Nucléaire, Transports, la valse du Fric

par olivier cabanel
mercredi 5 décembre 2012

On le sait depuis longtemps, pour emporter un marché, ou l’adhésion à un projet, certains n’hésitent pas à travestir la vérité, et tant pis pour les finances de l’état.

C’est ce que l’on peut constater quasi tous les jours, à tous les niveaux, pour un simple appel d’offre local, régional, mais aussi pour les projets beaucoup plus importants, tant dans le domaine de l’énergie que dans celui des transports.

Il n’y a pas longtemps, en Isère, un appel d’offre était lancé auprès des entreprises régionales de transport scolaire, et ces dernières se sont vu battre sur le fil par une compagnie suisse, « carpostal », qui a fait une proposition 40% moins chère que tous, dénoncée par les autres compagnies en lice, celles-ci affirmant que l’offre était sous-évaluée… lien

Faisant valoir que les véhicules de carpostal ne seraient pas conformes avec le cahier des charges sur lequel l’opérateur s’est engagé, les transporteurs se sont donné la possibilité de saisir le procureur de la République. lien

Hélas pour les concurrents déçus, la plainte qu’ils avaient déposée a été rejetée par le tribunal administratif. lien

Dans le domaine nucléaire, les conséquences sont encore plus fâcheuses, puisqu’elles portent sur des milliards d’euros.

Le « diamant » de l’industrie nucléaire, le tristement célèbre EPR fait partie du lot des mauvaises surprises.

Celui en construction en Finlande a déjà vu en quelques années son budget plus que doubler, tout en prenant un retard considérable pour un démarrage prévu initialement en 2005 pour une mise en service en 2009 repoussée d’abord à novembre 2010, puis à décembre 2011, et récemment à l’été 2014lien

Passant provisoirement de 3 milliards à près de 7 milliards, l’addition est salée, d’autant que le dépassement sera, d’après le contrat signé entre la Finlande et la France, à la charge de cette dernière. lien

On aurait pu imaginer que cette leçon aurait été comprise pour le second EPR, celui de Flamanville, mais il n’en est rien.

Prévu initialement à Nantes, en 1998 du temps d’Ayrault, pour 1,8 milliards d’euros, il est aujourd’hui de 8,5 milliards d’euros, multipliant ainsi la facture quasiment par 5. lien

Le constructeur fait valoir que la catastrophe de Fukushima serait en partie responsable de ce dépassement, car dit-il « l’évolution design de la chaudière, les études d’ingénierie supplémentaires, l’intégration des nouvelles exigences réglementaires, ainsi que les enseignements post-Fukushima ». lien

Mais Fukushima semble avoir bon dos, car l’EPR finlandais a subi déjà d’importants dépassements, bien avant la catastrophe de Fukushima.

Revenons au domaine des transports.

Le tunnel sous la Manche a vu son prix définitif plus que doubler. lien

L’ouvrage, qualifié avec humour par les opposants « d’ Ayrault-port » à Notre Dame des Landes est estimé officiellement à un demi-milliard d’euros, pour 1650 hectares sacrifiés, et pris au monde agricole, mais le « Canard Enchainé  » généralement bien informé affirme qu’il en couterait plus de 4 milliards d’euros, pour un résultat incertain. lien

Récemment l’actualité a mis en vedette le projet ferroviaire Lyon Turin, censé être « une chance pour l’Europe  », et estimé en 1996 à 7,6 milliards d’euros (50 milliards de francs). (rapport Rouvillois).

Aujourd’hui la Cour des Comptes vient, dans un rapport récent donner un tout autre chiffre.

Elle a même a adressé le 1er aout 2012, un référé au premier Ministre faisant remarquer que le projet était passé de 12 milliards d’euros en 2002 à 26,1 milliards d’euros d’après la direction générale du Trésor lien

En réalité, il est probable que le chiffre définitif serait supérieur à celui annoncé par le Trésor, car il resterait encore à financer les gares, le matériel roulant, et les dépassements prévisibles.

Aujourd’hui, les promoteurs du projet admettent que le « tunnel de base » long de 57 km, couterait 8,5 milliards, mais ils sont encore loin du compte car, si l’on fait une simple règle de trois avec un tunnel similaire, celui du St Gothard, il couterait plus de 10 milliards d’euros.

Mais les promoteurs du projet sont astucieux, comme ils espèrent la manne européenne, ils chiffrent la partie internationale, c'est à dire le tunnel de base, 14 milliards d’euros.

En gonflant artificiellement le prix de celui-ci, les 40% espérés de la contribution européenne leur permettraient de diminuer leur propre contribution.

Toujours pour justifier ce projet, il y a une pratique courante qui consiste à surestimer la quantité de marchandises qui emprunterait la voie fret.

Les dossiers de RFF (réseau ferré de France) estimait qu’en 2020, il y aurait 40 millions de tonnes de marchandises qui transiteraient dans ce secteur, la saturation du tunnel ferroviaire existant étant, d’après François Lépine, président du lobbying « la transalpine », de 22 millions de tonnes de fret.

Or, la progression annoncée n’est pas confirmée par la réalité, puisqu’aujourd’hui, elle n’a même pas atteint les 4 millions de tonnes (lien) et le niveau des marchandises qui circulent dans les Alpes tant en Maurienne que dans la Vallée du Mont Blanc sont inférieurs au niveau de 1988. lien

Il faut rappeler que le tunnel ferroviaire de Fréjus vient d’être modernisé pour un montant de près de 110 millions d’euros du coté français et qu’il a été mis au gabarit Fret, (GB1) reliant Dijon à Turin  : il permettrait donc de faire passer au moins 20 millions de tonnes de marchandises. lien

La surestimation ne touche pas que les marchandises, mais aussi les voyageurs, puisque, pour valider son projet, RFF a pris en compte les 1,2 million voyageurs du bassin Genevois : mal leur en a pris, puisque depuis la modernisation récente de la ligne des Carpates, reliant Genève à Paris, permettant de faire circuler des TGV, ces voyageurs ne voient plus l’intérêt de faire un détour par Chambéry et Lyon, pour aller jusqu’à Paris. lien

Aujourd’hui, il y a moins de 2000 voyageurs par jour pour se rendre de Lyon à Turin, et comme l’affirme le professeur Tartaglia de l’université polytechnique de Turin, pour espérer la rentabilité d’une ligne, il faudrait au moins 40 000 voyageurs par jour.

Au dessous de 100 000 par jour il faut une aide de l’état…ce qui veut dire que les français devraient mettre la main à la poche, ce qui par ces temps de crise est déconseillé.

Ce qui a été confirmé par Francis Mer, ancien ministre de l’économie, il n’y aurait pas plus de 500 000 voyageurs par an, au lieu des 3,5 millions prévus, ajoutant que les 80% d’augmentation de trafic fret en 15 ans étaient totalement illusoires. lien

Certes, on peut imaginer l’effet "d’appel d'air" provoqué par l’éventuelle création du projet, mais qui ne permettrait jamais la moindre rentabilité.

Alors aujourd’hui, même si Hollande et Monti viennent de signer un nième accord pour valider le projet, il n’en reste pas moins que ce dernier serait un gouffre financier, dont les Rhône alpins, et les français devraient payer les conséquences pendant des dizaines d’années. lien

Il y a pourtant de bonnes nouvelles.

Les 30 novembre et 1er décembre, la coordination des opposants a organisé un « avant sommet » à Lyon, et les médias s’y sont pressés afin de prendre des informations plus complètes que celles que les lobbyings propagent.

Lors de ces rencontres, Dominique Dord, ex trésorier de l’UMP, et député savoyard, et favorable au projet Lyon Turin fret commençait à douter, et il affirma au cours de la conférence de presse que si les chiffres avancés par la Cour des comptes, identiques à ceux donnés par la coordination des opposants, étaient véridiques, il aurait été trompé, et il y aurait eu un « abus de conscience  ».

2 jours après, sur l’antenne de France Info, il déclarait que ce projet pharaonique était absurde, dénonçant un « foutage de gueule ». lien

Le 3 décembre 2012, un rassemblement, pourtant autorisé gare des brotteaux à Lyon des opposants a vu se déployer plus de forces de polices que de manifestants (un millier environ) avec toute l’armada anti-émeute, pour des opposants citoyens venus les mains dans les poches. lien

J’y étais, mais nous avons annulé le rendez vous que nous avions demandé à Hollande et Monti, pour marquer notre désapprobation des mesures policières qui ont contrôlé à 3 reprises les même cars des NOTAV italiens, une fois à Modane, une fois à St Jean de Maurienne, et une dernière fois aux portes de Lyon, avec manifestement l’idée de les décourager d’arriver à Lyon.

2 jours auparavant, un minibus italien se rendait à l’invitation de la coordination française pour participer à l’avant sommet.

Mal lui en a pris : prenant comme prétexte que 3 des 15 passagers de ce bus étaient soupçonnés d’avoir commis des actes délictueux, sans la moindre preuve, le chauffeur du car s’est vu arracher son portable, lequel a été jeté au sol violemment, puis la batterie a été enlevée, le téléphone rendu à son propriétaire, et les voyageurs ont du faire demi-tour.

Drôle de conception du dialogue et de la démocratie.

Comme dit souvent mon vieil ami africain : « ne te laisse pas lécher par qui peut t’avaler  ».

L’image illustrant l’article provient de : « http://www.lyceedegaulle-rosny.ac-creteil.fr »

Merci aux internautes de leur aide efficace.

Olivier Cabanel

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