Petit manuel de la finance moderne à l’usage des médiocres et des malcomprenants (dont je fais partie)

par wesson
mercredi 4 mars 2009

En mauvais jargon financier, un CDS ou un CDO, c’est en fait un contrat d’assurance un peu particulier. Mais pour moi qui ne parle pas le trader couramment, je dirai plutôt que c’est un pari, dans le sens le plus pur du jeu de casino. Et voici comment ça se passe.

Grace au valeureux travail de nos médias, tout le monde sait que la crise dans laquelle nous nous trouvons a pour déclencheur les subprimes, ces prêts hypothécaires consentis à des ménages qui ne pouvaient pas les rembourser. Mais hélas, nos experts économistes des plateaux télés sont restés très discrets sur les mécanismes légalement mis en place depuis quelques années et qui nous ont amené là. En me penchant sur ces questions, j’ai découvert dans ce monde de la finance un hallucinant bestiaire des produits dérivés, dont les effets dévastateurs risquent de faire passer les subprimes pour une légère brise. Je parlerai dans cet article des CDS (Collateralized Default Swaps) et des CDO (Collateralized Debt Obligations). La popularité de ces choses, quoique encore faible, risque de croître fortement bientôt, car potentiellement il y a là de quoi vaporiser les actifs de toutes les grandes compagnies qui ont joué à ça.
 
Pour comprendre cela, il convient de prendre un exemple simple. Votre voisin possède une voiture qu’il assure. Le weekend prochain, son fils qui vient juste d’avoir le permis a décidé d’aller fêter ça au bar. Imaginez maintenant que vous aussi, vous puissiez prendre une assurance sur cette voiture, que vous ne possédez pas et vous ne conduisez pas. Si le fils de votre voisin se casse la pipe, vous toucherez alors le montant de la prime d’assurance. Imaginez maintenant que, par l’intermédiaire d’un mécanisme financier appelé Swap, vous pouviez acheter autant de polices d’assurances sur la voiture de votre voisin que vous pouvez vous en offrir. Je viens de vous présenter ce qu’est un CDS.

Lorsque la voiture du voisin se crashera, si elle se crashe, c’est le pactole ! Plus vous aurez souscrit de CDS sur cette voiture, plus vous toucherez, à comparer à ce que votre voisin recevra de l’assurance normale - tout juste la valeur de l’argus. On comprend là très bien l’un des problèmes principaux des CDS - leur valeur est sans aucune commune mesure avec la valeur réelle du bien auquel ils sont adossés. C’est bien là le seul but du CDS : un objet financier destiné à la seule spéculation.

Mais il y a pire. Dans l’exemple, le CDS est adossé à une valeur réelle, en l’occurence une voiture, même si cette valeur ne représente qu’une infime fraction des engagements souscrits. Dans la sphère financière, il est possible de faire un tel contrat basé sur aucune valeur réelle ou tangible. On peut par exemple parier sur le temps qu’il fera dans 15 jours, et y associer la valeur que l’on souhaite. On peut même s’assurer contre le défaut de paiement de la dette d’une personne que l’on ne connait pas, si il ou elle ne peut plus payer, alors c’est jackpot !
Et c’est ce type de titre financier, basé sur un seul pari que l’on appelle CDO (Collateralized Debts Obligation).

Et c’est à partir de maintenant que l’on va tomber dans l’horreur. Depuis quelques années, tout ce qui a constitué une dette a pu se retrouver titrisé dans ce type de montage. Prêts faits à des entreprises, prêts immobiliers, prêts estudiantins, prêts à la consommation, prêts pour l’achat de voiture, etc etc, la liste ne s’arrête pas là : tous ces prêts ont pu se retrouver découpés, tronçonnés pour être financiarisés, à hauteur de plusieurs fois le montant du prêt initial. A terme, tous allaient s’y retrouver.



Là, on commence à bien comprendre qu’il s’agit en fait d’une économie fictive tellement vaste qu’elle a dépassé depuis bien longtemps l’économie réelle sur laquelle elle pèse de tout son poids. Et cette construction a été faite dans un but de discrétion. Il existe encore bien d’autres types de titres financier, dont le seul propos semble être de rajouter une couche d’obscurité supplémentaire à tout ce montage. Les CDS et les CDO sont souvent issus de contrats de gré à gré de droit privé, dont il n’existe aucune trace publiée en dehors des contractants. Il n’existe aucune règle ni obligation d’information, ce qui fait que lorsque ces produits arrivent sur le marché, rien ne permet à l’acheteur de savoir à qui ni à quoi ils sont adossés. Tout juste apparaissent-ils dans les livres de compte comme étant des "véhicules d’investissements structurés"

Cette construction volontairement opaque et destinée uniquement à la spéculation financière fait qu’il est à peu près impossible d’en estimer le montant. La banque pour les réglements internationaux (www.bis.org) s’est livrée à une estimation qui vaut ce qu’elle vaut, mais qui a le mérite d’exister. Les engagements pris seraient de l’ordre de 1.4 Quadrillions, (1,4 millions de milliards de $), soit plus d’argent qu’il n’en existe dans le monde, du moins celui avant que Ben Bernanke ne décide de refaire chauffer la planche à billets.

De retour à notre exemple, les spéculateurs n’avaient pas besoin d’attendre que la voiture du voisin se retrouve détruite pour faire de l’argent avec ces CDS. Si par exemple le voisin se fait flasher en excès de vitesse. Le fait de recevoir une amende augmentant le risque que le voisin casse sa voiture, la réalisation du CDS n’en est que plus probable, ce qui en augmente sa valeur. Et donc, sa revente peut vous occasionner une belle plus value !

Et c’est bien un des aspects les plus vicieux des CDS /CDO - en affaiblissant ce à quoi ils sont adossés, on augmente la probabilité d’une défaillance, donc de gains. Il s’agit clairement d’une spéculation à la baisse, ou le spéculateur a un intérêt objectif à affaiblir qui une société, lorsqu’il s’agit d’un crédit adossé à une entreprise, qui un état, lorsqu’il s’agit d’un pari sur le cours d’une monnaie. C’est donc l’outil financier parfait pour amasser des fortunes à l’aide de rumeurs ou de manipulations. Et ce n’est pas le moindre des problèmes : ces titres fonctionnent comme des prophéties auto-réalisatrices sur ce à quoi ils sont adossés.

Et pour finir ce tableau bien noir, ces titres sont des "assurances", ce qui veut dire que lorsque la condition de paiement est atteinte, l’assureur doit payer. Et, compte tenu des quantités mises en jeu, ça volatilise tout simplement toutes les provisions des banques et compagnies d’assurances qui ont eu l’imprudence de jouer à ce jeu qui en demande toujours plus.

Et aujourd’hui nous en sommes là : une montagne de titres dont la réalisation est déclenchée par des faillites, des défauts de paiements, des dettes irremboursables, et dont le montant dépasse de très loin tout l’argent disponible sur terre. Et c’est celà que les médias nous vendent depuis maintenant 30 ans comme le meilleur système de société.
La solution évidente consisterait à ce que les gouvernements décident d’annuler tout simplement ces paris fous qui n’auraient jamais dû être faits, ce qui aurait pour effet, en plus de laisser le fondement très douloureux à une certaine catégorie de spéculateurs, d’arrêter quasi-instantanément la crise.

Et si on disait chiche !
 
Référence :
* "Exclusive : Derivatives for Dummies by The Other" par Katherine Harris

* Banque des réglements internationaux (BRI)

* Illustration : Couverture du livre "l’économie pour les nuls"


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