Plongée au cœur du pouvoir en temps de crise
par Danjou
mercredi 22 octobre 2008
Avec une rare efficacité les énergies se sont mobilisées pour sauver le système financier globalisé. Peu importe comment s’appelle le sauveur, Paulson, Brown ou Sarkozy, car le cataclysme annoncé excluait tout autre solution que de faire fonctionner 24 heures sur 24 la fabrique à monnaie pour reconstitution, en urgence, des stocks de matière première.
Ces dignes successeurs des créateurs de l’usine à gaz universelle s’érigent désormais en sauveurs de l’humanité ! Force est de constater que ces hommes providentiels, en termes de grandiloquence et de dramatisation, frisent la perfection. Passés maîtres dans l’art de s’exonérer, ils réussissent même le tour de force de se faire passer pour des héros. Les plus véhéments s’affichent aussi en vengeurs révolutionnaires exhortant le système (ça ne peut pas être la justice puisque tout était légal même les 600 millions de l’Ecureuil !) à châtier impitoyablement les coupables. Privés de stock-options ou de parachute doré ! L’impitoyable sentence peut parfois générer d’insupportables douleurs et certaines sanctions sont à la limite de l’humanité. Il paraît que les CDS et les Hedge Funds pourraient, sous peu, agrémenter notre ordinaire et que nos preux chevaliers devraient avoir encore quelques occasions de "faire suer le burnous" !
C’est donc tout auréolés de gloire que nos sympathiques justiciers vont à présent se coltiner à deux sérieux chantiers : le rafistolage de la finance mondiale tout en se gardant bien de toucher "au système qui a permis à l’humanité de prospérer comme jamais" et à une toute autre réalité, l’économie réelle, les émanations toxiques de l’usine à gaz universelle l’atteignant à présent de plein fouet. L’automne, saison des "feuilles mortes que l’on ramasse à la pelle" n’épargnera pas notre valeureux PIB (désormais Produit inférieur brut). Ni celui de nos proches ou lointains voisins.
Concernant le rafistolage de la finance mondiale, le sujet visiblement requérant de très "hautes compétences" et de la virtuosité, je ne prendrai pas le risque de m’y aventurer. Ça ne consisterait de toute façon, au mieux, qu’à du bavardage, de banales formulations de pseudo-évidences qui mettraient en exergue mon inculture crasse et ma nullité en "sciences économiques" : interdiction des paradis fiscaux, fiscalité coordonnée entre les pays (au moins européens) afin d’éviter le dumping, taux de changes fixes afin de supprimer tout risque de spéculation sur les monnaies, crédit à taux zéro pour les emprunts d’Etat, crédits à taux variables selon leur utilisation (spéculation ou investissement), matières premières déconnectées des marchés boursiers spéculatifs, transparence bancaire intégrale. Avec un tel catalogue je risque à coup sûr de me faire tacler méchamment et d’y perdre définitivement ma réputation. Me retrouver chez Edvige dans la case "dangereux réactionnaire" ne m’enthousiasme guère (cf. les aventures d’Olivier Besancenot). Et puis, faudrait quand même pas chercher à ôter le pain de la bouche à la main-d’œuvre spécialisée !
Concentration donc sur ce qui ne nécessite, a priori, qu’un peu de bon sens : l’économie réelle représentée par la crème des indices, le PIB. Ça c’est du basique bien plus accessible et la grande majorité a désormais compris que de sa bonne santé dépendait notre sérénité. Malheureusement il va se ramasser. Les seules informations manquantes concernent la durée et l’intensité de la douloureuse gamelle. Mais on peut déjà dire que nous allons morfler. Ça c’est du concret ! Le péril étant à notre porte, il s’avère donc urgent de relancer la machine, notamment la consommation, principal vecteur de croissance de notre économie. Sauf que, petit détail, le problème n’est pas la consommation qui ne constitue qu’un ricochet. Le vrai problème c’est le pouvoir d’achat. Apparemment nos "têtes pensantes" n’ont pas l’air informé que les salaires compressés depuis des années, le travail tellement précaire et tellement temporaire, font que les gens n’ont tout simplement plus la tête à dépenser. Doux euphémismes !
Refusant de voir mon pays plonger dans une terrible récession (je me refuse à siffler La Marseillaise) je concoctais donc un plan ambitieux de sept propositions - mes capacités sont en réalité fort limitées - et m’empressait de prendre rendez-vous auprès du ministre compétent chargé du ministère des Affaires courantes. Je vous livre donc en exclusivité le compte-rendu de mon bref entretien avec Madame la ministre : "ma plongée au cœur du pouvoir par temps de crise".
Madame la ministre : D’accord, on est bien obligé d’admettre l’évidence, les gens ne peuvent consommer que selon l’épaisseur de leur porte-monnaie. Regonflons leur porte-monnaie, c’est notre devise !
Moi, en off : Brillantissime... enfin un ministre éclairé.
Moi : 1re proposition, augmenter les salaires.
Madame la ministre, lucide et responsable : Ça, ce n’est pas possible. Déjà que nos entreprises ne sont plus compétitives et souffrent de la concurrence exacerbée des pays du Sud et de l’Europe de l’Est, il serait criminel de leur imposer un nouveau fardeau. Ni plus ni moins qu’une nouvelle incitation à délocaliser. Pour les fonctionnaires, le déficit chronique et le niveau d’endettement de l’Etat ne nous autorisent aucune générosité. Sauf pour l’Elysée. Et puis, ils sont déjà grassement payés et les effectifs sont pléthoriques.
Moi : 2e proposition, alléger les impôts.
Madame la ministre, déterminée : Ça, ce n’est plus possible. D’abord on l’a déjà fait pour les plus riches. Quant aux plus défavorisés, eux, ils ne payent pas d’impôts. Sauf la TVA, les impôts locaux, les taxes sur l’essence, la redevance TV, un modeste total de 135 taxes diverses et variées, mais ça on ne peut pas y toucher. Les caisses ont vides ! On ne peut tout de même pas limiter le montant des impôts et des taxes à 50 % du revenu pour tout le monde.
Moi : 3e proposition, alléger les charges sociales, augmenter les allocs.
Madame la ministre, mauvaise langue : Vous voulez rigoler ! Avec les 35 heures, les socialos ont déjà plombé les comptes pour l’éternité ! "La Aubry", elle a merdé grave...
Moi : 4e proposition, travailler plus pour gagner plus, bref les 40 heures pour tout le monde.
Madame la ministre, dubitative : Ça on l’a déjà testé. Trop alambiqué. Pour travailler plus, il faut d’abord que les gens dépensent plus. Et pour dépenser plus il faut d’abord que les gens travaillent plus. Même Alain Minc ne sait pas par quel bout commencer ! C’est vous dire...
Moi : 5e proposition, le crédit débridé.
Madame la ministre, pétrifiée : Houlà... ça comporte des risques. On a fait un marché test aux Etats-Unis et ça ne nous a pas emballé. Ça a même déclenché un sacré merdier ! Et l’inflation, qu’est-ce que vous faites de l’inflation ? J’en connais un à Francfort qui pourrait gigoter.
Moi : 6e proposition, taxer les riches et redistribuer aux pauvres.
Madame la ministre, scandalisée : Ça, ce n’est pas possible car ils vont tous se barrer à Monaco. La France doit montrer que, ses riches, elle les aime. D’ailleurs en ce moment il faut plutôt les réconforter.
Moi : 7e proposition, faire baisser tous les prix de 10 %.
Madame la ministre, ironique : Bien sûr, pour faire fonctionner nuit et jour le business chinois en exclusivité ! La mondialisation, cher Monsieur, nécessite un minimum de réflexion préalable, un minimum d’anticipation.
Moi, à bout d’arguments : Interdire les licenciements (non prévu dans mon plan initial).
Madame la ministre, exaspérée : Là, mon ami vous délirez ! Vous oubliez les actionnaires qui, à moins de 15 % de rentabilité, ne sont pas motivés. Si les entreprises ne peuvent plus dégraisser tranquillement, comment vont-ils faire pour se rémunérer correctement ? Les règles doivent rester souples.
C’était donc sans compter que mes différents scenari se heurteraient à des problèmes insurmontables de faisabilité. A quelques difficultés conjoncturelles ou structurelles absolument incontestables pour lesquelles le bon sens, hélas, ne peut rien.
Dernière question Madame la ministre : Puisque visiblement mes propositions ne sont guère pertinentes, quel serait donc votre plan ?
Madame la ministre, toute émoustillée : J’attendais avec impatience votre question. Eh bien, nous avons décidé de créer une commission de réflexion et, là, je vais vous épater. (Moi étonné). Si, si. Nous avons en effet obtenu le concours des plus hautes sommités en la matière spécialisés : Alan Greenspan, Charles Milhaud, Richard S. Fuld Jr ex-président de Lehman Brothers et bien d’autres encore. Que d’authentiques pointures. Avouez que c’est quand même autre chose que vos propositions iconoclastes !
Effectivement je n’y avais pas pensé. Peut-être que je n’aurais même pas osé !
Aujourd’hui, en écrivant ces lignes avec tout le recul nécessaire, tout ce que je peux vous dire c’est qu’un gouvernement en temps de crise, ça phosphore vachement. Au moins, si nous sombrons nous ne pourrons jamais leur en attribuer la responsabilité. Ça ne serait en effet que pure cruauté.