Nous n’investissons pas simplement pour gagner de l’argent

par Françoise Garteiser
vendredi 25 août 2006

Les chercheurs comportementalistes partent du principe que l’homme est essentiellement une créature rationnelle, cherchant à maximiser ses profits, et qui fait simplement « des erreurs ». Mais ces « erreurs » n’en sont pas, en fait. Si un investisseur n’investit pas comme les universitaires pensent qu’il devrait le faire, c’est parce ledit investisseur n’est pas l’animal qu’ils croient. En d’autres termes, nous, investisseurs, nous n’investissons pas simplement pour gagner de l’argent.

"Sur cette planète, la majeure partie de l’argent est gérée suivant une tactique de chacun pour soi’’.

Ainsi parlait un Zarathoustra moderne, un prophète de l’école de la "finance comportementale" : M. Whitney Tilson, gestionnaire de fonds, fondateur de T2 Partners et éditorialiste du Financial Times. En tant que théorie d’investissement, la finance comportementale s’avère une version plus élégante de l’adage qui veut "qu’un idiot et son argent sont vite séparés". Les comportementalistes s’inquiètent de voir que les investisseurs font des erreurs en suivant leurs impulsions... sans faire preuve du rationalisme qui leur permettrait de maximiser leurs profits. Si seulement les pauvres "idiots" s’en tenaient à une analyse raisonnable des investissements, se plaignent les comportementalistes en fronçant leurs augustes sourcils, tambourinant des doigts sur leur bureau.

Réfléchissez-y. Imaginez un investisseur qui détient une valeur pendant trop longtemps. Un autre achète des parts dans un fonds simplement parce que tout le monde en achète. Un troisième gaffeur fait tant de recherches qu’il finit par "épouser" son portefeuille, y ayant investi tant de temps et d’effort.

En tant que professionnel du monde de la finance, nous pourrions prendre ces malheureux en pitié, parce que nous réalisons que nous avons fait toutes ces "erreurs" nous-mêmes... mais nous nous demandons si ce sont vraiment des erreurs.

Voyez-vous, le problèmes avec tous ces gens de la finance comportementaliste, c’est qu’ils ne vont pas assez loin. Ils prétendent analyser ce que font les gens, puis le comparer avec ce qu’un investisseur fictionnel "devrait" faire. Aujourd’hui, nous posons donc la question : pourquoi devrait-il le faire ? Si nous, investisseurs, n’investissons pas vraiment comme une théorie déclare que nous devrions le faire, où est la faute ? Où est l’erreur ? Chez nous, ou dans la théorie ? Après tout, pourquoi les investisseurs devraient-ils se comporter différemment de ce qu’ils font tous les jours ?

Les chercheurs comportementalistes partent du principe que l’homme est essentiellement une créature rationnelle, cherchant à maximiser ses profits, et qui fait simplement "des erreurs". Mais ces "erreurs" n’en sont pas, en fait. Si un investisseur n’investit pas comme les universitaires pensent qu’il devrait le faire, c’est parce ledit investisseur n’est pas l’animal qu’ils croient. En d’autres termes, nous, investisseurs, nous n’investissons pas simplement pour gagner de l’argent.

Si notre seul but était de gagner de l’argent, nous nous lancerions dans la pornographie, les drogues illégales, ou, pis encore, les fonds de couverture ! Oui, si les hommes n’étaient que des tiroirs-caisses, ils feraient du porte-à-porte en banlieue, offrant des prêts immobiliers sans apport personnel à paiement différé du principal - et ils offriraient une réduction à quiconque en prendrait deux. Et s’ils ne trouvaient pas preneur, ils rajouteraient une inscription gratuite à une chaîne X câblée. Et peut-être un peu de cocaïne, simplement pour faciliter les choses.

Mais l’investisseur lambda n’a pas l’argent comme seul but. S’enrichir n’est qu’une partie de tout un ensemble de désirs et de préjugés qui le poussent vers un destin bien mérité. L’investisseur lambda ne veut pas seulement gagner de l’argent, voyez-vous, mais également se sentir à la fois plein de sagesse et à la pointe de la mode... à la fois hardi et prudent. Il est tout à fait prêt à se lancer dans des investissements contrariens - tant que tout le monde fait les mêmes !

Et voilà pourquoi, dans le monde cruel de la finance, la masse des investisseurs se retrouve perdante. Parce qu’en matière d’investissement, ce qui grimpe... c’est exactement ce qui va devoir baisser. Pourtant, l’investisseur moyen refuse d’acheter des placements tombés en disgrâce. Pourquoi ? Parce qu’en agissant ainsi, il se sent marginalisé, bizarre, en danger. Il a l’impression d’être un étranger - et c’est bien le dernier sentiment qu’il souhaite ressentir ; il préférerait abandonner ses profits. En fait, l’investisseur de base ne trouve pas le sommeil tant qu’il n’est pas profondément et solidement emmitouflé dans le vaste troupeau de ses congénères somnolents.

Les investisseurs lambda ne maximisent peut-être pas leurs rendements... mais ils jugent qu’une bonne nuit de sommeil vaut largement ce coût.

D’autres investisseurs ne se préoccupent pas tant de prendre la bonne décision que d’éviter la mauvaise. Ces gens craignent moins les pertes que les moqueries. Ils redoutent par-dessus tout de se retrouver dans une position où quiconque - et en particulier leur conjoint - pourrait les montrer du doigt en les traitant d’âne bâté. A dire vrai, ils préféreraient être des ânes bâtés, financièrement parlant, plutôt que d’être accusés d’être des ignorants. Et que faire pour éviter les critiques de votre épouse ? Eh bien, on suit exactement ce que font Citibank et Lehman Brothers. Ou ce que la Réserve fédérale vous dit de faire - même si cela revient à prendre un prêt immobilier à taux variable.

D’autres investisseurs encore font preuve d’une loyauté que nous ne pouvons qu’admirer. Ils se tiennent à un secteur d’investissement - ou même à une entreprise individuelle - dans la richesse et la pauvreté, les succès et les échecs... jusqu’à ce que la mort les sépare. Et elle le fait souvent. D’autres tendent à être de vrais Don Juan, lâchant leur compagne dès qu’ils voient passer un jupon.

Mais bien entendu, si l’on en croit les fans du comportementalisme, ces goujats ne sont que des individus rationnels cherchant à maximiser leurs profits. Pas une seule trace de démon de midi dans leur sang.

Mais si les décisions d’investissement étaient vraiment des choix objectifs, parfaitement binaires - l’un clairement, bon, l’autre clairement mauvais -, des programmes informatiques pourraient tout aussi bien s’en charger à notre place. Seulement voilà : les ordinateurs ne lisent pas les titres de demain avant nous, et même une puce de silicone ne peut dire quels investissements ont l’intention de grimper ou de baisser.

Ce qui signifie que l’idée même d’un "optimisateur de profits" entièrement rationnel - un investisseur parfait ne faisant aucune erreur - est si complètement détachée de la réalité qu’on peut assez facilement la classer dans la catégorie des fraudes intellectuelles.

Voilà pourquoi notre investisseur candide et irrationnel a raison, en fin de compte. Sachant que le succès ou l’échec de ses investissements - en matière de profits - est en majeure partie hors de sa portée, il préfère les récompenses non-monétaires : le droit de se vanter, un sommeil profond, la reconnaissance sociale, la protection, la bonne humeur de son épouse... et courir les jupons.

C’est peut-être un idiot pour les professeurs de la finance. Mais dans le monde réel, c’est un homme.

Par Bill Bonner,
http://www.la-chronique-agora.com

Historien et moraliste, William Bonner retrace dans son dernier ouvrage, à travers de nombreuses mises en perspectives historiques et analyses financières, l’ascension et le début de la décadence de l’Empire américain. Il montre comment cette évolution s’accompagne d’une transformation profonde des mentalités du peuple américain, en particulier dans le domaine financier. Il apporte un point de vue américain iconoclaste sur la question du surendettement des ménages, liant un fort penchant libéral et humaniste à des analyses économiques. Chaque jour, William Bonner écrit dans la lettre d’information boursière, La chronique Agora : http://www.la-chronique-agora.com


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