’industrie ou de la finance. Expliquer qu’il est possible de travailler dans une structure non pyramidale et que le modèle du patron richissime et de ses grouillots n’est pas une norme immuable.
La suite est connue, Kalisto souhaita s’introduire en bourse et ce fut le début de la fin. Trop naïf, comme il l’avoue, Nicolas Gaume finit par devenir le pantin de spécialistes des marchés financiers.
« J’étais jeune, et des cinquantenaires du métier m’expliquaient avec leur langage que c’était bon pour l’entreprise, que nous pourrions enfin faire les jeux dont nous rêvions. Petit à petit je me suis éloigné de l’entreprise, des hommes qui la composaient et des projets. C’était une pente fatale, qui vient enfin de s’achever devant la loi. »
Toutes ces étapes ne sont que des gouttes d’eau dans la longue et captivante histoire de Kalisto racontée dans le livre de Nicolas Gaume. Après l’homme, intéressons-nous plus avant au studio, à ses productions passées et à celles à jamais disparu.
Kalisto et la création, une histoire fusionnelle
Depuis la fin des années 90, la face du jeu vidéo s’est transformée, il y a eu ceux qui ont pris le train en marche et ceux qui sont restés sur le carreau. Dans la lignée des grands studios ou éditeurs français disparus (Cryo, Titus...) se trouve Kalisto.
Kalisto, un nom qui remue des souvenirs parmi nombre de joueurs et non-joueurs car le parcours atypique de ce studio de développement ne s’est pas fait sans heurts.
Sans jamais rentrer dans la ligue des Square, Blizzard et autres, Kalisto disposait de nombreux atouts pour devenir une référence internationale. Souvenez-vous de Pac inTime, l’un des premiers jeux nippons développés par des Français, ou encore Dark Earth et de son univers immersif si profond, sans oublier Nightmares Creatures, pionner en matière de 3D sur fond de mythologie occidentale, mais également Ultim@te Race, jeu de course graphiquement novateur ; tous ces titres furent des « best-seller » mais jamais des « huge-seller » et tous sont issus d’une seule et même équipe : Kalisto.
Pourtant fin 2001, les cartons comme les esprits étaient remplis de bonnes idées : Dark Earth 2 avec Square et les prémices du troisième opus, un MMO sous licence Highlander avec NC Soft, un Nightmares Creatures 3 avec Ubisoft sur Xbox et également un FIA GT avec Tiscali et Infogrammes. Le potentiel était donc bel et bien présent pour que Kalisto poursuive sa montée en puissance et en gamme. On passera très vite sur les titres plus “alimentaires” tels que le 5ème élément, Lucky Luke, Adibou et l’Ombre verte, Sponge Bob, Jimmy Neutron, ou encore VIP, destinés à financer les projets de plus grande ampleur.
Il faut le rappeler, développer un jeu vidéo demande des moyens, toujours plus de moyens. Plus la technologie évolue, plus les jeux se modernisent et plus ils demandent du temps et de la main d’oeuvre. Résultat, des coûts d’exploitation qui explosent et des studios qui n’existent plus aujourd’hui que sur Wikipédia ou Mobygames.
BB - Quel regard portez-vous sur l’évolution du milieu du jeu vidéo à la fin du siècle dernier ?
NG - D’un univers d’individu dans les années 80 avec une personne capable de développer un jeu d’un bout à l’autre, nous sommes passés à un univers d’équipe avec une personne supplémentaire puis dix, puis cinquante, puis cent. Durant cette évolution des années 80, il y a eu des laissés pour compte. Où sont les Bitmaps Brothers, les Renegade ou Sensible Software ? Tous ceux qui n’ont pas su ou pas voulu grandir ont disparu. Pour survivre, il fallait se doter d’une force brute d’une cinquantaine de personnes et plus encore avec l’arrivée de la 3D par la suite. D’où la difficulté pour une équipe de garder son homogénéité, voire son âme, malgré un nombre toujours croissant d’individualités. Celles qui ont le mieux réussi sont à l’origine de jeux magnifiques tels que Warcraft, Tomb Raider, GTA...
BB - Qu’est-ce qui, selon vous, fait la qualité d’un studio et donc d’un bon jeu ?
NG - Je suis persuadé que le Game Design d’un jeu est intimement lié au management de l’équipe et la qualité du Gameplay à la conscience collective de celle-ci. Dans les meilleures équipes, plus besoin de parler ou d’expliciter un processus de création, l’osmose est parfaite. Prenez par exemple les équipes japonaises qui, de par leur culture, ne se parlent que très peu. Il s’en dégage une homogénéité optimale. Les studios qui s’inscrivent dans la durée sont ceux qui disposent d’une maîtrise collective de leur art.
Un studio qui s’éteint, un savoir qui s’éveille ?
La première pensée qui vient à l’esprit à la fin de la lecture de l’ouvrage est que celui-ci ferait un très bon roman. Malheureusement, comme le rappelle son auteur, cela n’en est pas un, tous les éléments de son recueil étant des faits avérés.
Avant la débâcle financière, Kalisto employait plus de 300 personnes. Une fois le dépôt de bilan consommé, il a fallu recaser tout ce petit monde. Aujourd’hui, il n’est pas rare de retrouver des anciens de Kalisto ça et là, que ce soit au sein de grands éditeurs-développeurs (comme chez Ubisoft à Montréal ou en France, Square à Tokyo, Electronic Arts en Californie, NCsoft en Corée ...) ou regroupées dans des studios créés ad hoc en 2002 (Asobo pour les consoles, BeTomorrow pour les mobiles, Mad Monkey pour les DVD interactifs...).
BB - Pourquoi avoir écrit un tel livre ?
NG - Tous à Kalisto, nous avons a eu la
chance de vivre une histoire incroyable durant douze riches années. Je
souhaitais partager cette aventure. Ecrire fut un exercice difficile
duquel je n’étais pas du tout familier. Mais je remercie Stephen
Carrière, mon éditeur, de m’avoir fait confiance et de m’avoir laissé
écrire jusqu’au bout -même si les débuts furent laborieux !- Stephen
connaît bien le jeu vidéo, ayant cofondé Arxel Tribes et lui-même créé
avec ses équipes de très beaux jeux. Ce projet est vraiment issue d’une
rencontre « alchimique » entre nous..
BB - On évoque souvent l’écriture comme thérapie, est-ce le cas pour vous ? NG - En 2002 des éditeurs m’ont approché à chaud pour écrire un livre dans le style « Ma vérité ». Mais je n’ai pas donné suite. Je voulais écrire ce récit de manière très personnelle, en étant rigoureux dans les évènements et en me livrant tel que j’avais été face aux évènements -bons... et mauvais-. J’ai écrit ce livre en pensant à mon fils à qui je devais dire toute la vérité, et rien que la vérité. |
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BB - Alors, pourquoi avoir changé certains noms de sociétés ?
NG - Le choix m’était donné. Je pouvais citer les vrais noms à condition d’édulcorer les faits ou changer les noms et raconter vraiment l’histoire. J’ai choisi cette deuxième option. Pourtant, je me devais d’être extrêmement rigoureux vis-à-vis des autres protagonistes de cette aventure, de ma famille et de moi-même.
BB - N’avez-vous pas éprouvé un certain ressentiment en relatant certains périodes sombres ?
NG - J’y raconte ce que j’ai vécu et la passion qui m’animait et qui m’anime toujours. Je ne l’ai pas fait pour régler mes comptes, ni par souci de vengeance. Cela ne veut pas dire que je n’ai pas de blessures mais j’ai toujours veillé à ne pas tomber dans l’aigreur pure et simple.
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Une fois le reclassement effectué et les deuils successifs achevés, Nicolas Gaume a pu se remettre en selle grâce, entre autres, aux frères Darling de Codemasters. Ils lui ont remis le pied à l’étrier avec une mission d’un jour, d’une semaine et enfin de plusieurs mois. Par la suite, il s’est vu proposer un poste de Directeur Général mais a préféré revenir en France pour exercer son activité de consultant. C’est surtout avec un interlude de trois ans chez Ubisoft que Nicolas Gaume est revenu en force dans un monde qu’il n’a jamais vraiment quitté. Il a ainsi pu accompagner des titres tels que The Settlers, XIII ou encore Ghost Recon Jungle Storm et renouer avec le plaisir de la création.
Aujourd’hui chez Lagardère Active, il s’occupe essentiellement de jeux pour téléphones mobiles à destination du continent américain. Si pour lui des phénomènes comme Trackmania sont « fabuleux, géniaux, déments », il pense que le jeu du futur se situe aux confins du MMO, de la série télé et du web. L’itinéraire de Nicolas Gaume est donc bien loin de s’achever, gageons qu’il sera encore là demain pour innover ou rénover le jeu vidéo et ce quel que soit le support.
A noter qu’il travaille en ce moment sur un livre sur le Game Design dont la publication est prévue pour l’année prochaine.