On a confisqué Keynes

par Michel Santi
lundi 21 avril 2008

Les responsables économiques et financiers américains qui se débattent contre le dernier avatar en date de Wall Street, soit l’éclatement de la bulle immobilière qui ravage le pays, récupèrent à leur avantage les bonnes vieilles recettes du keynésianisme. Pour autant, plein emploi et bonne répartition des richesses, bien que faisant partie intégrante de toute politique digne de Keynes, sont de facto complètement négligés.

C’est après la Seconde Guerre mondiale que les politiques gouvernementales, encore marquées à vif par la Grande Dépression, ont réglementé les marchés et adapté taux d’intérêts et allègements d’impôts afin de parvenir au rêve keynésien du plein emploi et du partage équitable des richesses par le biais d’une relance de la consommation. Après un keynésiannisme à dominante militaire caractéristique de la politique américaine des années 50 consistant à faire tourner l’industrie de l’armement à plein régime, l’ère Reagan persévérera dans cette récupération graduelle des théories de Keynes contribuant au passage à créer des déficits budgétaires ayant un effet néfaste sur le marché de l’emploi. De même, les mannes de Keynes seront invoquées par l’administration Bush pour contrer la récession de 2001 dans ce qui s’apparente plus à un pillage de l’Etat qu’à une série de stimuli fiscaux.

De fait, les mêmes outils keynésiens sont toujours appliqués aujourd’hui, la Réserve fédérale américaine ayant considérablement réduit ses taux en réponse à l’extrême fragilisation du secteur bancaire dans le but de stopper la saignée des actifs boursiers, de réduire les taux hypothécaires afin d’éviter les cessations de paiement de débiteurs en faillite tout en rendant le marché immobilier plus attractif et de stimuler l’économie en réduisant le coût des capitaux... Qui plus est, ces mesures - typiques - ont été adoptées en dépit d’un environnement inflationniste défavorable. Parallèlement, l’administration Bush a plaidé pour un stimulus fiscal en bonne et due forme comportant des mesures résolument républicaines favorisant les entrepreneurs et la classe la plus favorisée. Enfin, le Congrès à majorité démocrate a parachevé le tableau keynésien en adaptant de manière plus appropriée ce stimulus fiscal même si la version finale inclut certaines réductions d’impôt relativement inefficaces et tout compte fait assez onéreuses pour l’Etat. Il est certain que les autorités américaines ont bien réagi dans un contexte de dislocation de pans entiers de l’économie américaine. Cependant, une vraie politique keynésienne se préoccuperait également de tendre vers le plein emploi et vers une répartition motivante des richesses qui, de facto, sont les parents pauvres de cette politique. Les revenus des ménages aux Etats-Unis subissent une lente érosion depuis plusieurs années et la croissance de l’emploi n’y progresse pas au même rythme que la population. En réalité, le salaire de l’Américain moyen stagne en valeur absolue depuis trente ans et les ménages ne doivent l’augmentation de leur revenu qu’à l’allongement des heures de travail et à l’activité des deux conjoints.

En 1971, la répartie fameuse de Nixon "Nous sommes tous keynésiens maintenant" reconnaissait le bien-fondé de cette philosophie économique y compris pour des conservateurs farouches partisans, comme lui, des réductions d’impôts et de taux d’intérêts. Pourtant, les objectifs clairs de Keynes, plein emploi et partage de la prospérité, se sont toujours retrouvés dans les musées relégués aux rayons de la préhistoire. En effet, si les instruments d’une politique keynésienne sont toujours mis œuvre - et particulièrement en période de crise ou d’instabilité - , il semblerait que les objectifs ultimes de Keynes ne figurent plus au vocabulaire de nos dirigeants, et ce toutes tendances confondues...

Dès lors, pourquoi ne pas accompagner ces mesures keynésiennes de politique monétaire et de réductions d’impôts de mesures structurelles - tout aussi keynésiennes - d’indexation des salaires à la productivité, autorisant ainsi une croissance durable de la consommation ? Seul ce type de mesures structurelles, combinées à la réduction des déficits et à la réglementation de la concurrence internationale sauvage, amélioreront le pouvoir d’achat.


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