Novartis s’attaque à la loi indienne sur les brevets
par clem
jeudi 22 février 2007
Le laboratoire pharmaceutique Novartis conteste un article clef de la loi indienne sur la propriété intellectuelle. Une victoire du groupe restreindrait considérablement la possibilité de produire des médicaments récents et efficaces à prix abordables. MSF lance un appel à la mobilisation internationale pour que Novartis abandonne ce procès.
Etant l’un des acteurs majeurs dans la production de médicaments génériques, l’Inde est ainsi devenue la principale pharmacie des pays pauvres. En effet, ces derniers sont exclus de fait du marché de médicaments sous brevet.
Plus de 50% des médicaments utilisés dans les pays en voie de développement pour traiter les malades du VIH / sida sont fabriqués dans ce pays. Dans les programmes de Médecins sans frontière (MSF), ces médicaments représentent 80% de leur approvisionnement en ARV pour soigner les 80 000 patients dont ils ont la charge. De même pour Unicef, ou encore la Fondation Clinton qui achètent plus de 50% de leurs médicaments en Inde.
Une clause décisive dans la loi indienne
En transposant les accords internationaux sur la propriété intellectuelle (ADPIC) dans sa loi nationale en janvier 2005, « l’Inde a choisi d’avoir une lecture stricte des critères imposés par l’OMC », explique Pierre Chirac de la revue Prescrire.
Depuis cette date, le pays délivre des brevets pour vingt ans sur les nouveaux produits et procédés pharmaceutiques. Cette obligation restreint considérablement la possibilité de produire de nouveaux médicaments à prix abordables. Toutefois, le gouvernement indien a exploité au maximum les flexibilités permises par les règles de l’OMC. En effet, un mécanisme de sauvegarde a été inséré à l’article 3d de la loi (le Patent Act). Il « permet de refuser de breveter des découvertes qui sont en fait de nouvelles formes ou usages de substances connues. La loi ne considère pas ces découvertes comme des inventions au sens propre. » Cet article vise à contourner une pratique courante des entreprises pharmaceutiques qui consiste à apporter des modifications mineures à des molécules existantes pour obtenir un nouveau brevet.
C’est cet article de la loi que Novartis attaque devant les tribunaux.
Une concurrence qui profite aux malades
Par le jeu de la concurrence, l’arrivée de médicaments génériques sur le marché entraîne une baisse conséquente des prix de produits de marque.
C’est ce qu’il s’est passé pour les traitements du sida. « Au début des années 2000, ils coûtaient 10 000 dollars par patient et par an. Cela correspondait au prix de trois molécules de trois laboratoires différents. L’Inde a développé une trithérapie à 350 dollars. A cette époque les Indiens n’avaient pas à respecter les brevets. L’innovation des indiens, c’est qu’ils ont pu combiner les trois molécules proposées dans un médicament. On a eu un effet de compétition qui a engendré une chute des prix : aujourd’hui les médicaments de marque sont à 556 dollars et les génériques à 132 dollars », développe Sophie-Marie Scouflaire, pharmacienne et responsable des achats de médicaments pour MSF.
Aujourd’hui, Novartis vend le Glivec ® (son anticancéreux) 2500 dollars par patient par mois en Inde, alors que la version générique du produit coûte 175 dollars sur le même marché. Cela signifie que si Novartis gagne le procès, un seul malade atteint d’une leucémie sera soigné grâce au Glivec ®, alors que quatorze malades pourraient être soignés grâce à la version générique du médicament.
Les multinationales accusent les médicaments génériques de les concurrencer de manière déloyale et de porter atteinte à la recherche et développement qui a un coût très élevé et que le brevet permettrait à peine de rentabiliser. Pourtant, « le marché pharmaceutique est en pleine expansion », explique Jean-Hervé Bradol, Président de MSF, « de 300 milliards de chiffre d’affaires en 1999, il est passé à 600 milliards de dollars en 2005 ».
Selon les données de Novartis, le Glivec ® a rapporté 2,5 milliards de dollars à l’entreprise en 2006 . Cette même année, la multinationale a enregistré un bénéfice net de 7,2 milliards de dollars et son chiffre d’affaire a augmenté de 15% pour atteindre 37 milliards de dollars. Dans le même temps, la société a consacré plus de 29% de son chiffre d’affaire au marketing et à la communication pour seulement 14% à la recherche et développement.
Un contexte général hostile à la production de génériques
Au-delà du conflit juridique, « ce qui est en jeu, c’est la possibilité pour des millions de malades démunis de continuer à avoir accès à des médicaments récents et vitaux », souligne Jean-Hervé Bradol. « Novartis s’attaque à toute une filière pour une molécule dans un pays où il ne la vend même pas. Cela nous paraît très révélateur d’un climat général » hostile aux flexibilités inscrites dans les accords internationaux sur la propriété intellectuelle.
En effet, l’attaque de Novartis contre la loi indienne n’est pas une exception. Selon MSF, de grandes firmes pharmaceutiques et des Etats du Nord multiplient les attaques pour diminuer l’accès aux médicaments génériques dans les pays en voie de développement.
Dans certains pays, un mécanisme de protection des données résultant des essais cliniques a été mis en place, pour retarder l’enregistrement des médicaments génériques. Les fabricants de versions génériques font habituellement référence à ces données pour obtenir une autorisation de mise sur le marché. Lorsqu’il existe un mécanisme de protection des données, les fabricants de versions génériques ne peuvent plus s’y référer et obtenir d’autorisation de mise sur le marché pendant la durée de la protection. Autre technique, les accords commerciaux bilatéraux ou régionaux comme ceux que les Etats-Unis ont conclu avec certains pays en voie de développement - le Maroc par exemple - les obligeant à prolonger les brevets au-delà des vingt ans requis par les accords ADPIC de l’OMC.
D’autres pays subissent des pressions très fortes dès qu’ils essayent d’introduire dans leurs lois sur la propriété intellectuelle les flexibilités pourtant autorisées par les ADPIC. Au Kenya, en 2001, il a fallu la mobilisation de la société civile et de responsables politiques locaux pour qu’une loi incluant toutes les flexibilités des accords ADPIC soit votée. Et l’année dernière, la vigilance de ces mêmes élus et associations a permis d’éviter l’adoption par les parlementaires d’un amendement annulant toutes les sauvegardes votées trois ans plus tôt. La pression est continue de la part des grandes firmes pharmaceutiques.
Vers un apartheid sanitaire
L’accès aux nouveaux médicaments innovants est d’ores et déjà drastiquement réduit du fait de la mise en place de brevets en Inde. Le verdict de la Cour de Chennaï (nouvelle dénomination de Madras, la capitale de l’Etat du Tamil Nadu dans l’Inde du Sud) sera donc déterminant pour des millions de malades. « Si Novartis gagne, le risque c’est de tarir toute une source de médicaments », explique Sophie-Marie Scouflaire, pharmacienne pour MSF. Même l’accès à des molécules déjà existantes pourra, de fait, être refusé. L’Inde ne pourra donc plus rendre disponible des médicaments vitaux peu coûteux à des millions de malades dans les pays en développement. Une victoire de Novartis aurait des conséquences désastreuses en termes de santé publique et s’apparenterait à un apartheid sanitaire.
MSF a lancé une pétition comptant déjà plus de 300 000 signatures et demandant au laboratoire de retirer sa plainte. Il est possible de la signer sur www.msf.fr/petition.
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