Pourquoi la scission des banques est-elle nécessaire ?

par Quentin Georges
lundi 21 janvier 2013

La scission des banques, l’une des réformes les plus importantes à mener dans le quinquennat de François Hollande, petit tour d’horizon sur la question …

« Je séparerai les activités des banques qui sont utiles à l’investissement et à l’emploi, de leurs opérations spéculatives », proposition numéro 7 du programme aux présidentielles de François Hollande. Vous souvenez vous de cette promesse phare de la campagne de notre président actuel ? Cette proposition avait reçu un écho plus que favorable dans l’opinion populaire et ce, à juste titre.

Pourquoi cette scission est-elle nécessaire ?

Revenons-en aux fondamentaux bancaires, par définition une banque exerce trois types d’activités : les activités de dépôt (reçoit et gère les dépôts), les activités de prêt que ce soit pour les ménages ou les entreprises et enfin les activités en rapport avec le marché (placement boursier, ingénierie financière, etc.). On parle aujourd’hui de banque dite « universelle » car elle exerce ces activités en son sein.

Or, aujourd’hui cette banque universelle dispose d’une garantie publique, c’est-à-dire qu’en cas de problème comme une crise économique par exemple, l’Etat viendra en aide à celle-ci. Ainsi la banque est protégée de son activité financière sur le marché et peut donc prendre des risques maximum puisque celle-ci jouit de cette « garantie publique ». Une banque d’investissement est forcément plus rentable qu’une banque de détail puisque celle-ci prend des risques en investissant dans les marchés alors cette dernière se contentera simplement de gérer votre argent et éventuellement de vous consentir des prêts. Ainsi, une banque peut prendre des risques sur le dos des épargnants pour privatiser les bénéfices (les primes par exemple) mais nationaliser les pertes. Le risque est donc maximum pour l’épargnant alors qu’il n’a pas droit aux profits qui peuvent s’engendrer des activités de marchés. Enfin, en cas de perte financière voir de faillite des activités de marché, la chute de celles-ci entraine forcément la chute des autres ce qui fait qu’aujourd’hui nous sommes dans une période de grande insécurité. A ce titre, M.Prot avait déclaré en 2008 « Si AIG tombe, on est tous mort » …

Par conséquent, cette scission entre banque de dépôt et banque d’affaire permettrait de garder la garantie publique au profit des banques de dépôt qui elles, s’occupent de nos besoins quotidiens ce qui constitue un intérêt général tandis que la banque d’affaire ne devrait plus bénéficier de cette garantie puisqu’elle ne remplit pas une telle mission. Cette scission a donc pour but de sécuriser les deux milles milliards d’euros de dépôts des français dans les banques mais aussi indirectement de protéger le financement de l’Etat.

Quel système avions nous avant la banque universelle ?

La banque universelle est apparue en 1984, mais avant celle-ci comment faisions nous ? Eh bien il y avait une scission tout simplement ! Par une loi du 2 décembre 1945, le législateur a d’une part nationaliser la Banque de France mais aussi les banques de dépôt pour leur attribuée une garantie publique pour leur activité d’intérêt général, et d’autre part a instauré le grand principe de spécialisation bancaire. Ainsi, un établissement bancaire ne pouvait appartenir qu’à une des trois catégories que sont le dépôt, les affaires et le crédit. Chaque banque était donc spécialisée dans son domaine. Nous étions donc confrontés à un texte cohérent avec la situation économique et donc protecteur des particuliers et petites entreprises.

C’est le 24 janvier 1984 que cette loi, qui jusque-là n’avait jamais montrée d’insuffisance, fut abrogée par une autre loi présentée par le ministre de l’Economie et des Finances de l’époque M.Delors sous la gouvernance de M.Mitterrand au nom de « la modernité ». Cette loi eut donc pour effet de faire disparaitre la triple distinction des banques au profit de la définition de banque universelle. La raison défendue par M.Delors était le fait que la séparation entravait le développement de la concurrence entre les banques, on peut dire aujourd’hui qu’il avait totalement faux puisque sa loi nous a entrainés vers un système oligopole …

Sommes-nous les seuls à envisager cette scission ?

La réponse est bien évidemment négative, les E-U et l’Angleterre ont même déjà demandés à des commissions d’établir un rapport sur la situation actuelle et la solution pour parvenir à cette scission. De même, l’UE se penche également sur le sujet.

Parlons tout d’abord du rapport Volcker de juillet 2010 pour la réforme américaine. Il parle d’un modèle d’interdiction. Une banque ne pourra pas s’impliquer dans de la spéculation pour son compte mais en revanche pourra le faire au nom de son client et donc lui prêter de l’argent pour cela. On entre à nouveau dans le cercle vicieux. Ainsi, on peut dire que cette réforme entend organiser mais pas scinder véritablement la banque universelle puisque le risque est toujours présent pour l’épargnant de voir une faillite de l’activité d’affaire entrainant celle de dépôt. La Fédération des Banques soutient forcément activement cette réforme.

Le rapport anglais Vickers de juin 2010 quand à lui repose sur un modèle de cloisonnement. Ici la banque de détail va être séparée légalement des autres activités et devra respecter des contraintes règlementaires fortes. Là encore on ne remet pas en cause le système de banque universelle mais on essaie d’éviter qu’une éventuelle faillite de la banque d’investissement entraine celle de la banque de détail. On se retrouve encore dans la même situation où on range telle activité dans telle catégorie mais en cas de problème, la faillite de l’une entrainera forcément la faillite de l’autre puisqu’elles dépendent de la même banque universelle.

Le rapport Liikanen d’octobre 2010 remis à la commission européenne repose lui aussi sur un modèle de cloisonnement or ici on ne cherche pas à isoler la banque de dépôt mais plutôt la banque d’investissement. Comme toujours, on ne remet pas en cause l’idée de banque universelle cette fois au motif qu’il faut « maintenir la capacité des banques à fournir efficacement un large éventail de services à leurs clients ».

Est-ce que le projet de loi sera à la hauteur de l’attente qu’il suscite ?

Même si les réformes que nous venons d’étudier paraissent légitimement insuffisantes, elles ont tout de même le mérite d’aborder le sujet et, espérons-le, de voir à terme s’opérer une véritable scission entre les banques de dépôt et d’investissement. Qu’en est-il du projet de loi du gouvernement français dont le président avait fait l’un des projets phare de son programme présidentiel ?

M.Moscovici a présenté en Conseil des Ministres son projet le 19 décembre 2012, un projet bien fade, sans aucune saveur, qui aura du mal à passer auprès des nombreuses personnalités du monde économique en faveur d’une scission. En effet ce projet est sans doute le moins évolué de tous ceux que l’on a vu, on ne parle pas d’interdiction, de cantonnement mais de … filialisation ! Là où la réforme Volckers interdit la spéculation à son compte propre, notre projet l’interdit pour une petite partie de celui-ci. C’est donc un projet soft Volckers, du recyclé en moins bien. Le défaut principal du projet ? Tout simplement ce principe de filialisation, une filiale d’investissement peut être en lien avec une filiale de l’activité de dépôt. Autant dire qu’en cas de faillite … Je crois que vous avez compris inutile de se répéter ! Les autres « filiales » de l’établissement bancaire devront assumer les pertes et feront très certainement faillites elles-aussi.

Toutefois, on peut tenir compte de la pression exercée par les lobbys bancaires sur le gouvernement pour défendre le concept de banque universelle. N’oublions pas que c’est ce système de banque universelle qui a fait qu’en 2008, l’Etat a dû intervenir et mettre un plan de soutien en place de 360 milles milliards ! L’argument principal contre cette séparation des banques est que celle-ci n’empêche pas forcément la faillite des autres banques si l’une d’entre elles s’effondre car elles interagissent beaucoup ensemble. Ceci est bien évidemment une référence à la faillite de Lehman Brothers et bien entendu une simple scission ne permet pas de garantir la protection des épargnants. Derrière cette scission il faut réorganiser le système bancaire pour empêcher les banques d’investissements d’avoir trop d’engagements sur le compte des banques de dépôts et donc tout faire pour que la faillite d’une banque d’investissement n’ait pas de conséquence sur celle de dépôt. La scission des banques d’investissement et de dépôt est la première marche vers un système plus sûr et plus protecteur de l’épargne des citoyens, et de toute évidence, M.Moscovici l’a ratée.

 

http://www.contrepoints.org/?p=111927

 


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