Passage au scanner de l’économie américaine

par Michel Santi
lundi 14 janvier 2008

Le ralentissement des activités industrielles et manufacturières aux Etats-Unis, l’augmentation du chômage et la crise du crédit qui y sévit durement augurent d’un assouplissement ininterrompu de la politique monétaire américaine. Toutefois, les pressions inflationnistes provoquées par la flambée des prix du pétrole et attestées par l’appréciation de l’or jusqu’à 900 dollars l’once vendredi dernier entament considérablement la marge de manœuvre de la Fed. Lors du précédent ralentissement économique en 2001, la banque centrale américaine avait eu les coudées franches dans sa politique agressive d’assouplissement monétaire, mais il semblerait bien que le contexte actuel soit radicalement différent.

Le marché et la Fed sont unanimes concernant la situation économique du pays telle que reflétée à travers les minutes de la réunion de la banque centrale de décembre dernier. Ces minutes évoquent le spectre de la récession et font état de baisses « substantielles » de taux si la spirale du crédit difficile devait persister. Néanmoins, les avis divergent concernant l’appréciation des perspectives inflationnistes car la Fed, plus pessimiste que les analystes sur ce point essentiel, estime la conjoncture actuelle nettement plus propice à l’accélération de l’inflation. Ce faisant, la Fed se résigne à accepter le glissement de l’économie du pays dans une récession car un tel contexte inflationniste nécessiterait soit moins de baisses de taux que prévu par le marché soit une remontée plus rapide de ces taux après une série de baisses. Pour mémoire, les analystes attendent une stabilisation des taux US de 4,25% aujourd’hui à 3% fin 2008. Il est vrai que la situation actuelle n’a rien de commun avec le dernier cycle de baisse de taux américains en 2001. A l’époque, M. Greenspan, alors président de la Fed, avait opéré des réductions massives des taux US de 6,5% à 1,75% à fin 2001 attestant qu’il craignait plus une baisse de la croissance qu’un regain des pressions inflationnistes. De fait, l’économie américaine a enduré une faible récession, principalement à cause des attaques terroristes de septembre 2001, avant de s’emballer à nouveau.

Les prix du pétrole restent le principal facteur inflationniste : ayant terminé l’année 2006 à 61 dollars le baril, le pétrole a atteint les 100 dollars il y a quelques jours induisant ainsi une inflation annuelle à 4,3% pour le mois de novembre dernier. Le contexte actuel est donc radicalement différent de 2001 où le prix du baril cotait 30 dollars avant de dégringoler suite aux attaques du 11 Septembre. Pour mémoire, le taux d’inflation annuel à fin 2001 s’établissait à 1,6%. Par ailleurs, la statistique inflationniste excluant alimentation et énergie scrutée attentivement par la Fed - car plus fiable et moins volatile - est également source d’inquiétude. Depuis avril 2004, cet indice se maintient en permanence et de manière troublante au-dessus du niveau des 2% représentant la fourchette supérieure admise par la Fed. De surcroît, l’augmentation des prix alimentaires, combinée à un taux de chômage en augmentation à 5%, se traduit par un ralentissement de la production industrielle, particulièrement dans le secteur déjà sinistré de l’automobile. Pour l’anecdote, un revendeur Rolls-Royce a été jusqu’à proposer à ses clients un financement sur 12 ans ! En permettant à l’inflation de se maintenir constamment au-dessus de sa fourchette de tolérance, la Fed encourage ainsi le consommateur à adopter un comportement anticipant toujours plus d’inflation et n’en aura que plus de mal à la ramener vers des niveaux acceptables. C’est cependant le boum des nouvelles technologies des années 2000 qui manque cruellement dans la conjoncture présente. En effet, lors de la précédente récession de 2001, ce boom avait permis un redémarrage économique par l’entremise de gains de productivité et sans pour autant pomper sur les capacités de production. Grâce aux nouvelles technologies, Greenspan réussissait à relancer la croissance tout en maintenant l’inflation sous contrôle.

Certains analystes chevronnés comme l’ancien secrétaire au Trésor, Summers, minimisent les craintes inflationnistes et exhortent la Fed à persévérer assidûment dans ses réductions de taux d’intérêts. En cas d’accroissement malencontreux de l’inflation, M. Summers suggère que la Fed procède alors à une réévaluation de sa politique monétaire dès lors que la crise du crédit aura été résorbée... Quant à l’économiste de Harvard Martin Feldstein, il appelle également à un assouplissement substantiel de la politique monétaire américaine arguant du fait que la Fed pourrait bien tolérer - voire provoquer - une croissance en berne si c’est le prix à payer pour ramener l’inflation à des niveaux tolérables. L’immense majorité des analystes réclame donc de la Réserve fédérale qu’elle modifie ses priorités pour mettre au premier plan la relance de la croissance au détriment de la lutte contre l’inflation !

Pourtant, si l’économie du pays devait redémarrer dans le contexte inflationniste que l’on connaît, l’environnement résultant ne pourrait que favoriser encore plus d’inflation avec un prix à payer trop coûteux pour la ramener vers des niveaux acceptables. De plus, l’actuel président de la Fed dont le mandat expire en 2010, M. Bernanke, se battra certes pour éviter une récession. Toutefois, il privilégiera à coup sûr une récession molle aujourd’hui à une escalade de l’inflation pouvant engendrer une récession forte demain !

Cette incertitude concernant la croissance et l’inflation, cette crise du crédit sont dores et déjà en train de se traduire par des modifications fondamentales dans le secteur financier. Pour le moment, l’harmonie semble parfaite entre les fonds souverains dont le souci est de rentabiliser leur trésorerie et la grande majorité des banques qui cherchent à attirer de nouveaux capitaux afin d’assainir leur bilan. Pour mémoire, comme le rappelle l’institut Moody’s, les pertes globales de l’immobilier américain qui se chiffrent à environ 2 500 milliards de dollars dépassent très nettement les capacités d’investissement de tous les fonds souverains à travers le monde. Toujours est-il qu’à ce jour, la conjonction de ces intérêts ayant permis des injections de liquidités importantes en direction d’établissements prestigieux comme l’UBS, le Groupe Citi ou Merill Lynch n’a soulevé aucune protestation de politiques. Néanmoins, les réflexes protectionnistes vont commencer à réapparaître dans ce qui semble être la plus grosse opération de participation et de prise de contrôle de banques majeures par des intérêts étrangers. De plus, alors que les Etats-Unis se préparent à élire leur prochain président, les candidats remettent déjà en question la position traditionnelle du pays favorable à la dérégulation des flux de capitaux et du commerce international. Ainsi, les accords de Doha prônant la libre circulation des biens et des marchandises, seront probablement jetés aux oubliettes et les USA adopteront vraisemblablement dans un avenir proche des mesures protectionnistes dont le but principal sera de freiner les prises de participation de fonds souverains peu transparents. L’autre objectif de ces mesures protectionnistes sera de freiner l’afflux de travailleurs étrangers. On peut donc prévoir sans risquer de trop se tromper un cycle de mesures protectionnistes aux Etats-Unis imposé par la conjoncture économique et financière globale.

L’administration américaine actuelle se prépare, elle, à adopter une série de mesures fiscales afin de stimuler l’économie. Dans une conjoncture où le marché anticipe une série de baisses de taux, les interrogations sont nombreuses quant à l’opportunité d’accompagner ces baisses par des stimuli macro-économiques. En effet, la relance peut-elle venir d’un assouplissement de la politique monétaire ou peut-elle être la résultante d’une politique fiscale plus favorable ? La réponse semble complexe et délicate même s’il semble préférable d’adopter une approche diversifiée. Il devient en effet de plus en plus difficile d’évaluer de manière précise l’impact d’une politique monétaire mais il est encore plus compliqué de prévoir les résultats d’une politique mixte monétaire et fiscale. D’une part, il semble évident qu’un paquet fiscal sera favorablement ressenti par le consommateur alors que, d’autre part, c’est les institutions financières et commerciales qui seront favorisées par des baisses de taux d’intérêts. De plus, l’usage de mesures fiscales évite une baisse substantielle des taux d’intérêts avec pour conséquences directes une pression moindre sur le billet vert, un risque inflationniste moins accentué et des risques d’instabilités internationales décroissants. Enfin, l’introduction de mesures fiscales agit comme régulateur face aux bulles engendrées par des taux d’intérêts très bas.

Au-delà de ces considérations techniques, l’objectif de l’administration US doit être la relance de la consommation qui seule permettra d’éviter une augmentation du chômage et un effondrement du marché immobilier. Il est un fait que la capacité d’endettement des Américains a très nettement stimulé la consommation américaine qui a représenté un facteur déterminant de stabilisation de l’économie ces dernières années et qui a même joué un rôle de locomotive dans la croissance économique. Cependant, dans la conjoncture actuelle de frilosité extrême des institutions de crédits, l’enthousiasme des consommateurs américains est remis en question et un assouplissement de la politique monétaire - même conséquent - n’apportera pas la solution voulue. Les Etats-Unis doivent absolument éviter de s’enliser à la manière du Japon des années 90. N’ayant pu agir à l’époque de manière décisive face au ralentissement causé par l’éclatement d’une série de bulles financière, le Japon s’était alors enfoncé dans un cycle infernal de récessions économiques et de problème du crédit. Et pour cause, il avait négligé de privilégier la consommation qui reste le facteur de relance essentiel face à toute crise financière ou économique. Dans la crise que traverse actuellement les Etats-Unis, des mesures fiscales appropriées seront une assurance précieuse et un encouragement à la consommation et ce à un moment où le consommateur américain se fait de plus en plus prudent et dans un contexte où des pressions protectionnistes américaines pourraient mettre l’économie mondiale en danger.

Cependant, un stimilus fiscal peu généreux pourrait également avoir des effets contraires. De plus, le timing de ce stimilus qui doit consister en une série de subventions et de réductions d’impôts, se doit d’être choisi judicieusement. Par ailleurs, ces mesures fiscales n’auront les effets escomptés que si elles sont bien ciblées en direction des bas revenus et des revenus des consommateurs sinistrés par la crise immobilière. L’économie ne pourra redémarrer que dès lors que ceux qui ont le plus besoin de s’endetter et de consommer seront satisfaits... Enfin, ces mesures fiscales devront obligatoirement être provisoires afin d’éviter un accroissement des déficits au-delà d’une année après leur application. Il serait en effet contre-productif de devoir procéder à une réévaluation des taux d’intérêts à long terme pour résorber les déficits car une telle appréciation des taux longs saperait la croissance à long terme et entamerait la confiance internationale. Il s’avère donc nécessaire que ce paquet fiscal se monte à environ 75 milliards de dollars afin d’induire une hausse d’environ 1% du Produit Intérieur Brut. Qui plus est, ce paquet fiscal permettra d’éviter un assouplissement exagéré de la politique monétaire et n’infligera pas trop de dégâts si l’économie américaine repartait plus fort que prévu car le resserrement des taux subséquent n’en sera que moins spectaculaire.

Les Etats-Unis restent le moteur principal de la croissance globale et l’avenir de l’économie mondiale en 2008 dépend très largement de leur aptitude à gérer la crise actuelle. La crise financière du crédit, les pressions inflationnistes et la dégringolade du dollar sont trois données fondamentales à observer de très près car si les USA échouent dans le règlement d’un seul de ces trois problèmes, le monde s’enfoncera dans une dépression généralisée.


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