PIB : un objet comptable non identifié (suite)

par Roland Verhille
jeudi 14 février 2008

Le PIB s’est invité dans notre quotidien. Il est mystérieux. Il est sans cesse invoqué à l’appui d’affirmations contradictoires. Démasquons le en un premier article ; il sera passé au scanner dans l’article qui suivra. Ainsi, le peuple sera en mesure de ne plus s’en laisser conter.

B. Deuxième partie : Radiographie du PIB

En première partie a été examinée la structure du PIB présenté par l’Insee pour la France de l’année 2006. En cette deuxième partie, examinons l’adéquation du calcul de PIB à sa raison d’être. Pour éviter d’obscures discussions, il faut d’abord passer par une courte réflexion (a), peut-être un peu abstraite, avant de se lancer dans le diagnostic du calcul du PIB de 2006 (b). Le lecteur peut passer directement au diagnostic, quitte à revenir à cette réflexion s’il en éprouve la nécessité. Les comptes redressés du Produit intérieur sont présentés en c) à e). Toute discussion relative à l’économie dans son ensemble serait oiseuse faute d’avoir considéré les explications ici fournies.

a) Le PIB, comptage de quoi ?

Le PIB est exprimé au moyen d’un nombre qui compte quelque chose. C’est cette chose qui dit comment la compter. Elle est le moyen choisi d’observer le résultat obtenu par l’activité économique des résidents d’un pays. C’est exclusivement celle de produire les biens et les services jugés par eux capables de satisfaire leur désir d’améliorer leurs conditions matérielles d’existence. De nos jours, cette activité se déploie dans un système socialisé d’échanges à titre onéreux, l’économie de marché. Cette observation du marché vise à en comprendre le fonctionnement, et à repérer la source de ses dysfonctionnements éventuels. De plus, dans les pays développés les états en font le principal compteur de leur tableau de bord du pilotage de l’économie.

Ces échanges sur le marché consistent à fournir une chose à autrui contre remise par lui d’une certaine quantité de monnaie, dite en être le prix. Ainsi donc, le comptage peut soit porter sur les choses, soit sur la monnaie. Rappelons que la monnaie est l’instrument des échanges. C’est le moyen de se séparer d’un bien dont on n’a plus le besoin sans avoir ni à choisir ni à accepter dès le moment de l’échange un bien de remplacement (contrairement au troc). Seul Harpagon ne désirait la monnaie que pour elle-même. Les gens normaux ne s’y intéressent que comme moyen d’obtenir par échange d’autres biens. Pour eux, la monnaie est leur réserve de pouvoir d’achat.

Compter les choses produites elles-mêmes présente une difficulté insurmontable. Il n’existe pas d’instrument de commune mesure d’un tel nombre de choses tellement disparates. Mais puisque les agents économiques les échangent entre eux contre leur équivalent en monnaie, voici trouvée leur commune mesure : leur équivalent en monnaie. Hélas, les choses passent les frontières des zones monétaires, et dans ce cas l’échange d’une chose s’opère contre une monnaie qu’il faut elle-même changer contre une autre monnaie. Ces échanges de monnaie s’opèrent sur le marché des changes. Le taux de change mesure le rapport d’échange d’une monnaie contre une autre. Et ces taux de change ont leur vie propre. Ils sont même particulièrement volatiles, ce qui les rend impropres à constituer l’instrument de mesure des choses. Les statisticiens substituent donc aux taux de change du marché des taux de change calculés dits « en parité de pouvoir d’achat ». Leur calcul est éminemment obscur, leur exactitude est en pratique invérifiable. C’est pourtant le seul moyen d’opérer les comparaisons internationales.

Même au sein d’une même zone monétaire, compter les choses indirectement en comptant la monnaie contre lesquelles elles ont été échangées est faussé ; car le rapport entre la monnaie et les choses varie d’une année à l’autre (phénomène de dépréciation de la monnaie). Pour surmonter cet obstacle, les statisticiens calculent une « production en volume ». Pour ce faire, ils entrent dans un obscur processus de conversion des choses de l’année aux prix de l’année antérieure.

Il est étonnant que les statisticiens se soient obstinés à vouloir compter artificiellement les choses, alors que compter la monnaie contre lesquelles elles ont été échangées est bien plus naturel. Le fait observable et quantifiable est seulement la monnaie intervenue dans les échanges. En économie de marché, la monnaie est comme le sang dans le corps humain. Elle irrigue et nourrit toute l’économie. Et de même que la médecine arrive à opérer un diagnostic de santé très fourni au travers de ses analyses du sang, de même le diagnostic de santé d’une économie s’opère sans trop de détours au travers de l’analyse des échanges observés sous leur aspect monétaire. La conversion de la monnaie d’une année en celle d’une autre année au moyen des coefficients égalisant leur pouvoir d’achat semble plus directe et plus claire que le processus de calcul de la production en volume. C’est ce que nous faisons dans nos travaux personnels, au moyen des taux de conversion publiés par l’Insee.

b) Les erreurs d’addition du calcul du PIB.

1°. PIB et PIN, le brut et le net.

Le qualificatif « brut » du PIB signifie que n’est pas déduite la « consommation de capital fixe ». Elle n’est déduite ni de la formation de capital fixe, ni de l’excédent brut d’exploitation. Le qualificatif « net » signifie que la consommation de capital fixe est déduite.

Secteurs institutionnels, PIB 2006, milliards € Déduction consommation capital fixe

Totaux

Sociétés non financières

Sociétés financières

Administrations publiques

Ménages

Institutions sans but lucratif

Reste du monde

N° de compte INSEE

S11

S12

S13

S14

S15

S2

Form. brute cap. fixe

366

175

13

60

116

2

Consom. capital fixe

-237

-136

-10

-45

-44

-1

Form. Nette capital fixe

129

39

3

15

71

1

0

Excédent brut d’exploit.

617

275

25

45

271

1

0

Consom. capital fixe

-237

-136

-10

-45

-44

-1

Excédent net d’exploit.

380

138

15

0

227

0

0

PIB

1 792

863

71

529

315

18

-5

Consom. capital fixe

-237

-136

-10

-45

-44

-1

Produit Intérieur Net

1 555

727

61

484

270

17

-5

Cette consommation de capital fixe, c’est le coût de production afférent à l’utilisation du capital fixe (les investissements productifs). Ce coût n’est pas très différent de celui des « consommations intermédiaires » (matières premières, matières consommables, services extérieurs, etc.) déduites de la production brute dans le calcul de la valeur ajoutée, la vraie production de l’unité de production. La seule différence réside dans le fait que les consommations intermédiaires sont celles d’objets intégralement consommés au cours de la période de production, alors que la consommation de capital fixe est celle d’objets dont la consommation est seulement partielle au cours de la période de production ; elle est graduelle tout au long de la durée de vie de l’investissement avant usure complète ou mise au rebut.

L’omission de cette déduction mène à un double emploi dans le calcul du produit de l’activité économique. Les unités de production (entreprises et administrations) incorporent dans le prix de leurs produits, ou leur coût pour les administrations, tous leurs coûts, y compris ceux du capital fixe (sous la dénomination d’amortissement). Ajouter donc à ces produits contenant le coût du capital fixe consommé la formation brute de capital fixe, c’est compter deux fois ce capital fixe à concurrence de sa consommation omise.

2°. La production en prix de marché ou en coût des facteurs de production.

Le PIB est calculé en faisant la somme de tous les biens et services produits mesurés à leur prix de marché. Ce prix contient tous les impôts indirects payés par les producteurs, qui doivent bien, par nécessité vitale, en récupérer le montant auprès des acquéreurs de leurs produits (Taxe professionnelle, Taxe sur les produits pétroliers, TVA et une multitude d’autres impôts ou taxes). Ceux qui achètent ces produits et services ainsi grevés d’impôts paient en réalité deux choses distinctes : d’une part le produit ou le service lui-même, et d’autre part des impôts récupérés par le producteur qui les a payés à l’état.

Secteurs institutionnels acquéreurs, PIB 2006, milliards € BS acquis

Totaux

Sociétés non financières

Sociétés financières

Administrations publiques

Ménages

Institutions sans but lucratif

Reste du monde

N° de compte INSEE

S11

S12

S13

S14

S15

S2

Impôts s/BS acquis

281

18

1

57

202

5

-3

Subventions s/BS acquis

-36

-5

0

-7

-24

-1

1

Capital fixe consommé

213

126

9

38

39

1

BS acquis hors taxes

1 335

46

3

262

1 027

21

-24

BS TTC (PIB)

1 792

186

13

350

1 242

26

-26

Les impôts payés indirectement à l’état par l’acheteur des produits le sont par prélèvement sur les revenus primaires, directement ou indirectement. Et ces revenus primaires, y compris leur part dépensée en payant les impôts indirects travestis dans le prix des produits achetés, sont un élément du coût de production des produits et services, et donc de leur prix de marché. Ces coûts de production sont appelés « coût des facteurs ». Y ajouter les impôts sur la production net des subventions, c’est commettre un double emploi.

La question étant vue sous l’angle des revenus, il est quand même des plus curieux de porter ces impôts indirects dans la catégorie des revenus des administrations publiques obtenus en contrepartie d’une prétendue participation active à l’acte de production, au lieu de les porter dans la catégorie des prélèvements obligatoires directs ou indirects sur les revenus rémunérant une participation active à l’acte de production.

3°. Les coûts de fonctionnement des services publics (350 brut TTC au tableau des BS HT acquis).

Les coûts de fonctionnement des administrations publiques sont ici toutes leurs dépenses hors celles consistant à transférer directement des revenus d’un secteur institutionnel à l’autre (prestations sociales, etc.). Ces coûts de fonctionnements sont payés par les administrations publiques au moyen des recettes issues des prélèvements obligatoires et de celles issues des emprunts couvrant les déficits publics. Ils sont payés aux agents de l’état à titre de rémunération de leur travail, aux prêteurs souscrivant aux emprunts publics, et aux fournisseurs de biens et services. Les dépenses publiques financées par des prélèvements obligatoires sont ainsi réinjectées directement et indirectement (cas des achats de biens et services) dans les revenus des agents de l’économie. Elles constituent un transfert indirect de revenus, un prélèvement sur certains revenus redistribués aux uns et aux autres. Malgré leur nature de transfert, elles sont intégrées au calcul du PIB en les ajoutant aux biens et services acquis par les autres secteurs institutionnels.

Les prélèvements obligatoires fournissant le nécessaire pour payer ces dépenses publiques ont leur source, directe ou indirecte, dans les revenus primaires qui les contiennent. Ces revenus sont constitutifs des coûts de production des biens et services acquis par les autres secteurs institutionnels. En ajoutant aux biens et services acquis par les autres secteurs institutionnels ceux produits par les administrations publiques, à nouveau le calcul du PIB commet un double emploi.

Le montant du double emploi doit toutefois être calculé en corrigeant le montant des biens et services acquis par les administrations publiques. Ce calcul opère une nouvelle curieuse cabriole : celle exécutée à propos des « Prestations sociales en nature » (remboursements de soins ou de médicaments, etc.). Ces prestations (160 milliards € TTC, 134 milliards € HT) sont classées non pas en biens et services acquis par les ménages, mais en biens et services acquis par les administrations publiques puis fournis par elles gratuitement aux ménages. Et ces services fournis sont traités comme produits par les administrations publiques et consommés par elles-mêmes (oui, oui), sans être classés parmi les prestations sociales. Cette gymnastique comptable ne fausse pas le calcul du PIB, puisqu’elle consiste à minorer les services acquis par les ménages en les affectant aux services acquis par les administrations publiques. Nos rectifications du calcul du produit intérieur remettent ces biens acquis à leur place, celle des biens et services acquis par les ménages ; et les remboursements opérés à leur bénéfice par les administrations publiques dans la catégorie des prestations sociales

4°. Radiographie du PIB

Les doubles emplois discutés plus avant sont réunis dans le tableau précédent. Le produit intérieur corrigé de ces doubles emplois apparaît en ligne « BS acquis hors taxes » dont le total est de 1 335, duquel doit être déduit le montant de 262 porté en colonne « Administrations publiques », soit un montant de 1073.

c) Le produit intérieur corrigé

Les doubles emplois dans le calcul du PIB surévaluent la production intérieure réelle de 67%.

Corrections du PIB

2006

%

PIB

1 792

167%

Consom. Cap. fix HT ex APU

-175

-16%

Impôts s/production

-281

-26%

Subventions s/ produits

36

3%

BS Administ. Publiques

-300

-28%

Produit Intérieur corrigé

1 073

100%

Ces doubles emplois dans le système normalisé de comptabilité nationale ne sont de même proportion ni d’un pays à l’autre, ni d’une année à l’autre pour le même pays. Toutes le comparaisons internationales, comme tous les calculs d’évolution et de croissance du PIB d’un pays déterminé sont viciés. Et la plupart des données présentées en proportion du PIB ne reflètent pas les réalités, celles se référant à la valeur ajoutée également mais dans une moindre mesure.

d) Résumé des comptes de la nation corrigés.

Voici les comptes redressés des revenus de 2006

Secteurs institutionnels, PIB 2006, milliards € Revenus corrigés

Totaux

Non affecté

Sociétés non financières

Sociétés financières

Administrations publiques

Ménages

Institutions sans but lucratif

Reste du monde

N° de compte INSEE

S***

S11

S12

S13

S14

S15

S2

Rémunération des salariés

931

940

-9

Excédent Net d’exploit.

442

148

16

45

233

0

Coûts services publics

-300

-300

Revenus primaires

1 073

-300

148

16

45

1 173

0

-9

Revenus de la propriété

0

-106

19

-34

122

1

0

Rev. de transfert direct

-1

-20

-26

-526

532

25

15

Prélèvements obligatoires

1

-49

13

769

-735

-5

8

Revenus disponibles

1 073

-300

-27

21

254

1 091

22

13

Et voici les comptes redressés de l’emploi de ces revenus :

Secteurs institutionnels, PIB 2006, milliards € Emploi des revenus

Totaux

Sociétés non financières

Sociétés financières

Administrations publiques

Ménages

Institutions sans but lucratif

Reste du monde

N° de compte INSEE

S11

S12

S13

S14

S15

S2

Biens et services acquis

1 073

46

3

1 027

21

-24

Epagne (emprunts)

0

-73

18

-46

63

1

38

Totaux secteurs

1 073

-27

21

-46

1 090

22

14

Conclusion.

Les comptabilités nationales tenues à jour selon un système normalisé au plan international sont l’une des grandes conquêtes de l’humanité du dernier demi-siècle. Elles sont le seul moyen de comprendre concrètement le fonctionnement de nos économies, et d’apprécier la pertinence des politiques économiques et monétaires mises en œuvre par les pouvoirs publics. Ces derniers y trouvent leurs principaux instruments de pilotage de l’économie dans laquelle ils interviennent. Hélas, les erreurs de calcul, irréfutables puisque commises par double emploi de données, faussent considérablement ces instruments de bord. Est-ce l’explication des résultats absurdes des politiques économiques et monétaires ?

Roland Verhille, 16/02/2008


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