Pour la parité au sommet de l’entreprise

par Annie Batlle
vendredi 5 mai 2006

Le Conseil constitutionnel a censuré le 16 mars dernier, dans une indifférence quasi générale, un amendement de la loi sur l’égalité salariale adoptée par le Parlement le 23 février 2006. Celle-ci imposait prudemment aux entreprises « une proportion maximale de 80% d’administrateurs du même sexe. »

En clair, puisque la proportion actuelle des femmes dans les conseils d’administration des entreprises du CAC 40 n’est que de 6,5%, il s’agissait de la porter à 20% au minimum. Les rares commentateurs à s’en être fait l’écho expliquaient tranquillement que, de toute façon, 20 % de femmes dans les conseils d’administration, cela ne faisait pas avancer la cause des femmes (Libé du 18 mars 2006). Alors qu’il est avéré que, quand les femmes sont au sommet, la première chose qu’elles font est de faire monter d’autres femmes, comme l’a fait la présidente du Medef, Laurence Parisot, qui n’a pas seulement rajeuni mais féminisé son staff, comme l’a fait aussi une autre Laurence, Laurence Danon, la présidente du Directoire du Printemps, qui a instauré la parité dans son comité exécutif.

Le Conseil constitutionnel a estimé que cet amendement (ainsi d’ailleurs que quelque dix autres qui faisaient partie de la loi) était dépourvu de tout lien avec le projet déposé au Parlement, dont l’objectif premier était de supprimer d’ici à 2010 les écarts de salaires entre hommes et femmes. Et qu’en outre il était contraire au principe d’égalité, et ne relevait pas des dispositions relatives à la parité en matière d’élections politiques.

La vénérable institution a évidemment fait sérieusement son travail et appliqué les textes en vigueur, et trois femmes sur les dix membres en font partie. On peut néanmoins se poser des questions à propos des textes fondateurs et de leur actualité : qui les a rédigés, approuvés, à quelle époque, et notre chère Déclaration des droits de l’homme, à laquelle ils se réfèrent en matière d’égalité, n’a-t-elle pas zappé ceux de la femme ?

Discrimination positive et égalité sont-elles compatibles  ?


Au-delà des réserves exprimées par le conseil sur des lois fourre-tout qui enflent sous les amendements multiples, on en revient une fois de plus à la question qui tue : la discrimination positive est-elle compatible avec l’égalité ? Non, disent les membres du Conseil et les adversaires de la parité (hommes et femmes), car la Déclaration des droits de l’homme affirme (article 6) : « Tous les citoyens étant égaux [...] sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ». « On peut », avaient-ils édicté à propos des commissions administratives paritaires, « rechercher une composition équilibrée entre hommes et femmes, mais cet équilibre doit être trouvé à mérites égaux ». Or, devinez qui juge des mérites des femmes ?

Voyez les coups bas que doit (et devra) encaisser Ségolène Royal, accusée de ne pas avoir de programme (comme si les hommes politiques élus sur des programmes se sentaient obligés de les respecter une fois en place) et d’être ambitieuse (ce qui au passage est une vertu pour un homme). Certains ont même susurré : « Laissez passer, il n’y a rien à voir ». Le défilé des candidats hommes nous en met effectivement plein la vue !

L’universalisme à la française, source de discrimination  ?
C’est ce que démontre l’Américaine Joan Scott, historienne du mouvement féministe français, qui a analysé les contradictions de l’universalisme républicain ( Parité  ! L’Universel et la différence des sexes, Albin Michel 2005)  : « Les institutions françaises fondées sur la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et consolidées à la fin du XXe siècle avec l’instauration de la IIIe République, définissent un citoyen neutre qui ne peut se réclamer d’aucun particularisme, social, religieux racial ou sexué. Or cette définition, que l’on considère souvent comme une garantie de la démocratie, paraît aujourd’hui faire de plus en plus problème ». Et pour l’historienne française Michèle Perrot (dernier ouvrage Mon histoire du féminisme, Seuil 2006) : « L’universalisme est un cache-sexe qui ne recouvre le plus souvent que du masculin, et a servi à exclure les femmes du gouvernement de la cité ».

Si on attend seulement les progrès « naturels » de la démocratie et de la justice, et la pénurie automatique de mâles liée aux effets cumulés du papy-boom (le départ à la retraite des baby-boomers) et du baby-gap (l’insuffisant renouvellement des jeunes générations), pour que les femmes deviennent les égales des hommes dans l’univers professionnel et politique, on en a encore pour des décennies.

Une démarche volontariste est nécessaire
Une démarche volontariste des pouvoirs politiques et des entreprises est donc indispensable pour accélérer le mouvement. On en a vu les résultats rapides aux élections municipales de mars 2001, avec la loi du 6 juin 2000 sur la parité, qui a promu l’égal accès des hommes et des femmes aux mandats électoraux et aux fonctions électives. Le taux de représentation des femmes dans les conseils municipaux a doublé. Bien sûr, certains ont gémi sur le manque d’expérience de l’une ou l’autre femme choisie dans la hâte à cette occasion, comme si elles ne pouvaient en acquérir par l’usage. Une chose est sûre : il n’y a pas que des hommes politiques compétents pour assurer des responsabilités.

La parité obligatoire dans les organes de direction des entreprises, en commençant par les conseils d’administration, peut être une mesure transitoire pour donner aux femmes une chance d’avoir les mêmes droits que les hommes. Quand l’égalité sera inscrite dans les faits, on pourra alors déclarer : « Que les meilleurs gagnent  ». Pour l’instant, les dés sont pipés. Les hommes se cooptent entre eux, pas toujours par machisme d’ailleurs, souvent par habitude. Et c’est la poule et l’œuf : les organisations continuent à fonctionner sur le modèle masculin avec ses critères de recrutement, d’évaluation, de carrière, de gestion du temps de travail, etc.

Or, l’accès égalitaire des femmes aux postes de décision n’est pas seulement une question de justice, d’éthique, mais aussi une promesse d’efficacité et d’évolution de nos sociétés, comme nous avons pu le montrer dans notre livre Le bal des dirigeantes : comment elles transforment le pouvoir, (Eyrolles, 2006).

Après des millénaires de confinement à la sphère domestique, les femmes arrivent en politique et en entreprise avec un regard neuf, comme serait celui d’hommes plongés tout à coup dans un univers dont les codes seraient uniquement féminins. Elles n’ont pas la même histoire, la même expérience, les mêmes conditionnements, la même relation au pouvoir et à la hiérarchie. Les pionnières rares et isolées essayaient de se faire accepter en copiant le modèle masculin, les nouvelles générations, plus diplômées, moins complexées, aussi ambitieuses, proposent un style différent.

Des meilleurs résultats économiques
Nous avons interviewé plus de 60 femmes ayant des responsabilités importantes. Elles sont toutes animées par la volonté d’agir, de changer le cours des choses, beaucoup plus que par les privilèges accrochés au statut, les courbettes, les stock options et les parachutes. Elles sont en majorité plus proches de leurs équipes, plus enclines à jouer collectif que leurs homologues masculins, plus sensibles au développement durable qu’au profit immédiat.
De plus en plus d’études effectuées par des organismes comme Catalyst, aux Etats-Unis, Cransfeld University en Angleterre, montrent que les retours économique et financier des entreprises dirigées par des femmes sont nettement plus importants que lorsqu’elles sont dirigées par des hommes.

Donc que leur gestion répond mieux aux contraintes du monde actuel. The Economist du 12 avril 2006 recense plusieurs de ces études, et en conclut que « le futur de l’économie est dans les mains des femmes ».

Partout le modèle patriarcal, hiérarchique, auto-reproductif, se lézarde, se révélant incapable d’affronter la complexité du monde actuel, de construire sans détruire. La domination masculine n’est pas une fatalité, la mixité, le partenariat égalitaire entre les hommes et les femmes (la moitié de l’humanité)s’impose, et est indispensable aux sociétés humaines.


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